La politique économique de Michel Barnier edit

Sept. 11, 2024

Que va pouvoir faire Michel Barnier à Matignon ? En un mot, pas grand-chose sinon gérer les affaires, l’ère des réformes est bien terminée. Il va devoir s’appuyer sur le centre et la droite qui, ensemble, sont trop minoritaires pour faire quoi que ce soit de tangible. Il va devoir s’assurer de ne pas provoquer le RN. Sauf éclatement du NFP, il aura face à lui la gauche qui fera tout pour le faire tomber, y compris voter une motion de censure si le RN en fait la proposition.

La question est de savoir ce sur quoi le centre et la droite peuvent se mettre d’accord et ce que le RN va exiger. Le groupe Ensemble, à supposer qu’il reste bien ensemble, ne sera pas une force de proposition. Sa préoccupation essentielle sera de bloquer toute velléité de détricotage des réformes réalisées depuis 2017, à commencer par celle des retraites.

La droite républicaine a présenté son « pacte législatif d’urgence » qui, en matière d’économie tout au moins, ne reflète aucune véritable urgence. Les deux lignes rouges sont consensuelles entre le centre et la droite : pas d’augmentation des impôts et pas de mesures qui défavorisent les retraités. Elle a aussi avancé quelques propositions de lois à contenu économique. Elle veut relocaliser la production, un slogan incontournable ces temps-ci qui, en dehors de mesures de sécurité souvent chimériques, n’a guère de portée. Ce projet requiert soit des réformes profondes de la part des multinationales, soit des subventions ou des réduction fiscales substantielles. Les premières seront combattues par des groupes de pression trop forts pour un gouvernement sans majorité – sans même parler de la surveillance des autorités de la concurrence à Bruxelles et à Paris. Pour les secondes, le budget est bien trop déficitaire pour y penser sérieusement. Le pacte législatif souligne aussi « l’importance des services publics », un beau slogan qui n’est étayé par aucune mesure spécifique. L’idée de « désmiscardiser » la France plaira sûrement à Ensemble, et Gabriel Attal semble avoir des idées à ce sujet, mais c’est un sujet qui pourrait précipiter beaucoup de monde dans la rue et fâcher le RN. Et c’est tout, donc pas grand-chose.

Ce qui est incontournable, c’est le budget qui doit être théoriquement mis en forme d’ici le 1er octobre. Le gouvernement intérimaire a travaillé la question et il est très peu probable que son projet puisse être profondément remanié en quelques semaines. Le problème est que la France a été placée par la Commission Européenne en situation de déficit excessif. En principe, le gouvernement devra donner des gages solides de réduction du déficit. Toute augmentation d’impôt étant proscrite pas une ligne rouge de la droite républicaine, cela suppose une réduction sensible des dépenses, de l’ordre de 0,5% du PIB, soit 13 milliards, sans compter les dérapages récemment signalés par Bruno Le Maire. Chaque futur ministre va bien sûr mobiliser des soutiens pour défendre son pré carré. Michel Barnier va devoir démontrer ses capacités de négociation, qui sont parait-il légendaires, ou retourner à Bruxelles pour plaider la mansuétude de la Commission, ce qui est loin d’être gagné car l’épisode de la dissolution de l’Assemblée nationale a laissé les autres Européens pantois. Il reste toujours le 49.3 mais ce serait provoquer une motion de confiance particulièrement périlleuse. Là encore, tout dépendra de l’attitude du RN.

Or le RN n’a pas vraiment annoncé de qu’il attend de Barnier, tant son propre programme économique a été imprécis et fluctuant. Au début il mettra sans doute en avant des demandes plausibles comme des mesures sur le coût de la vie et sur l’immigration. Les demandes populaires sur ces questions sont devenues irrésistibles, en France comme partout ailleurs en Europe et aux États-Unis. Sur le coût de la vie, ses propres propositions (par exemple pas d’impôts sur le revenu pour les moins de trente ans ou baisse de la TVA sur l’énergie) sont des effets d’annonce impraticables. Des aides aux familles modestes, voire pour l’ensemble des classes moyennes, peuvent être envisagées en matière de logement, de charges sociales ou de pression réglementaire, mais les contraintes budgétaires imposent des limites sévères. On pourrait imaginer des gestes symboliques. Sur l’immigration, tant la droite que le RN seront très allants comme on l’a vu en début d’année, mais c’est un sujet clivant au sein d’Ensemble. C’est peut-être là que les talents de négociateur de Barnier seront testés. Au bout du compte, le RN accentuera progressivement sa pression jusqu’au jour où des calculs politiques l’amèneront à faire tomber le gouvernement, à moins que Macron ne prenne le RN de vitesse et prononce une nouvelle dissolution un an après la première.

Pendant ce temps, Macron fera comme Mitterrand et Chirac, il laissera à Barnier le soin de gérer une situation insoluble, sans doute en en faisant le moins possible, pour se concentrer sur le domaine réservé du Président, les affaires internationales. Mais son influence est d’ores et déjà réduite et, de toutes façons, tout va dépendre du résultat des élections aux États-Unis. Ce sont les affaires européennes qui pourraient être le plus affectées par la situation française. Pour son deuxième mandat à la tête de la Commission, Ursula von der Leyen ne manque pas d’ambitions. Le glissement à droite du Parlement Européen va l’amener à calmer le jeu en matière de changement climatique, un virage amorcé après les manifestations agricoles du printemps dernier, ce qui conviendra à Macron et à Barnier. Mais ses ambitions budgétaires – il serait question de doubler le budget de la Commission – sont sans doute déjà enterrées car inacceptables pour le RN et pour le gouvernement allemand, lui-même en sursis face à ses deux extrêmes de gauche et de droite. Il en va de même de l’idée de repenser les dépenses de la Commission, y compris une réforme profonde de la Politique agricole commune. Tout cela nous rappelle que la France n'est pas le seul pays occidental où règne l’instabilité politique. C’est peut-être une consolation, mais ce n’est pas rassurant.