La France rattrape l’Allemagne! (Vraiment?) edit
L’Allemagne, homme malade de l’Europe, la France qui fait mieux que ses voisins tout en s’auto-dénigrant… voilà un tableau auquel on n’est guère habitués, surtout de la part de la presse britannique ou allemande. Mieux encore, les vertus attribuées à la France étaient considérées jusqu’à il y a peu comme des boulets. Qu’en penser ?
Les éloges de la presse britannique et allemande
Fin juillet, The Economist, le très libéral hebdomadaire britannique, généralement plutôt sarcastique vis-à-vis de la France, a consacré un long article à la bonne situation économique de notre pays malgré « une aversion pour le changement, un talent pour la révolte et un goût immodéré pour les impôts » ! La preuve, entre 2018 et 2023, la croissance cumulée du PIB français est deux fois plus importante qu’en Allemagne, et dépasse celle de l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni.
L’article met en avant quatre facteurs qui expliqueraient la bonne tenue de l’économie française. Le premier, une énergie nucléaire abondante et bon marché : « La France produit l’électricité la moins carbonée d’Europe, grâce non pas aux énergies renouvelables mais à son industrie nucléaire qui a été développé dans les années 1970 ». Le second ? Des multinationales très rentables et très présentes à l’international : « La France compte plus d’entreprises dans le top 100 mondial, mesuré par la capitalisation boursière, que n’importe quel autre pays européen. Elle le doit en grande partie à ses géants du luxe, dont la rentabilité et l’envergure ont bondi au cours de la dernière décennie. En 2022, les marques de luxe françaises étaient plus rentables que les entreprises technologiques américaines. » Le troisième facteur est un rattrapage rapide dans le domaine de l’innovation : en 2022, la France aurait déposé plus de brevets que la moyenne des autres grands pays européens, près de deux fois plus que le Royaume-Uni. Enfin, quatrième facteur, le décollage des start-up françaises, et en particulier des licornes (celles valorisées à plus d’un milliard de dollars), il y aurait 25 licornes françaises en 2022. Certes moins qu’en Allemagne (36) ou au Royaume-Uni (61), mais avec une dynamique de rattrapage rapide.
Quelques semaines plus tard, le magazine Der Spiegel titre « La France, l’Allemagne en mieux ». Là aussi, l’article souligne le différentiel de croissance économique entre la France et l’Allemagne : entre fin 2019 et 2023, le PIB allemand a progressé de 0,2% contre 1,5% en France et en 2023 et en 2024, la croissance économique de la France sera deux fois supérieure à celle de la République fédérale.
L’hebdomadaire met l’accent sur l’excellence de la politique économique du président Macron, qui a réussi à mettre en œuvre des réformes devant lesquelles ses prédécesseurs avaient reculé : forte baisse des impôts des entreprises, assouplissement de la protection de l’emploi, et enfin réforme des retraites.
Pour le magazine allemand, grâce à ses réformes la France rattrape son retard dans les classements mondiaux de compétitivité, alors que l'Allemagne, de son côté, recule. Conséquence, les multinationales choisissent de plus en plus souvent la France pour investir, plutôt que l’Allemagne. Comme The Economist, Der Spiegel met l’accent sur les avantages comparatifs procurés par le nucléaire à la France, qui sont promis à se renforcer depuis que le président Macron a décidé de relancer la construction de nouvelles centrales. L’électricité coûte deux fois moins cher aux industriels français qu’aux industriels allemands, et la hausse brutale des prix du gaz a provoqué des reports de production vers la Chine chez les plus intensifs en énergie, dans la chimie notamment.
Tous ces éléments sont bien connus, et font apparaître en effet un contraste sur les toutes dernières années. Mais ce rebond demande à être mis en perspective pour en nuancer la portée. Car la vérité des chiffres reste cruelle. La France a décroché face à l’Allemagne depuis le début des années 2000. Ce décrochage est spectaculaire et il peut se mesurer à l’aune de certains indicateurs. Y a-t-il vraiment un rattrapage récent ?
