Politique industrielle: Montebourg l’a rêvé, Macron l’a fait edit

4 septembre 2017

Au cœur de l’été, Emmanuel Macron a pris une initiative industrielle – la nationalisation des Chantiers de Saint-Nazaire – plébiscitée par l’ensemble de la classe politique et approuvée à plus de 70% par l’opinion publique. L’usage de la main lourde de l’État dans une affaire déjà réglée par son prédécesseur, au risque d’une crise diplomatique avec l’Italie, a surpris car il semblait peu conforme à l’orientation libérale et à l’esprit européen du jeune président. Cette mesure, rêvée par Arnaud Montebourg et envisagée par François Hollande, a été réalisée par un président qui ose se proclamer libéral en économie, ouvert aux investissements étrangers et soucieux de recréer, par la réforme, une dynamique d’attractivité pour le territoire français.

Au même moment Emmanuel Macron, chantre de la « startup nation », évangéliste de la l’économie numérique, ami des entrepreneurs et champion de la « French Tech », annonçait la création d’un fonds de 10 milliards d’euros financé par les privatisations en faveur des startups et faisait part de sa volonté, symbolisée par la Station F, de faire de la France la terre d’élection des créateurs de toutes origines et de tous horizons dans les secteurs de la robotique avancée, des biotech, de l’intelligence artificielle...

Au cœur de ce même été enfin marqué par les restrictions budgétaires dus aux budgets insincères de la fin du quinquennat précédent, Emmanuel Marcon lançait la recapitalisation de la filière nucléaire pour un montant supérieur à la totalité des coupes budgétaires impopulaires, au motif que la France ne pouvait laisser sombrer dans la crise son grand atout nucléaire. Cette initiative conduite par le ministre Bruno Le Maire fut accompagnée d’une critique en règle de la désinvolture avec laquelle Areva gérait l’argent public et d’EDF qui annonçait des surcoûts et des retards quelques semaines après avoir lancé Hinkley Point.

Quel lien y a-t-il entre la volonté de peser sur l’avenir du site de Saint-Nazaire, de faire de la France le champion de la nouvelle industrie et la préservation de la filière nucléaire ?

Il y a deux types de réponse à cette question.

La première est qu’il serait vain de chercher une cohérence stratégique dans ces trois initiatives. Emmanuel Macron réagissant davantage, en homme politique, aux enjeux du moment, d’un côté un symbole à préserver sur fond de désindustrialisation (Saint-Nazaire ; d’autres avant lui avaient cherché à préserver Florange ou Belfort), de l’autre une filière nucléaire à l’agonie avec le fiasco d’Areva et les difficultés d’EDF.

La deuxième réponse réconcilie le discours et l’action en mettant en évidence une logique d’intervention néo-colbertiste. Lorsqu’on s’attache à articuler les propos du candidat Macron, son action de ministre et les trois décisions évoquées ici, une autre image se dégage en effet, celle d’un étatiste à la française qui croit à l’industrie, à l’État stratège et qui entend restaurer l’État actionnaire dans ses prérogatives, celle aussi d’un européen qui veut rompre avec l’angélisme de la concurrence libre et non faussée.

Macron ou la doxa industrielle française

Revenons sur ces trois éléments d’une politique industrielle macronienne en voie d’élaboration. Quelles sont les motivations manifestes de l’action gouvernementale ?

