L’horreur du 49.3 edit

28 février 2020

L’éventualité de l’utilisation par le gouvernement de l’article 49 alinéa 3 pour faire adopter le projet de loi sur les retraites a provoqué les cris d’orfraie de l’opposition. Scandale, horreur, coup de force, mépris du travail parlementaire… Tous unis contre ce maudit 49.3!

Avant d’analyser la situation actuelle qui pourrait obliger le gouvernement à utiliser cette procédure quelques rappels historiques sont nécessaires. Ce fameux alinéa 3 de l’article 49 de la constitution de 1958, ratifiée par référendum à une écrasante majorité du peuple français, a été introduit à la demande des défenseurs d’un régime de parlementarisme rationnalisé qui voulaient en finir avec le régime de souveraineté parlementaire qui avait conduit le régime précédent à un état de complète paralysie. L’idée ne venait pas d’abord du général de Gaulle mais des leaders parlementaristes. Ce furent Guy Mollet, socialiste, et Pierre Pflimlin, MRP, qui, convaincus de la nécessité de modifier le fonctionnement du régime, imaginèrent, à la veille de l’effondrement de la IVe République, ce que deviendrait le 49.3 dans la constitution de la Ve République. Ils étaient d’accord sur ce point avec Michel Debré, l’auteur principal de la constitution après de Gaulle, lui aussi partisan du parlementarisme rationnalisé. Le but de cet alinéa est de permettre à un gouvernement d’engager sa responsabilité devant l’Assemblée pour faire adopter un projet de loi. Si l’Assemblée peut faire la preuve que la majorité des membres la composant est hostile à ce projet par le vote d’une motion de censure le gouvernement doit automatiquement démissionner. Sinon, le texte est automatiquement adopté. Il s’agit donc de rééquilibrer le fonctionnement des institutions au profit du pouvoir exécutif. Ajoutons que la révision constitutionnelle de 2008 a drastiquement réduit le champ de son utilisation, la limitant aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.

Cette disposition a montré son intérêt puisque les gouvernements de droite et de gauche l’ont utilisée par le passé. Il est donc étonnant d’entendre aujourd’hui le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure et le président du Sénat, membre des républicains, Gérard Larcher, s’opposer à son utilisation. Certes, il est souhaitable que le gouvernement ne l’utilise qu’en dernier recours et se donne pour objectif de laisser le débat parlementaire se dérouler et de tenter d’obtenir l’accord le plus large possible sur le projet sans toutefois le laisser dénaturer. Il doit donc rechercher les compromis possibles avec l’opposition. Tel est l’esprit du régime parlementaire.

Mais de quoi s’agit-il aujourd’hui ? Pourquoi le gouvernement envisage-t-il d’utiliser l’alinéa 3 de l’article 49 ?  La raison est simple. La France insoumise et son chef, Jean-Luc Mélenchon sont à l’origine des 41000 amendements déposés. C’est à dire que ce parti ne cherche nullement à participer au débat dans l’esprit du système représentatif mais espère, par cette manœuvre d’obstruction, l’empêcher afin de retarder le plus longtemps possible le moment du vote. Pour Mélenchon, ce ne sont pas les représentants qui sont légitimes pour adopter ou rejeter un projet la loi mais le peuple. Il faut reconnaître qu’il ne cache pas ses intentions. Il déclare ainsi : « Nous allons assumer que nous faisons de l’obstruction. Parce que, de la même manière qu’un syndicaliste fait grève pendant quarante-trois, quarante-cinq, cinquante jours et perd tout son salaire, les députés manqueraient à leur devoir s’ils n’utilisaient pas toutes les armes possibles pour retarder la décision finale. Son objectif est donc de « contrer la ligne de défense de la majorité et laisser du temps à la mobilisation sociale ».

