La loi PACTE: une avancée utile et bienvenue edit

6 septembre 2018

Il a été décidé que le projet de loi PACTE (pour Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) sera prochainement discuté au Parlement. A celui qui veut se plonger dans le texte de ce projet, nous conseillons de s’armer d’un certain courage et de se préparer à une épreuve longue et difficile : il contient plus de 70 articles et la seule étude d’impact s’étire sur plus de 600 pages. Ce projet touche à une grande quantité de sujets, dont par exemple, la liste étant loin d’être exhaustive, les simplifications administratives pour les entreprises concernant leur création ou disparition, les seuils sociaux, les périodes de soldes, l’épargne salariale, les compétences et la surveillance de la CDC (Caisse de Dépôt et Consignation), l’intérêt social de l’entreprise, la présence de salariés dans les conseils d’administration des entreprises, les chercheurs entrepreneurs, l’expérimentation de véhicules autonomes, le contrôle des investissements étrangers en France dans des secteurs stratégiques, la préparation à la cession de participation dans ADP (Aéroports de Paris), la Française des Jeux et Engie… S’il faut en trouver un, le point commun aux différents articles de ce projet est de concerner directement l’entreprise.

Il est parfois reproché à ce projet de loi d’être un mélange sans cohérence. Cette critique est sans objet. Le besoin de réformes dans chacun des multiples domaines abordés par le texte est réel, et à moins d’imaginer de multiples véhicules législatifs dont l’examen au Parlement prendrait un temps infini, les regrouper ici dans un seul véhicule est approprié et réduit ce risque d’embourbement. Un même choix de regroupement de réformes hétéroclites a pour cette même raison de nombreux antécédents. Citons pour mémoire, dans un passé récent, la loi Hamon (loi sur la consommation du 17 mars 2014) qui concernait les ménages dans des domaines variés parmi lesquels : la banque et assurance, le surendettement, les litiges liés à la consommation, le démarchage, l’e-commerce, divers produits de santé, la traçabilité des produits, le transport… Citons également la loi Macron (loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 aout 2015) qui concernait entre autres les professions réglementées, la concurrence entre le transport ferroviaire et le transport routier, la mobilité bancaire, le commerce le dimanche, la juridiction prud’homale, les tribunaux de commerce, le reclassement de salariés licenciés…

La loi PACTE favorisera par plusieurs de ses multiples dispositions un meilleur fonctionnement économique et contribuera en cela à une dynamisation de la croissance. Mais sa diversité ne facilitera pas la promotion du projet par le gouvernement qui devra déployer de grands efforts pédagogiques pour en présenter le sens. L’évaluation de l’effet des multiples dispositions envisagées relève à ce stade d’un travail d’artiste plus que d’économiste et le gain d’un point de PIB supplémentaire à très long terme (dont 0,32 point à l’horizon 2025) avancé dans l’étude d’impact est à considérer avec une prudence certaine. L’effet sera favorable, ce qui suffit à justifier le projet.

Il est impossible de rentrer, même avec un détail sommaire, dans le contenu de chaque composante de ce texte. On se contente ici d’en aborder seulement quelques aspects.

Certains points ne manqueront pas de susciter l’attention de juristes et des demandes de vérification de la conformité avec d’autres textes. Ainsi par exemple la réforme prévue de l’action spécifique, ou golden-share (art. 56), qui étend les possibilités actuelles pour l’Etat de conserver un contrôle sur des entreprises dont il se désengage, dans certains secteurs stratégiques. Ainsi également le changement de régime juridique d’ADP et les modalités de la préparation de sa privatisation. Ces aspects relèvent de la compétence de spécialistes.

La réforme envisagée des seuils sociaux (Art. 6) est bienvenue, compte tenu de la multiplicité des obligations associées à ces seuils (le texte en compte 199) et de leur complexité. Il y a là de quoi modérer les ambitions de croissance de nombreuses PME. Le texte propose de rationaliser les seuils en diminuant leur nombre, d’homogénéiser le calcul des effectifs des différents seuils, et de modifier les conditions de leur déclanchement. Sur ce dernier point, il est proposé de déclencher leurs effets après un franchissement du seuil d’effectifs durant cinq années consécutives. Cela paraît très (trop ?) long, et ne manquera pas d’être débattu. Mais, surtout, aucune place n’est accordée aux partenaires sociaux pour pouvoir décider, par accord collectif, de sursoir transitoirement à certaines obligations associées aux seuils. Un tel oubli de donner un plus grand rôle au dialogue social est en nette contradiction avec la dynamique recherchée dans les récentes réformes associées aux ordonnances travail du 22 septembre 2017.