Dans le cas des Chantiers de l’Atlantique, l’Etat censure l’accord signé par le gouvernement précédent qui prévoyait la prise de contrôle de fait de STX France par Fincantieri au motif qu’il ne garantissait pas suffisamment l’emploi sur le site de Saint-Nazaire contre d’éventuels arbitrages favorables aux sites italiens, qu’il ne protégeait pas suffisamment la propriété intellectuelle notamment par rapport aux Chinois alliés de Fincantieri et qu’il bradait un actif stratégique indispensable à la Défense nationale (Saint-Nazaire est le seul site capable de produire la coque d’un éventuel porte-avions français). Seul un partenariat 50/50 éventuellement ouvert à des croisiéristes offrait des garanties suffisantes aux yeux des Français. A l’inverse pour Fincantieri seule une fusion permet de réaliser le potentiel d’intégration et d’optimisation économique dans un contexte de montée en puissance des industries asiatiques. Les garanties réclamées par la partie française ayant été accordées et confirmées par la minorité de blocage et l’accord de gouvernance, seule une défiance particulière à l’égard de l’Italie peut expliquer le blocage français. Quant à l’argument stratégique la partie italienne s’étonne qu’un contrôle coréen ou norvégien n’ait pas posé de problème alors qu’un investissement communautaire puisse en poser.

La position française ne s’explique en fait que par la volonté du gouvernement français d’émettre un signal politique fort en répondant à la demande de protection des salariés de l’industrie. L’État qui a beaucoup fait pour la survie du site, pour les commandes enregistrées (10 ans de plan de charge garanties) et pour la survie d’une industrie de la croisière, veut rester maître à bord et se présenter comme le meilleur défenseur de l’activité et de l’emploi en France. C’est parce qu’il ne peut pas jouer au pompier volant partout et toujours qu’il entend protéger ce qui existe, aider aux reconversions voire susciter et accompagner des reprises de sites industriels en déshérence. Il faut comprendre Saint-Nazaire comme Belfort : des symboles qui protègent contre les demandes de nationalisation de Whirlpool ou de GM&S, l’usine de sous-traitance automobile de la Souterraine.

Une telle position illustre d’abord la volonté d’un interventionnisme direct et sans complexes dans ce qui devrait relever du droit des faillites et des stratégies d’entreprise européennes. Elle manifeste ensuite la désinvolture à l’égard des autorités italiennes et au-delà l’acceptation du risque de mesures de rétorsion alors que les intérêts français sont bien plus présents en Italie que l’inverse.

Dans le cas de la filière nucléaire, trois raisons militent pareillement, aux yeux du gouvernement, pour un soutien, même coûteux. D’une part le nucléaire est l’un des rares domaines de spécialisation et d’excellence de l’industrie française. Malgré les avatars techniques d’Areva et notamment des forges du Creusot, il y a un capital technologique inégalable qu’il faut préserver et développer. Par ailleurs la France, même si elle doit faire évoluer son mix énergétique en faisant baisser la part du nucléaire, a besoin d’un industriel et d’un ingéniériste qui doivent maintenir leurs compétences et être prêts à la relance du nucléaire, en maintenant et développant une maîtrise industrielle qui passe notamment par la réalisation de Hinkley Point (Royaume-Uni). Enfin l’État est actionnaire de l’ensemble de la filière (conception, ingéniérie, production de réacteurs, exploitation-production et retraitement du combustible). Il est contraint de recapitaliser les entreprises de la filière et d’effacer les pertes des aventures finnoises. Nous avons par le passé évoqué les impasses de la stratégie nucléaire française : on ne règle pas les problèmes de l’EPR en jetant ses dernières forces dans la réalisation de Hinkley Point, on ne donne pas des moyens nouveaux à la filière avant de se faire une doctrine sur l’avenir du nucléaire, on ne charge pas un acteur affaibli (EDF) en lui confinant la partie industrielle d’Areva. Le choix d’EDF et de Macron est inverse.

Emmanuel Macron, un étatiste high tech

Si la logique industrielle, la vision stratégique et les exigences de Défense nationale ne s’imposent pas avec évidence, alors quelle est la logique macronienne ?

Emmanuel Macron est d’abord un haut fonctionnaire, nostalgique du colbertisme et qui a fait ses débuts en politique aux côtés de Jean-Pierre Chevènement. Il faut l’écouter célébrer l’action des hauts fonctionnaires résistants bâtisseurs qui tels François Bloch-Lainé ou Simon Nora ont fait la France de l’après-guerre. Pour lui les grands programmes, dont le nucléaire est le plus emblématique, constituent la base réelle de la spécialisation de la France. On ne peut donc abandonner Areva et l’ensemble de la filière à leurs difficultés.