Mélenchon demeure ici fidèle à son idéologie jacobine : les représentants ne peuvent adopter un projet de loi que si « le peuple » est d’accord. Ainsi, un certain Guiraut, de la section du Contrat social, membre du comité révolutionnaire, déclarait à la tribune de l’Assemblée  au cours de l’été 1793 : « le moment est arrivé où il faut que les sections se lèvent et se présentent en masse à la Convention, qu’elles lui disent de faire des lois au peuple, et des lois surtout qui lui conviennent ; qu’elles lui fixent l’époque de trois mois et la préviennent que si à cette époque, elles n’étaient pas faites, on la passerait toute au fil de l’épée ».[1] Certes, nous n’en sommes pas là mais l’esprit est bien le même. Le 29 juillet 1792, Robespierre, le grand homme de Mélenchon, dénonçait ainsi les représentants aux Jacobins : « La source de tous nos maux c’est l’indépendance absolue où les représentants se sont mis eux-mêmes à l’égard de la nation sans l’avoir consultée. Ils ont connu la souveraineté de la Nation et ils l’ont anéantie. Ils n’étaient de leur aveu même que les mandataires du peuple et ils se sont fait souverains c’est-à-dire despotes. Car le despotisme n’est autre chose que l’usurpation du pouvoir souverain. » Le 16 juin 1793, il déclarait encore : « le mot de représentant ne peut être appliqué à aucun mandataire du peuple car la volonté ne peut se représenter ». Manuel Bompard, député européen de la France insoumise, est tout aussi clair : « Notre objectif est de ralentir et d’essayer de faire en sorte que ce projet de loi ne voit pas le jour. Nous le rejetons. Le gouvernement, s’il veut sortir de cette situation de blocage, ce n’est pas le 49.3 qu’il doit utiliser, c’est le référendum ». Il est logique que ces jacobins n’aient pas retenu la leçon de Montesquieu qui écrivait dans l’Esprit des lois : « le peuple qui a la souveraine puissance doit faire par lui-même tout ce qu’il peut bien faire ; et ce qu’il ne peut pas bien faire, il faut qu’il le fasse par ses ministres ».

C’est donc bien toujours le même projet de remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe. Il ne s’agit pas de débattre du projet ou de l’amender puisque ce projet doit être purement et simplement retiré. Les pseudo-amendements ne sont pas déposés pour enrichir le débat mais pour l’interdire. Les députés LFI proposent ainsi la suppression de chaque alinéa de la réforme, avec un exposé des motifs souvent similaire : « Comme la majorité des Français·es, nous nous opposons totalement à l’ensemble de ce projet de loi. » Autre exemple : dans l’amendement 20542, des députés communistes proposent de remplacer le mot « universel » par le mot « inéquitable » dans l’intitulé du titre 1er. Cette obstruction s’accompagne de menaces à l’égard du président de la République. « Si Emmanuel Macron utilise le 49.3, c’est terminé pour lui pour 2022 », affirme ainsi Ugo Bernalicis, député LFI, ajoutant : « Le coup politique de cette violence institutionnelle, je pense qu’Emmanuel Macron le paiera ». La tactique mélenchoniste est simple : pousser le gouvernement à utiliser le 49.3, seul moyen pour lui de mettre fin à l’obstruction qui empêche le travail parlementaire de se dérouler normalement, puis, une fois le projet adopté, crier au coup de force.

Ni Olivier Faure, ni Gérard Larcher ne condamnent cette tactique d’obstruction.  Olivier Faure, en envisageant de déposer avec LFI et le PCF une motion de censure semble oublier que son parti a été un parti de gouvernement. Gérard Larcher conseille au gouvernement de ne pas utiliser le 49.3 face à l’avalanche d’amendements antidémocratique. Interrogé sur les dizaines de milliers d’amendements déposés par LFI, il ne juge « pas illogique que les parlementaires tentent d’influer » sur les 29 ordonnances que prévoit le gouvernement « sur 40 sujets majeurs ». Ces deux personnages ne semblent pas voir que pour obtenir quelques avantages politiques à court terme ils prennent le risque de laisser Mélenchon mener le jeu, c’est à dire affaiblir le système parlementaire qu’ils ont pour devoir de faire fonctionner dans de bonnes conditions. Or, comme le remarque justement le constitutionnaliste Dominique Rousseau, un recours au 49.3, dans ces conditions, ne suspendrait pas le débat sur la réforme des retraites mais suspendrait l’obstruction qui est la maladie infantile du parlementarisme. Maladie infantile qui, ajouterais-je, peut tuer le malade. Mais n’est-ce pas là le but de la manœuvre ?

 

[1] Cité par Albert Soboul, Les Sans-Culottes, Seuil, 1968, p. 104