Politique à l’italienne edit

27 février 2018

Les Italiens votent ce dimanche 4 mars pour renouveler leur Chambre des députés et leur Sénat. Ce scrutin est caractérisé par de nombreuses incertitudes, dont trois méritent d’être soulignées. D’abord quant à la participation. Les derniers sondages disponibles, ils sont interdits de diffusion deux semaines avant le vote, faisaient apparaître un haut taux d’indécision des électeurs et une proportion non négligeable d’Italiens tentés par l’abstention, laquelle ne cesse d’augmenter au fil des élections. Ainsi, pour se contenter de scrutins comparables, l’abstention était de 20,5% aux élections politiques de 2008, et de 25% à celles de 2013. L’incertitude tient également à la façon dont les Italiens vont maîtriser le nouveau mode de scrutin en vigueur. Pour simplifier, 36% des députés et des sénateurs seront élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour et le reste à la proportionnelle. Le vote pour un candidat entraîne automatiquement un suffrage au parti ou à la coalition de partis qui le soutient, et vice-versa. Pour bénéficier de la répartition des sièges, un parti qui se présente seul doit avoir obtenu 3% des voix et une coalition de partis 10%. Enfin, naturellement pèse l’incertitude sur l’issue du vote, inhérente à toute élection mais plus encore pour celle-ci puisqu’il semblerait très difficile qu’une coalition obtienne la majorité absolue des sièges dans les deux Chambres. Faute d’une majorité parlementaire, que seul le centre droit serait en mesure de conquérir, les partis politiques et les élus, avec toutes les opportunités et transactions possibles qu’offre une démocratie parlementaire, puis le Président de la République, devront trouver une solution afin de constituer un gouvernement. Ou alors en cas d’impossibilité, de se résoudre à retourner devant les électeurs dans un délai plus ou moins proche.

Certaines de ces incertitudes se dissiperont dans la nuit de dimanche à lundi (les Italiens votent jusqu’à 23 heures). En revanche, la campagne électorale, elle, n’a pas vraiment permis de bien saisir les solutions des prétendants au pouvoir pour relever les immenses défis que l’Italie doit relever. Concernant par exemple, la croissance qui repart mais qui doit respecter l’environnement, les emplois à créer notamment pour les jeunes, la réduction de la dette publique, les inégalités de toute nature, la pauvreté qui s’est largement diffusée dans toute la péninsule, en particulier au Sud. Les conditions à réunir pour progresser dans l’intégration de l’immigration dans un pays qui connaît un déclin démographique mortifère. Les investissements nécessaires à réaliser en priorité pour la recherche, l’innovation, l’éducation et les universités qui abritent tant de talents mais qui n’ont pas les moyens de se développer pour figurer dans les classements internationaux et d’offrir des débouchés à leurs diplômés. La nécessité de poursuivre les réformes de l’administration publique afin de la moderniser encore davantage. L’impératif de lutter plus que jamais contre la criminalité organisée qui étend son emprise dans toute une partie de la péninsule. Et encore, voire surtout, l’obligation de clarifier la position de l’Italie envers l’Europe puisque ce pays a basculé dans l’euroscepticisme, et que désormais les souverainistes ont le vent en poupe. La campagne a été médiocre sur le fond, marquée entre autre par la fusillade du 3 février de Macerata où un militant de la Ligue Nord a tiré sur des Africains et quelques violences qui ont opposé des militants d’extrême droite et d’extrême gauche, ce qui a ravivé dans le pays l’opposition entre fascistes et antifascistes. Il en résulte qu’alors que la préoccupation principale des Italiens au mois de janvier était la question de l’emploi, puis celle des impôts, enfin celle des migrants, celle-ci est sans doute devenue la première des motivations du choix électoral pour le plus grand profit du centre droit. Celui-ci constitue l’un des trois principaux piliers et demi qui forme le système des partis politiques transalpins, un système en évolution constante.

Une précision s’impose toutefois d’ordre taxinomique, mais qui s’avère nécessaire de faire pour le public français. En Italie, pour des raisons historiques qui tiennent à l’héritage démocrate-chrétien comme à la crainte de la droite d’être assimilée au fascisme et à celle de la gauche d’être renvoyée au puissant Parti communiste, et pour des motifs politiques, la conviction qu’une élection se gagne au centre dans un pays où les modérés sont supposés être décisifs, on parle de centre droit et de centre gauche.

