Sarkozy et la démocratie sociale edit

14 janvier 2009

Lorsque, dans quelques jours, le Président de la République présentera ses vœux aux partenaires sociaux, il leur dira très certainement ce qu’il attend d’eux et du dialogue social en cette année 2009 où nous savons tous que notre pays et les salariés vont souffrir d’une crise violente dont il faut au maximum atténuer les effets. La présidence de Nicolas Sarkozy, du fait notamment de la loi de modernisation du dialogue social de janvier 2007, a fait entrer les rapports entre démocratie sociale et démocratie politique dans une nouvelle ère. Quels en sont les enjeux ? Quel bilan peut-on en faire à l'heure du nouvel accord Unedic ?

En faire l’analyse conduit, d’abord, à regarder ce qu’a produit la négociation collective et qu’elle en a été la traduction dans la loi. De ce point de vue, le bilan est largement positif. On peut avoir des avis divergents sur les effets structurels qui se vérifieront dans le temps, mais les nouveaux droits améliorant la vie des salariés sont bien réels. Ils touchent prioritairement ceux qui sont les plus fragiles et sont les premières victimes des soubresauts de l’économie. A titre d’exemple, l’indemnité légale de licenciement a été doublée et, désormais, est accessible après un an d’ancienneté ; il en fallait deux auparavant. Il fallait avoir trois ans d’ancienneté pour accéder au complément de salaire de l’indemnisation de la sécurité sociale, dorénavant il faut une année. Ces garanties ont été créées avec beaucoup d’autres dans l’accord « Modernisation du Marché du Travail » signé il y a un an et repris dans la loi du 25 juin 2008.

Si la démocratie sociale peut produire ces résultats, cela tient en partie à sa nature. Un accord collectif conclu entre les représentants des employeurs et ceux des salariés est nécessairement un compromis acté par les deux parties, chacune reconnaissant plus ou moins explicitement les intérêts de l’autre. Il y a beaucoup de conflits d’intérêts entre les employeurs et les salariés, mais il y a un intérêt commun ou qui devrait l’être en permanence : que l’entreprise fonctionne bien et dans de bonnes conditions, gage de la pérennité et de la qualité des emplois.

La démocratie sociale, articulant les compromis qu’elle construit de l’entreprise au niveau national, est à même d’intégrer la complexité sociale et d’engager des réformes inscrites dans des délais dont ne dispose pas la démocratie politique.

Mais, cependant, elle ne vit que par la capacité de ses acteurs à s’engager. De ce point de vue, le débat sur l’accord assurance-chômage interroge.

Les nouvelles règles négociées reposent sur deux principes simples : avoir accès à une indemnisation dès qu’on a justifié de 4 mois travaillés dans une période de 28 mois, et un jour travaillé donne droit à un jour indemnisé. Rappelons qu’actuellement il faut avoir travaillé au moins six mois dans les 22 derniers mois pour être indemnisé et le rapport entre la durée travaillée et la durée indemnisée est variable du fait de l’existence de droits différents. Par exemple, celui qui a travaillé 15 mois peut être actuellement indemnisé 12 mois, celui qui en a travaillé 16 est indemnisé 23 mois.

Si tout le monde souhaitait et reconnaît la plus grande lisibilité du nouveau système, certains le contestent parce qu’il ne serait pas à la hauteur en ces temps de crise. Certains lui reprochent aussi d’être moins favorable en durée d’indemnisation pour une partie de ceux qui seraient plus de 16 mois au chômage ; ce qui revient à nier les effets d’un meilleur accompagnement personnalisé dont un des objectifs est de réduire le temps de recherche d’un nouvel emploi.

Ces arguments oublient l’essentiel. L’assurance-chômage repose sur le principe même de la solidarité entre les salariés. Et les salariés qui cotisent comme ceux qui perdent leur emploi veulent une assurance-chômage équitable. Peut-on revendiquer le maintien de situations théoriquement acquises contre l’équité et la prise en charge des plus précaires ? Nous revendiquons une réduction des inégalités et une autre répartition des richesses, nous savons aussi que celles qui seront à partager en 2009 seront inférieures à celles de 2008. Comment ignorer dans ce contexte que cet accord, du seul fait des nouvelles règles, se traduirait pour les salariés n’ayant plus d’emploi par un accroissement global des indemnités versées (780 millions d’euros selon les chiffres Unédic)  ?

Mais puisqu’il y a débat sur le contenu de cet accord, il faut que l’esprit de la réforme de la représentativité, autre acquis de la démocratie sociale en 2008 joue à plein. Cette réforme affirme que, pour être légitime, un accord doit exiger un engagement clair de ceux qui le soutiennent et, dans le même temps, l’absence d’opposition majoritaire des non signataires. Alors que chacun assume ses responsabilités.

Cette réforme de la représentativité est, en effet, un moyen de consolider la démocratie sociale et de dépasser les divisions, les luttes d’influence, la défense de pré-carré qui trop souvent contraignent patronats et syndicats à s’en remettre au pouvoir politique et lui laisser la main.

Si la légitimité de la décision politique s’impose à la démocratie sociale, elle ne fait pas toujours la preuve de l’efficacité économique et de la justice sociale pourtant indissociable de la cohésion dont l’Etat doit être garant.

La volonté des partenaires sociaux de voir le pouvoir politique respecter les accords qu’ils ont conclus ne s’accorde pas facilement avec l’intérêt supérieur du politique. Nous n’entendons pas lui contester son pouvoir de légiférer ni sa légitimité. N’empêche que lorsqu’en mai dernier, il use de ce pouvoir pour imposer à la hussarde une modification substantielle du cadre légal de la durée du travail, il discrédite la négociation collective pour un objectif idéologique et un résultat plus que contestable. Si les entreprises avaient suivi son invitation à monétariser les réductions du temps de travail et d’individualiser systématiquement sa gestion ; elles ne disposeraient plus aujourd’hui de cet « amortisseur » leur permettant de conserver des emplois en dépit de sérieuses baisses d’activité.

De même, la défiscalisation des heures supplémentaires illustre à la caricature les dégâts de cette posture idéologique. Alors que le gouvernement, avec raison, met des moyens financiers pour relancer le bâtiment, des employeurs de ce secteur font faire des heures supplémentaires à leurs salariés et renvoient des intérimaires au chômage parce que c’est moins coûteux. Heures supplémentaires qui coûtent deux fois à la collectivité : avec une aggravation de la situation de l’emploi d’une part ; une baisse de rentrée fiscale pénalisant tous les citoyens d’autre part.

Nous verrons bien ce que seront les souhaits du Président de la République mais il serait utile qu’en cette période de crise où il reconnaît et revendique le besoin de régulation de la sphère financière, il demande aux partenaires sociaux de se saisir du sujet de la gouvernance des entreprises.

Si besoin était de le convaincre, qu’il se reporte aux déclarations d’un dirigeant français d’un grand groupe international récemment interrogé sur la décision de supprimer des milliers d’emploi tout en maintenant le niveau de rémunérations des actionnaires. Il se justifiait en prétendant que, de nombreux salariés étant actionnaires, il ne pouvait quand même pas les priver de dividendes !

Quand des patrons ont la vue aussi courte et que beaucoup d’entre eux aux différents niveaux ne voient dans le dialogue social qu’une contrainte, il est impératif de donner à la démocratie sociale les moyens de parvenir à des compromis respectueux de l’ensemble des parties prenantes et en premier lieu des salariés.