Emmanuel Macron considère que la France depuis 1983 est orpheline d’un grand discours industriel national. Il considère que la gauche a rendu les armes face à l’idéologie du tout-marché. Il comprend certes que la gauche, expérience faite de 1981 à 1983, ait fait son aggiornamento et ait commencé à ouvrir les marchés et laisser circuler les capitaux. Mais il dit ne pas comprendre pourquoi cela s’est accompagné de la renonciation à toute ambition industrielle et à tout discours en direction du monde ouvrier.

Emmanuel Macron se veut militant de la première heure de la cause européenne et il se fixe comme première ambition de relancer l’Europe avec Mme Merkel. Pour autant il dit ne pas comprendre le désarmement unilatéral de l’Europe en matière commerciale notamment en matière d’anti-dumping face à la Chine d’un côté qui déverse sur l’Europe sa surproduction et face aux Etats-Unis capables de dégaîner des droits antidumping dix fois supérieurs à ceux de l’Europe, comme on l’a vu dans le cas de l’acier. Il dit également ne pas comprendre pourquoi l’Europe donne aux eurosceptiques des verges pour se faire battre avec la Directive « Travailleurs détachés » qui non seulement introduit des distorsions fortes sur certains marchés mais qui de plus n’est même pas appliquée avec la rigueur nécessaire. Il condamne enfin l’ouverture asymétrique aux flux directs d’investissement chinois sans que cela soit même considéré comme un problème.

Emmanuel Macron est de son temps : il parle numérique, industrie 4.0, French Tech, destruction créatrice… Après avoir voulu encadrer cette nouvelle économie dans la foulée des programmes prioritaires de Montebourg, il en est venu à la conclusion qu’il fallait plutôt multiplier les incitations, améliorer l’environnement réglementaire et fiscal, favoriser l’investissement et aider quand nécessaire avec de l’argent public la startup dans son cycle de vie. Financer les startups par le produit des privatisations n’en pose pas moins un problème redoutable : comment céder des participations publiques en conservant le contrôle d’actifs publics précieux pour la politique industrielle ?

Emmanuel Macron enfin synthétise ses expériences de haut fonctionnaire et de banquier d’affaires dans sa conception de l’État actionnaire. Dans la tradition française la prérogative essentielle de l’État actionnaire est la nomination du PDG et de son CA : nulle feuille de route stratégique, nulle grille d’objectifs, nulle évaluation périodique… le PDG est maître en son royaume quitte à ce que l’Etat politique et administratif obtienne quelques concessions sur la gestion locale ou de court terme. C’est cette relation que Macron a remise en cause avec son long bras de fer avec Carlos Ghosn de Renault. Pour Macron, l’Etat doit exercer ses prérogatives d’actionnaire de contrôle ou d’influence en pesant sur la stratégie et en tous cas en se faisant obéir au besoin en s’arrogeant des droits de vote doubles.

 

La politique industrielle d’Emmanuel Macron se laisse finalement assez facilement résumer.

L’avenir est dans le high tech mais le court terme commande de sauver l’emploi industriel partout où c’est possible.

Le rôle premier de l’Etat est de promouvoir des politiques d’environnement compétitif, mais il doit veiller aussi à la préservation d’écosystèmes industriels, le modèle étant celui de l’aéronautique et le contre-modèle celui de l’automobile.

L’Etat ne peut laisser faire, ne serait-ce que pour des raisons politiques : il est sommé d’intervenir, il doit participer avec les acteurs de marché à la recherche de solutions.

L’Etat doit gérer de manière dynamique son portefeuille de participations avec la volonté de peser sur les stratégies des firmes contrôlées.

Emmanuel Macron se veut libéral en économie et en politique, mais pour lui ces notions sont à mille lieux de l’ultra-libéralisme, de l’intégrisme de marché ou du capitalisme : la France et l’Etat ont une histoire commune.