Le centre droit

Le centre droit est donc formé de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, de la Ligue Nord, de Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), et d’un petit regroupement de centristes intitulé Noi con l’Italia (Nous avec l’Italie). Forza Italia tente de jouer sur deux registres. Celui d’une droite ferme notamment sur les questions de sécurité et d’immigration, et celui d’un centrisme qui se veut responsable, par exemple à propos de la réforme des retraites, et pro-européen, en dépit de ce qui est écrit dans l’accord programmatique de la coalition qui envisage entre autre une réécriture des traités européens. Aussi Silvio Berlusconi ne cesse d’avancer le nom d’Antonio Tajani, Président du Parlement européen, pour occuper la fonction de Président du Conseil, ce qui rassurerait les modérés en Italie, les capitales européennes et les milieux financiers internationaux. Mais Silvio Berlusconi, outre qu’il est âgé, est bien moins populaire qu’à ses débuts en politique en 1994. Il peut compter sur un socle d’électeurs déterminés à le suivre jusqu’au bout mais si le vote de dimanche confirme les sondages, Forza Italia avec par exemple 18% des suffrages enregistrerait sa pire performance depuis sa création il y a quasiment un quart de siècle. En revanche, la Ligue Nord, et dans une moindre mesure, Fratelli d’Italia, là encore si les sondages ne se sont pas trompés, bénéficient d’une dynamique favorable, du fait de ses positions extrêmement dures contre les migrants – en pratiquant de manière délibérée un amalgame entre les immigrés en situation régulière en Italie, les clandestins et les réfugiés –, sur la sécurité et contre l’Union européenne et l’euro. Matteo Salvini, le secrétaire de la Ligue, rompt avec la tradition de son parti qui au départ, au tournant des années 1990, était régionaliste, expression de la partie riche de l’Italie qui ne voulait plus s’embarrasser du Sud. Il s’efforce désormais, non sans provoquer des crispations internes, de se transformer en Ligue nationale en s’inspirant du Front national, plutôt tendance Marion Maréchal-Le Pen. La Ligue d’ailleurs réalise une percée en Emile-Romagne et en Toscane, dans des terres jusque-là contrôlées par le Parti démocrate et son chef parcourt le Mezzogiorno à l’occasion de cette campagne électorale. Cette poussée en faveur de la Ligue et de Fratelli d’Italia atteste une droitisation du centre droit et de ses électeurs, en particulier dans le nord du pays. La Ligue ne cache pas ses ambitions : dépasser Forza Italia en pourcentage de voix afin de pouvoir permettre à Matteo Salvini de devenir président du Conseil. A défaut, celui-ci siègera au Sénat et pèsera de tout son poids sur le prochain gouvernement quel qu’il soit et sur l’action publique celui-ci.

Le Mouvement 5 étoiles

Le Mouvement 5 étoiles (M5S) semble continuer de progresser par rapport aux élections d’il y a cinq ans où il était déjà devenu le premier parti. Il surfe sur la profonde crise de défiance politique et se présente comme le seul parti qui n’a pas encore eu l’expérience du pouvoir national, à la différence du centre droit et du centre gauche. Les déboires de la maire de Rome qui échoue totalement à gérer la capitale et les révélations sur les députés sortants qui n’ont pas respecté les consignes de leur mouvement exigeant le reversement d’une partie de leurs indemnités parlementaires à un fonds créé par le mouvement mais géré par le ministère de l’Economie en faveur du crédit des PME ou encore sur des candidats au profil douteux, ce qui écorne leur image de personnes intègres, n’ont pas ébranlé les électeurs du M5S. Celui-ci est une formation attrape-tout. Il développe un populisme inclassable dans la cartographie européenne des populismes, mêlant des propositions de gauche, d’autres de droite, voire très à droite par exemple sur l’immigration, des revendications écologiques, une critique incessante de l’Union européenne même si désormais un référendum consultatif sur l’euro n’est envisagé qu’en « ultima ratio ». Il combine l’horizontalité de la démocratie directe via internet et une plate-forme numérique qui porte le nom de Rousseau, et la verticalité de ses dirigeants qui, en dernière instance, ont toujours le dernier mot. Le Mouvement 5 étoiles s’adresse à toutes les catégories sociales, dans l’ensemble de la péninsule (en 2013, il était la force politique répartie de la façon la plus équilibrée sur le territoire) avec toutefois un impact particulièrement fort auprès des couches les plus populaires, les moins instruites et dans le Sud qui, à quelques exceptions près, décroche toujours plus du reste du pays. Son jeune dirigeant, Luigi Di Maio, a introduit deux changements notables. Il cherche à crédibiliser son mouvement afin d’apparaître comme une force légitime à gouverner, et disposant de personnes supposées être compétentes. Il n’exclut plus de nouer des alliances avec d’autres partis, ce qui était inimaginable il y a encore quelques mois, notamment avec les forces anti-européennes, comme la Ligue Nord, Fratelli d’Italia et une partie de la coalition de la gauche de la gauche. Pour le moment, du moins, aucun des alliés pressentis n’a vraiment donné suite à ses avances.  

