Pourquoi la CFDT a dit oui edit

19 janvier 2008

L'accord sur la modernisation du marché du travail va concerner vingt millions de salariés. Il fait l'objet de nombreux commentaires. Telos a demandé au principal négociateur de la CFDT de nous donner son point de vue.

Fondamentalement, l'objectif est de répondre à un vrai problème de compétitivité de l'économie, qui va de pair avec une situation où chômage et précarité alimentent un délitement de la cohésion sociale. L'accord essaie d'y répondre dans un contenu équilibré, en misant sur l'amélioration des relations sociales et l'accroissement des compétences des salariés, base d'un parcours professionnel qualifiant.

Les partenaires sociaux ont commencé à changer leur regard sur le marché du travail. Ce sont les plans sociaux médiatisés qui marquent les esprits, mais ils représentent moins d'un tiers des licenciements économiques. Et l'ensemble des licenciements économiques fait moins de 10 % des ruptures de CDI. Vouloir un accord qui change vraiment la vie des salariés obligeait donc à prendre le temps de l'état des lieux, à débattre des causes avant de rechercher le compromis possible. C'est de cette manière qu'il faut lire l'introduction d'une " rupture conventionnelle ". Chaque année, des millions de salariés connaissent une rupture de CDI qui se gère dans un gré à gré souvent déséquilibré, par des arrangements plus ou moins acceptés, plus ou moins acceptables. La rupture conventionnelle met en place un cadre qui formalise la relation entre le salarié et l'employeur en prenant le soin de préserver la liberté de consentement du salarié sans sacrifier l'espace de discussion. Ce n'est pas une rupture à l'amiable qui supposerait une égalité de pouvoir de décision et d'intérêt " employeur/salarié " dans l'entreprise. Entre des règles inadaptées et contournées qui ne protègent plus vraiment les salariés et le gré à gré qui risque d'affaiblir les faibles et renforcer les forts, nous avons trouvé une autre voie. Dans un monde hétérogène où la règle commune est inadaptée aux trajectoires individuelles, nous avons fait un pas dans l'articulation entre " cadre collectif et garanties individuelles ".

Ce n'est pas un accord " donnant/donnant ", c'est un accord doublement équilibré. Le " donnant/donnant " pourrait sous-entendre que les syndicalistes doivent obtenir des contreparties aux sacrifices qu'ils doivent consentir pour l'intérêt de l'entreprise. Ce n'est pas du tout dans cet état d'esprit que la CFDT a négocié. Nous ne considérons pas que l'économique soit de la responsabilité de l'entreprise et que la nôtre se cantonne au social. Nous sommes convaincus que notre fonction d'acteur social trouve sa pleine dimension dans notre capacité à articuler le social et l'économique. C'est la qualité du social qui est déterminante dans la performance économique.

L'accord est équilibré parce que, sur chaque sujet abordé, nous avons voulu trouver la réponse la mieux adaptée aux problèmes tels qu'ils sont. Sur les périodes d'essai par exemple : elles sont, aujourd'hui, d'une durée réelle que personne ne sait vraiment mesurer puisqu'elles peuvent cumuler période de stages et CDD préalables à une embauche en CDI. Cette période d'incertitude invivable a trouvé son expression la plus insoutenable dans les deux années de la période d'essai du CNE, dont l'abrogation est demandée par les partenaires sociaux. La solution retenue en prenant en compte les stages et en créant un délai de prévenance limite la période d'incertitude pour le salarié.

Reste évidemment une partie difficile sur l'utilisation des CDD, qu'on ne peut pas régler par un trait de plume, cela appelle des changements de comportement des employeurs, qui prendront du temps. C'est un accord d'étape, modeste aux regards des enjeux. Il apporte une réponse partielle aux besoins d'une dynamique économique. S'il fait évoluer les règles de gestion du marché du travail, nous ne croyons pas que c'est là qu'il faut chercher l'alpha et l'oméga de la compétitivité. Pour autant, faisons ce qui est possible.

Autre innovation de l'accord, le CDD pour objet précis veut répondre à des difficultés concrètes, mais on n'ignore pas le risque de dérive. Il y a actuellement des chantiers dont la durée prévue est de quelques années. S'y succèdent des salariés en CDD, quand la tâche n'est pas confiée à un sous-traitant. C'est un gâchis social payé par la précarité de ces salariés, c'est une perte de compétence pour l'entreprise. Le CDD pour objet précis tente de remédier à ce problème. Pour autant, nous ne voudrions pas que quelques secteurs professionnels, les SSII par exemple, s'engouffrent dans un nouvel espace qui pourrait se traduire par une pression accentuée sur les salariés. Or, non seulement nous ne vivons pas dans un monde idéal, mais la méfiance reste prégnante dans les rapports sociaux. En décidant sur ce sujet de lancer une expérimentation avec les moyens de l'évaluation, nous voulons avancer sur un terrain bloqué depuis des années.

Mais revenons sur les enjeux économiques. En toile de fond, l'Europe a choisi, avec la Stratégie de Lisbonne, l'économie de la connaissance. Elle repose, pour nous, sur un accroissement des compétences et des qualifications dans une organisation du travail performante. Cela signifie donc que l'amélioration des relations de travail à tous les niveaux et dans toutes ses composantes est une clé essentielle. Et, c'est en responsabilisant tous les acteurs, en premier lieu les chefs d'entreprise, que l'on parviendra à modifier la relation entre des millions de salariés et des centaines de milliers de dirigeants d'entreprise. La mise en œuvre de cet accord doit donner du contenu à la " responsabilité sociale des entreprises ".

Avec un accord majoritaire sur un sujet aussi compliqué que le marché du travail, les partenaires sociaux viennent de poser un acte important qui donne légitimité et effectivité à la loi de Modernisation du dialogue social, qui organise la relation de la démocratie sociale avec la démocratie politique. L'ensemble de la classe politique devrait s'en réjouir et s'appuyer sur ce travail pour élaborer les politiques macro-économiques et les politiques d'emploi dont notre pays a besoin, en y intégrant la dimension européenne indispensable.

Avec cet accord interprofessionnel, les partenaires sociaux ont décidé de structurer leur travail dans le temps par l'adoption d'un calendrier social et par la cohérence des objectifs assignés aux négociations qui vont s'ouvrir sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la formation, l'assurance-chômage...

Avec la volonté de répondre à la fois à des enjeux économiques, sociaux et sociétaux, nous avons voulu poser un acte politique, c'est-à-dire aborder les problèmes dans leur ensemble et dans leur synergie. C'est un compromis qui, même s'il a ses limites, est porteur de sens et de transformation sociale parce que nous avons réussi à ne jamais oublier la situation des exclus et les difficultés des jeunes à entrer sur le marché du travail. La violence du CPE n'est jamais loin dans nos mémoires. Le plus grand risque de cet accord serait que les dispositifs les plus prometteurs n'en restent qu'aux intentions, du fait des corporatismes de tous bords qui ne sont pas éteints. Mais tout commence au lendemain d'une signature.