Service national obligatoire: une fausse bonne idée edit

8 mars 2018

La proposition d’un service national obligatoire plaît à l’opinion. L’idée dominante qui y prévaut en effet est que les jeunes ont besoin d’être repris en main, que l’autorité « fout le camp », que les valeurs civiques ne sont plus respectées, que la permissivité issue de mai 68 et appliquée dans leurs pratiques éducatives par les anciens soixante-huitards devenus parents a généré une société laxiste où tout va à vau-l’eau. C’est un fait que la valeur d’autorité a fait un retour fracassant dans l’univers des valeurs de tous les Français (y compris des jeunes !).

Tout n’est pas faux dans ce constat, même s’il est très excessif. Mais, même si c’est désagréable à entendre, car il pourrait conduire à opposer de manière simpliste des « bons » jeunes à des « mauvais » jeunes, c’est un fait que la société des jeunes est extrêmement clivée. C’est donc la généralisation ou la « moyennisation » du diagnostic qui pose problème. En effet, on retrouve dans les évolutions des mœurs et des valeurs de la jeunesse française des tendances très contrastées : certains traits conformistes ou traditionnels (pour ne pas dire traditionnalistes) – la demande d’autorité justement, des aspirations très classiques liées à l’accès au statut adulte – d’autres qui semblent montrer une rébellion, une montée de la radicalité et parfois de la violence. Sans doute ces tendances contradictoires peuvent-elles également se trouver parfois chez les mêmes  jeunes.

Il est difficile aujourd’hui d’identifier les causes complexes de ce tableau mouvant (et je ne m’y risquerai pas), mais c’est un fait que la jeunesse est loin d’être uniforme. Vouloir lui appliquer une pédagogie autoritaire, avec en toile de fond la nostalgie du bon vieux service militaire, risque de tomber à plat. Cette idée équivaut un peu à appliquer l’esprit de la funeste réforme des 35h à la pédagogie : un moule unilatéral, autoritaire et uniforme qui s’applique sans distinction à tous et partout.

Le service militaire, idéalisé aujourd’hui, laisse à ceux qui l’ont vécu un souvenir de vacuité, de temps perdu, d’ennui profond et de fausse équité (réformes et exemptions diverses distribuées non aléatoirement dans la population). Vouloir, peu ou prou, le reproduire risque de conduire aux mêmes errements. Et puis, les jeunes des années 2000 ne sont plus ceux des années 1960 : ils revendiquent haut et fort des valeurs d’autonomie et risquent de fort mal supporter qu’on veuille leur imposer une sorte de redressement moral.

Que faire?

Alors, faut-il ne rien faire ? Certainement pas, mais sans doute pas une entreprise générale dans un cadre institutionnel à inventer et dont les effets risquent, au mieux, de se diluer du fait même de sa généralisation et de son uniformité. Deux pistes devraient plutôt être explorées. D’une part, ce devrait être le rôle de l’école de participer activement à la fabrique du citoyen. Elle ne le fait aujourd’hui, au mieux, que sous la forme de l’enseignement moral et civique, un legs de Vincent Peillon.  Sur le papier, les intentions sont formidables : il s’agit « d’articuler constamment les valeurs, les savoirs et les pratiques », pour amener les élèves « à maîtriser les conditions de l’autonomie de jugement et acquérir une claire conscience de leur responsabilité morale individuelle et collective ». Pour aboutir à ce résultat, les enseignants sont invités à utiliser « principalement les débats argumentés », en s’appuyant « sur des sources documentaires variées ». On applaudit des deux mains !

Mais il y a loin, semble-t-il, de la coupe aux lèvres si l’on en croit le rapport annuel 2017 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Les heures d’EMC ne seraient pas toujours dispensées (les enseignants les utilisant parfois pour terminer leurs cours), la pratique du débat argumenté serait loin d’être généralisée, les élèves seraient faiblement impliqués dans la vie lycéenne. In fine, la CNCDH plaidait pour un apprentissage plus actif de la citoyenneté, avec des débats, des engagements, des projets. Cette culture du débat est peu présente en France, les élèves apprennent surtout à être passifs et à écouter le professeur (ou à ne pas l’écouter du tout !). Envisager la formation civique principalement comme un enseignement, à grande échelle dans l’éventuel projet de service national obligatoire, n’est pas la bonne méthode. Il faut faire réfléchir les jeunes, développer leur esprit critique, confronter les arguments, et pour cela l’école est certainement l’institution la mieux placée. Encore faut-il que l’on passe des intentions aux actes.

D’autre part, tout le monde sait qu’il existe bien dans notre pays, des « territoires perdus de la République » et qu’une action générale et indifférenciée sur l’ensemble du territoire ne réglera pas ce problème crucial pour la citoyenneté. Les causes de ces dérives sont nombreuses et complexes – discriminations, ségrégation ethnico-religieuse, radicalisation, pauvreté – et on ne cherchera pas à les identifier et les hiérarchiser dans ce court papier. Mais il est certain  que ce n’est pas un service national qui y remédiera.