Le centre gauche et la gauche de la gauche

Le Parti démocrate (PD) de Matteo Renzi est essoufflé, concurrencé dans ses bastions du centre de la péninsule par la Ligue, le Mouvement 5 étoiles et la gauche de la gauche, quasiment absent ailleurs. Cette perte d’influence a plusieurs explications. Le PD subit le mécanisme désormais classique de sanction des sortants. La législature qui s’est achevée a été dominée par le PD avec trois présidents du Conseil issus de ses rangs, Enrico Letta, Matteo Renzi et Paolo Gentiloni. Trois hommes différents et qui ont eu des différends, notamment les deux premiers. Ils ont promulgué de très nombreuses réformes qui ont souvent suscité des oppositions du centre droit et divisé la gauche, notamment celles du marché du travail et de l’école. Il y a donc un évident désir de changement. D’ailleurs en Italie, depuis 1994, chaque élection s’est traduite par une alternance (1994, 2001, 2008, 2013). A cela s’ajoute l’équation personnelle de Matteo Renzi. Lequel a personnalisé son parti et sa politique, joué la carte de la médiatisation à outrance, pratiqué une forme de populisme de centre ou de gouvernement. L’échec du référendum institutionnel voulu par lui et conçu presque comme un plébiscite en décembre 2016 a contribué à son affaiblissement. Alors qu’il était porté par une popularité au zénith en 2014 lorsqu’il est devenu Président du Conseil et que son parti obtint la même année plus de 40% des voix aux élections européennes, il a perdu de sa popularité. Enfin, le PD est affecté par la crise de l’ensemble de la gauche européenne. Matteo Renzi a fait campagne en défendant le bilan des gouvernements de son parti, en annonçant des mesures plus sociales, en en appelant à l’antifascisme dans les derniers jours de la campagne et en adoptant une posture pro-européenne, comme le fait aussi l’un de ses principaux alliés, Emma Bonino, une dirigeante historique du Parti radical qui dirige la liste Più Europa (plus d’Europe). Mais Renzi est bien l’homme à abattre dans cette campagne. C’est l’objectif du centre droit, du Mouvement 5 étoiles et de la gauche de la gauche.

Celle-ci est rassemblée dans une coalition intitulée Libres et Egaux, emmenée par l’ex-président du Sénat. Elle défend une ligne de « gauche », en faveur des migrants, antifasciste aussi surtout ces derniers temps, face à la montée des activistes des néo-fascistes et la complaisance avérée d’une partie de la droite à l’égard de ces derniers. Elle était créditée de 5 à 7% des suffrages, pénalisant ainsi le Parti démocrate. Mais elle est aussi profondément divisée sur la question des alliances – faut-il ou non s’unir avec le PD ou le Mouvement 5 étoiles ? –, et sur l’Union européenne, certains de ses membres la fustigeant et n’excluant pas une sortie de l’euro, ce que rejettent la majorité des autres.

Ce paysage politique est mouvant. Si le centre droit obtient la majorité absolue dans les deux Chambres, il composera un gouvernement qui reflètera le rapport de forces propre à cette coalition ; en tout état de cause, ce sera un gouvernement qui tirera à hue et à dia, avec de fortes tensions internes et qui provoquera des inquiétudes dans les autres capitales. Si aucune majorité de sièges ne se dégage, les partis, les élus, puis le Président de la République devront trouver une solution pour former un exécutif qui sera sans doute fragile et qui pourrait avoir une durée de vie limitée, ce qui affecterait la crédibilité de Rome au niveau européen et international. Et dans ce cas, de nombreuses recompositions parlementaires pourraient se réaliser avec une certaine fragmentation des groupes et des phénomènes de transfuges, qui à leur tour pourraient avoir un effet retour sur les partis politiques.

En d’autres termes, l’Italie non seulement est caractérisée par de nombreuses inconnues sur son sort après le 4 mars mais encore par un processus continu de recomposition politique.