La réforme des périodes de soldes (Art. 8) redéfinit de façon heureuse l’articulation entre ce qui relève du législatif et du réglementaire. La loi fixerait la durée minimum (3 semaines) et maximum (6 semaines) de chacune des deux périodes annuelles de soldes et c’est un arrêté du ministre qui déciderait de leur longueur exacte, en prenant en compte pour cela la situation économique. On ne peut que se féliciter d’un choix qui permet au législatif de fixer des orientations et limites sans entrer dans les détails plus précis. Au-delà de la stricte activité commerciale, on peut regretter que le projet de loi n’aille pas plus loin en revenant sur la question du travail le dimanche. Les textes actuels en ce domaine ne sont pas satisfaisants, car outre qu’ils brident l’activité plus que ce n’est le cas dans de nombreux autres pays, ils sont source d’inégalités entre activités commerciales selon leur localisation, mais aussi entre salariés, certains pouvant travailler le dimanche sans compensations obligatoires (par exemple dans les activités culturelles ou le secteur des hôtels, cafés et restaurants) alors que de telles compensations seront nécessairement incluses dans les accords conclus dans les activités commerciales. Sur cet aspect, et dans l’esprit des ordonnances travail, des dispositions législatives pourraient prévoir un socle de contreparties (financières ou en temps), qui serait supplétif de dispositions prévues par accords de branches ou d’entreprises.

Le projet PACTE entend (par son Art. 57) favoriser le développement de l’épargne salariale. La possibilité proposée d’une mise en oeuvre de dispositifs d’intéressement et participation dans les entreprises de moins de 50 salariés via des conventions de branches d’application directe est une réelle avancée. Ce changement responsabiliserait davantage les partenaires sociaux et introduirait une cohérence entre la loi PACTE et la réforme antérieure portée par les ordonnances travail du 22 septembre 2017 qui élargit le rôle décisionnel du dialogue social. Pour autant, il faut s’interroger sur la suppression du forfait social sur l’intéressement et la participation pour les entreprises dont la taille est inférieure à certains seuils d’effectifs. Cette disposition va conforter sinon renforcer des effets de seuil toujours défavorables à la croissance des entreprises, et que d’autres changements de la loi PACTE veulent réduire (par exemple dans l’Art. 6 évoqué plus haut, sur les seuils). Il serait souhaitable de réfléchir à d’autres choix ne présentant pas cet inconvénient. Par exemple de faire disparaître le forfait social pour toutes les entreprises jusqu’à un certain montant ou un certain pourcentage des salaires. Ce choix serait certes moins incitatif pour les seules PME, mais il atténuerait grandement les effets de seuils.

Suite au rapport Notat/Senard, le projet de loi PACTE propose (par son art. 61) de modifier l’article 1833 du Code Civil et d’y introduire la nécessité pour les entreprises de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. L’article 1835 du Code civil serait également modifié pour reconnaître la possibilité aux sociétés qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts. Le Code du commerce devrait également être modifié pour accompagner ces changements. Ce dispositif n’a pas un intérêt criant mais il aide sans doute à conforter la cohésion gouvernementale. Il est plusieurs fois affirmé dans l’étude d’impact du projet de loi que ce changement, ne créant pas de nouvelles responsabilités délictuelles, aurait des conséquences juridiques nulles ou limitées. L’avenir dira si cet optimisme est fondé…

Le projet de loi PACTE prévoit également (par son art. 62) d’augmenter la présence de représentants des salariés dans les Conseil d’Administration (CA) des grandes entreprises. Ainsi, les entreprises de plus de 1000 salariés en France ou 5000 en France et à l’étranger devraient inclure au moins deux administrateurs salariés (contre un actuellement) dès que le CA compte plus de huit administrateurs non-salariés (contre douze actuellement). La présence obligatoire de représentants salariés dans le CA des grandes entreprises avait été introduite par la loi du 13 juin 2013 et déjà renforcée par la loi du 17 août 2015. Ce processus est donc récent et monte rapidement en puissance. Il serait utile de faire un bilan de cette présence de représentants salariés dans les CA. Pour l’heure, comme le signale l’étude d’impact, la littérature économique sur les expériences étrangères n’est pas très conclusive et les effets favorables ne sont pas nécessairement au rendez-vous. Les particularismes du syndicalisme français, plus faible (par le nombre d’adhérents), plus atomisé (par le nombre de syndicats) et plus politisé que dans la grande majorité des autres pays appellent des études d’impact ex post spécifiques.

La loi PACTE est indiscutablement utile et bienvenue pour adapter l’environnement institutionnel de l’activité économique au monde du XXIe siècle. Mais comme d’autres lois antérieures qui avaient la même vocation, elle devra être suivie d’autres textes prolongeant cet effort dans des directions non abordées dans un document déjà très lourd et complexe. A chaque législature sa loi PACTE ?