Vers un nouveau système politique français edit

28 mars 2022

La séquence politique 2017-2022 a transformé radicalement le paysage politique français. Depuis les années 1980, le système des forces politiques s’organisait autour du clivage gauche-droite : un grand parti de centre droit, l’UMP devenue ensuite LR, et un grand parti de centre-gauche, le PS dominaient et alternaient au pouvoir. En cinq ans on a vu s’affirmer une structuration autour de trois pôles : extrême-gauche (LFI, PCF et trotskistes), centre (LREM) et extrême-droite (RN, Reconquête et Debout la France). Cette transformation s’opère au détriment des deux anciens partis de gouvernement comme le montre le tableau ci-dessous.

Tableau - La transformation du système des forces politiques aux élections présidentielles, 2012-2022

* Intentions de vote. Moyenne des derniers sondages au 15 mars.

La marginalisation du PS s’est produite à l’élection présidentielle de 2017 et celle, moins brutale, de LR semble devoir se produire à celle de 2022. La nouvelle tripartition opposera ainsi le centre aux deux extrêmes, le clivage gauche-droite ayant cessé d’organiser le fonctionnement du système. L’effondrement du PS et celui de LR sont le produit de causes pour partie identiques. N’ayant plus la capacité de dominer leurs camps respectifs du fait de la progression des extrêmes et de l’apparition d’un centre, ces deux partis n’ont plus été en mesure de préserver l’unité de leurs électorats qui se sont fracturés, une partie de leurs électeurs étant attirée par le centre et l’autre par les extrêmes. Lors de l’actuelle campagne présidentielle, les candidats des deux partis, ne pouvant ou ne voulant se positionner clairement face au centre et aux extrêmes, ont été amenés à livrer un combat sur deux fronts, rendant leur positionnement ambigu et favorisant les mouvements centrifuges au sein de leur électorat. Les ralliements actuels de personnalités socialistes à Macron et celui de personnalités des républicains à la fois à Macron et à Le Pen augurent mal de la possibilité pour ces partis de se redresser. Le PS risque ainsi de disparaître tandis que, malgré le score supérieur à 10% que lui donnent aujourd’hui les sondages, la survie de LR n’est pas assurée. Au second tour de la prochaine élection présidentielle, la moitié des électeurs de Valérie Pécresse ont l’intention de voter pour Emmanuel Macron tandis qu’un quart préfère Marine Le Pen. L’élimination probable au premier tour de la candidate de LR pourrait provoquer l’implosion de ce parti.

Quelle recomposition du paysage politique?

L’apparition de cette structure tripartite, extrême-gauche – centre – extrême-droite, des forces politiques pourrait-elle être durable ? L’extrême-gauche représente aujourd’hui l’essentiel de la gauche de jadis mais relativement faible avec 17% et elle est divisée. En outre une nouvelle élimination de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de scrutin, pour la troisième fois consécutive, posera nécessairement la question de l’avenir de La France insoumise et de son chef. En outre, l’extrême-gauche risque d’être réduite à la portion congrue à l’Assemblée nationale après les élections législatives de juin. La stabilisation de cette tripartition est donc loin d’être assurée.

En revanche, la guerre en Ukraine est en train de renforcer le clivage apparu lors du second tour de l’élection présidentielle de 2017 qui, à travers Macron et Le Pen,  opposait idéologiquement l’européisme au nationalisme, favorisant l’établissement d’une nouvelle bipolarisation des forces politiques et accélérant  ainsi la recomposition du système. Jusqu’ici, le clivage politique entre l’extrême-droite et le centre macroniste s’opérait surtout sur la question de l’immigration. La guerre en Ukraine a donné à ce clivage une dimension supplémentaire et tout aussi importante, celle des attitudes à l’égard de la démocratie libérale. Si la question de l’immigration continue d’opposer l’extrême-gauche à l’extrême-droite, en revanche les attitudes à l’égard de la guerre en Ukraine les rapproche l’une de l’autre. Mélenchon, Le Pen et Zemmour avaient clairement exprimé avant l’invasion de l’Ukraine leur penchant pro-poutine. Si tous les trois (ainsi que Fabien Roussel) ont condamné l’invasion de l’Ukraine, leur opposition à la livraison d’armes à ce pays n’en a pas moins fait ressortir la permanence de leur ligne politique : opposition à l’OTAN, tropisme pro-russe, faible attachement à la démocratie libérale.

Marine Le Pen a ainsi déclaré le 3 mars : « Je suis très réservée sur la livraison d'armes parce que cela fait de nous des cobelligérants ». Eric Zemmour s’est opposé fermement à la livraison d’armes aux Ukrainiens et il a proposé de retirer la  France du commandement intégré de l’OTAN. De leur côté, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel se sont exprimés dans le même sens. Jean-Luc Mélenchon a dit regretter, dans une intervention à l’Assemblée nationale le premier mars, la fourniture d’armes : « Méfions-nous des solutions improvisées (...). Les moyens que nous employons ne doivent jamais se retourner contre nous. Je regrette que l'Union européenne ait décidé de fournir des armements nécessaires à une guerre, selon les termes du commissaire Josep Borrell. Cette décision ferait de nous des cobelligérants. Un engrenage s'enclenche, avec quelle légitimité ? Orienter ces armes à partir de la Pologne, terre d'OTAN, n'est-ce pas se mettre à la merci de toutes les parties prenantes au conflit ? » Fabien Roussel, le candidat communiste, s’est lui aussi opposé à toute livraison d’armes : « La France ne peut pas prendre part à ce conflit, ni directement, ni indirectement par l’intermédiaire de livraisons d’armes. »

Ces prises de position vont dans le sens d’une bipolarisation idéologique qui, dans le nouveau paysage redessiné par l’invasion de l’Ukraine, s’articulerait également sur la question de la démocratie. D’autant plus que Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ont rejoint Emmanuel Macron sur cette question.

Certes, cette bipolarisation idéologique ne coïncide pas avec l’état actuel des forces politiques car Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel et la majeure partie de leur électorat restent éloignés de l’extrême-droite, notamment sur la question de l’immigration, tandis que les Verts et le PS ne se sont pas ralliés à Macron, loin de là.

Néanmoins, dans la mesure où le centre macronien et l’extrême-droite, certes divisée pour l’instant, représentent chacun près d’un tiers de l’électorat, le rapport des forces tend à structurer une bipolarisation qui s’organiserait ainsi autour du clivage entre partisans de la construction européenne et défenseurs de la démocratie libérale d’un côté, populistes et neutralistes de l’autre. Le second tour de la prochaine élection, qui opposera très probablement Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ne pourra que renforcer la domination de ce clivage idéologique, d’autant que Marine Le Pen pourrait faire mieux qu’en 2017. Finira-t-il par trouver sa traduction au niveau des forces politiques ?