Un long déclin, un timide réveil
Le premier indicateur est l’écart entre la création de richesse par habitant en Allemagne et en France qui s’est creusé en vingt ans. Mesurée par le PIB par tête, en parité de pouvoir d’achat et par rapport à une moyenne européenne à 100, les deux pays étaient au même niveau en 2002, 100,3 pour l’Allemagne et 100,7 pour la France (UE à 15). Dix ans plus tard, en 2012, l’écart est déjà considérable : 108 pour la France et 124 pour l’Allemagne (UE à 27, niveau 100), soit 16 points !
L’Allemagne notamment a mieux géré la sortie de crise de 2008. L’écart atteint même 20 points en 2017/2018, avant de revenir à un écart de 15 points en 2022. L’écart s’est donc surtout creusé entre 2000 et 2012 puisqu'on retrouve en 2022 l’écart observé en 2012. La meilleure croissance du PIB observé en France par rapport à l’Allemagne depuis 2019 est donc loin de combler le retard pris par la France ces vingt dernières années. Chaque Allemand, en moyenne, crée encore chaque année 15% de valeur ajoutée de plus que chaque Français.
Cette divergence croissante dans la création de richesse par habitant s’explique par plusieurs facteurs, dont la part de l’industrie dans le PIB, les investissements des entreprises (robotisation notamment), mais aussi et plus simplement par un indicateur, le taux d’emploi. Or là encore les Allemands conservent une longueur d’avance, et là encore le moment on peut dater le moment où ils ont creusé l’écart.
En 2002, les taux d’emploi (pourcentage de la population au travail par rapport à la population en âge de travailler) étaient à peu près comparables en Allemagne (65,4%) et en France (63%). En 2015, le taux d’emploi allemand a augmenté à 74%, alors que le taux d’emploi français a baissé à 63,6%, soit 10,4 points de différence ! Entre 2015 et 2022, le taux d’emploi s’améliore en France, grâce aux réformes introduites, et cela plus fortement qu’en Allemagne. En 2022, avec 68,1% en France et 76,9% en Allemagne, il n’y plus que 8,8 points d’écart… Il y a donc eu un certain rattrapage, mais le chemin reste encore long pour atteindre le niveau allemand !
Enfin, la France produit moins de richesse qu'elle n'en consomme, contrairement à l'Allemagne qui produit plus de richesses qu'elle n'en consomme. Cela a deux conséquences. D'une part, la balance des transactions courantes avec le reste du monde est constamment négative en France depuis 2004 alors qu’elle est constamment positive en Allemagne, d'autre part la dette publique s’alourdit. Le poids de la dette sur le PIB était en France de 64,5% en France contre 64,2% en Allemagne, en 2012 de 90,6% en France contre 80,7% en Allemagne et en 2022 de 111,6% en France contre 66,4% en Allemagne.
Certes, l’Allemagne traverse une phase compliquée et elle rencontre aujourd’hui les limites d’un modèle économique tourné vers l’exportation. Fragilisée par sa grande dépendance au gaz russe et au charbon sur le plan énergétique, et sur le plan extérieur au ralentissement de l’économie chinoise, l’Allemagne fait face, aussi, aussi au nouveau protectionnisme américain. Elle observe avec inquiétude l’évolution à marche rapide de l’automobile, qui reste son cœur de spécialisation industrielle et dont le passage à l’électrique bouleverse les fondamentaux en faisant émerger de nouveaux acteurs. Mais le pays a les moyens d’investir dans les industries de demain, et d’attirer des investissements directs étrangers, ne serait-ce qu’en cofinançant les installations comme on l’a vu sur les semi-conducteurs et les gigafactories de batteries. La France attire elle aussi des IDE, elle finance elle aussi des implantations industrielles, mais ses capacités financières sont limitées, et elle souffre d’un déficit de main d’œuvre qualifiée et son tissu de PME industrielles reste trop faible, deux éléments qui freinent considérablement le rythme de la réindustrialisation.
Certes, la France, moins affectée par les bouleversements géopolitiques, fait mieux que l’Allemagne ces dernières années, notamment parce qu’elle a su réformer son marché du travail ce qui lui a permis de faire des progrès... que l'Allemagne avait déjà faits il y a vingt ans. Mais le déclin français des années 2000 est loin d’être rattrapé.
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