Chiffres militants: réponse à la Fondation Abbé Pierre edit

9 mai 2018

Le fond du papier « Méfions-nous des chiffres militants » qui fait l’objet de la réponse de la Fondation Abbé Pierre, n’était pas de mettre en cause spécifiquement la qualité du travail de cette Fondation, mais d’attirer l’attention du lecteur sur la difficulté qu’il y a à mener de front un objectif militant, tout à fait respectable, et un travail rigoureux d’analyse statistique. Les chiffres produits par la FAP servaient dans ce papier d’illustration à ce propos. Après avoir lu attentivement la réponse de la FAP, je maintiens le propos.

Dans sa réponse à mon papier dans Telos, la FAP indique par exemple que leur définition du mal-logement « évolue avec le temps en fonction de l’émergence de nouvelles formes de mal-logement et de la disponibilité des sources statistiques ». Une règle de base de l’utilisation d’indicateurs statistiques servant de critère à l’analyse d’une situation sociale et de son évolution dans le temps est la stabilité de ces indicateurs. Ne pas respecter cette règle alimente bien l’idée que ces indicateurs sont relativement flous, puisque leur définition peut varier selon les circonstances. Sur ce même registre, mais concernant le surpeuplement, la FAP indique dans sa réponse avoir comparé les deux dernières enquêtes logement (2006 et 2013) pour alimenter l’idée que le surpeuplement s’accentue. Mais ces deux enquêtes ne sont pas comparables car certaines questions ont été modifiées de l’une à l’autre. Et effectivement l’INSEE sur ce point contredit complètement le diagnostic de la FAP dans son rapport qui fait référence (France Portrait social, 2017, page 144) : « En près de trente ans, en lien avec l’augmentation de la surface des logements et la diminution de la taille des ménages, le surpeuplement a fortement baissé » (c’est moi qui souligne).

Par ailleurs, tout statisticien, sociologue, économiste ou démographe, sait que pour apprécier la prévalence d’un phénomène et encore plus son évolution, il faut raisonner en taux et non en chiffres absolus (comme le fait systématiquement la FAP). Raisonner en chiffres absolus est trompeur car pour formuler un diagnostic juste il faut évidemment rapporter le nombre de personnes touchées par un phénomène (le mal-logement par exemple) à l’ensemble de la population potentiellement concernée. Si on ne le fait pas, une augmentation apparente peut masquer une stabilité voire une diminution de la prévalence du phénomène étudié. Pour prendre un exemple dans un domaine tout à fait différent (cité par François Héran dans sa leçon inaugurale au Collège de France), le nombre absolu de migrants dans le monde a fortement progressé mais leur proportion reste faible.

Finalement en présentant un tableau exagérément pessimiste de l’ensemble de la situation du logement en France, la FAP sert-elle vraiment les intérêts des plus pauvres et des plus démunis qu’elle veut servir ? En produisant des catégories très extensives, comme celle du mal-logement, (au passage j’ai bien lu le rapport de la FAP) qui finit par regrouper dans la définition de la FAP près de 15 millions de personnes, en amalgamant des catégories très hétérogènes, on risque de noyer les situations de véritable précarité dans le flou d’une définition trop large. Ces situations de grande précarité existent bien, évidemment. Un rapport récent de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes), montre que 780 000 personnes, soit environ 1,2 % de la population métropolitaine, seraient exclues, à divers titres, du logement de droit commun, et ces situations s’aggraveraient. C’est sur elles que doit porter en priorité l’effort de repérage statistique et d’intervention des politiques publiques.