Dick Cheney, John Bolton, les traders et le prix du baril edit

4 avril 2018

Le 3 juillet 2008, le prix du baril de pétrole brut WTI atteignait 145 dollars, un niveau que ne justifiait pas une économie mondiale déjà ébranlée par la crise des subprimes. Ce choc pétrolier allait contribuer à la récession mondiale tout autant que la faillite de Lehman Brothers, trois mois après. Dick Cheney était alors Vice-Président des Etats-Unis. Il n’avait jamais caché sa défiance vis-à-vis de l’Iran. Le 9 avril prochain, John Bolton devrait devenir le conseiller du Président Trump pour la Sécurité nationale. Lui non plus, n’a jamais caché sa défiance vis-à-vis de l’Iran et son appétence pour des solutions radicales. L’histoire pourrait-elle se répéter ?

Revenons tout d’abord sur l’étrange envolée du prix du pétrole en 2008. Fin novembre 2007, le baril frôlait les 100$. Avec un de mes collègues d’alors, chef économiste pour les Etats Unis d’une grande banque d’investissement, fonction que j’occupais pour l’Europe, nous avions écrit que la hausse devenait une bulle et que, si elle se poursuivait, elle causerait une récession mondiale, qui, elle-même, ferait chuter le prix du pétrole. Le journal Le Monde s’était fait l’écho de cette analyse, le 6 novembre 2007. Peu de temps après, la direction de la banque nous intima de ne plus commenter le marché pétrolier, arguant que les traders de la banque, qui misaient précisément sur une poursuite de la hausse, étaient plus compétents en la matière. Nous avions dû avaler la couleuvre, sans y attacher une importance démesurée, tant les autres sujets macro-économiques de l’époque demandaient notre attention. Il y avait pourtant dans cet épisode bien plus qu’une façon autoritaire de régler un conflit interne à l’entreprise, mais je ne le compris que deux ans plus tard.

C’est une interview de Dick Cheney sur Fox News, le 30 août 2009, qui m’ouvrit les yeux. Dans le compte-rendu qu’en fit le Wall Street Journal, l’ex Vice-Président indiquait qu’il avait plaidé pour une frappe militaire afin de détruire les installations nucléaires de Natanz en Iran, mais qu’il s’était trouvé isolé au sein des conseillers du Président. En effet, George W. Bush, s’opposa finalement à une intervention militaire directe. D’autres moyens furent utilisés, comme la destruction d’une partie du parc iranien d’ultra-centrifugeuses par le virus informatique Stuxnet. Mais, pour revenir au prix du pétrole, les choses devenaient claires.

Les opérateurs qui dominaient le trading pétrolier à l’époque, dont nos collègues, étaient basés à Houston, dans le Texas. Or c’est là que siège Halliburton, la plus grande entreprise mondiale de services pétroliers (entre autres), dont Dick Cheney avait été le CEO de 1995 à 2000. Dans la communauté des traders pétroliers, on ne pouvait ignorer la position du Vice-Président, au moment même où Israël insistait pour qu’une action préventive contre l’Iran fût engagée. Considérant que la probabilité d’une frappe et d’une escalade qui ferait s’envoler le prix du pétrole était élevée, et que la fenêtre d’opportunité pour une intervention se fermerait à l’approche des élections présidentielles, les traders avaient pris des positions longues à l’échéance du 4 juillet 2008. Même si leur hypothèse de travail ne se réalisa pas, les positions spéculatives alimentèrent la hausse jusqu’à cette date. On était bien loin d’une analyse de fondamentaux économiques comme l’offre et la demande, et bien plus dans l’analyse politique, domaine où mon collègue et moi-même ne nous aventurions pas.

Dix ans plus tard, on ne peut s’empêcher de faire quelques parallèles. L’accord international péniblement conclu en 2015 pour limiter les ambitions nucléaires militaires de l’Iran, véhémentement dénoncé par le candidat Trump comme « le pire accord de l’histoire » (worst deal ever) a été mis sous surveillance le 12 janvier par le président américain pour 120 jours avant de réimposer des sanctions, c’est-à-dire jusqu’au 12 mai (voir à ce sujet l’article de Michel Duclos dans le blog de l’Institut Montaigne). Depuis, quatre développements sont venus corser la situation.

Un, l’éviction du ministre des Affaires étrangères Rex Tillerson, qui avait plutôt cherché à composer avec les européens signataires de l’accord, et son remplacement par le directeur de la CIA, Mike Pompeo qui, lui, n’a jamais caché le peu de cas qu’il faisait de l’accord.

Deux, le remplacement du général McMaster, conseiller à la sécurité nationale, par John Bolton, lequel avait déclaré en 2015 que « la désagréable vérité est que seule une action militaire (…) peut parvenir au résultat souhaité ». Plus récemment, il tempérait un peu ses propos en se contentant de prôner d’appliquer à nouveau sanctions économiques levées par l’accord (1).

Trois, les interventions de l’Iran dans les conflits régionaux, du Yemen au Liban et, bien sûr, en Syrie, se sont multipliées au point de pousser Israël, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite, à former un front commun, pour, entre autres, appeler les Etats-Unis à plus de fermeté vis-à-vis du « serpent », comme on appelle l’Iran sur la rive ouest du Golfe arabo-persique.

Quatre, les fondamentaux du marché pétrolier jouent momentanément à la hausse, malgré la révolution technologique de l’extraction du pétrole – et du gaz – de schiste. Côté demande, l’économie mondiale est montée en régime, si l’on en juge par le commerce mondial, dont le rythme de croissance a plus que doublé depuis 2015. La politique budgétaire très expansionniste qui va être mise en œuvre par les Etats-Unis ne peut que renforcer cette tendance ? Et, côté offre, la suspension des exportations vénézuéliennes ainsi que l’accord tactique entre l’OPEP (c’est à dire l’Arabie Saoudite et ses proches alliés) et la Russie de ne pas augmenter la production vont dans le sens d’une contrainte sur l’offre. Demande et offre vont donc tous deux dans le sens d’une augmentation du prix du pétrole comme du gaz naturel. Pour ces raisons, le prix du baril est passé de 40$ en 2016 à 65$ à la fin mars 2018.

Bien que l’Histoire ait la réputation de rejouer les tragédies passées sous forme de farce, on peut se demander si la nouvelle génération de traders sur le marché du pétrole et du gaz (l’Iran détient les plus grandes réserves mondiales de gaz, ce qui, en passant, suffit à faire douter des ambitions pacifiques du programme nucléaire de M. Ali Khamenei) ne sera pas tentée de prendre les mêmes positions que leurs ainés et, ainsi, de pousser encore plus à la hausse le prix du pétrole. Reste à espérer que l’Histoire ne démente pas sa réputation, et que, cette fois, une tragédie ne succède pas à la farce de 2008. Car, dans ce cas, le pic de 145$ le baril serait être allègrement dépassé.

 

(1) “A few months before the deal was signed in July 2015, Mr Bolton boomed ‘The inconvenient truth is that only military action… can accomplish what is required’. More recently (this year) he wrote that the reactivation of nuclear-related sanctions, plus some new ones could bring the “seemingly impregnable authoritatiran” Iranian regime to its knees.” The Economist, 28 March 2018.