Angela Merkel vers une quatrième victoire: «Nous y arriverons.» edit

8 septembre 2017

Même si le référendum sur le Brexit, l’élection de Donald Trump et l’ascension improbable d’Emmanuel Macron doivent inciter à la prudence, tout laisse à penser qu’Angela Merkel rempilera pour un quatrième mandat après les élections législatives du 24 septembre. Son parti, la CDU-CSU, devance de 15 points dans les enquêtes d’opinion la Social-Démocratie (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD) menée par l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz. Les sondages varient de plus ou moins un point selon les semaines, mais la Démocratie chrétienne reste autour de 38% des intentions de vote. Et quand ces dernières faiblissent, ce sont les petits partis tournant autour de 8 à 9% qui en profitent et non le SPD. Les libéraux du FDP (Freie Demokratische Partei) devraient espérer le retour au Bundestag après une législature sabbatique. La gauche radicale Die Linke, parti protestataire, cède du terrain à l’extrême-droite, notamment dans l’ex-Allemagne de l’Est. L’Alternative für Deutschland (AfD) devrait faire son entrée au Parlement. Quant aux Verts, ils paieront leur « embourgeoisement ». La moitié des électeurs n’a pas encore arrêté son choix.

Le quotidien de Munich Süddeutsche Zeitung (centre gauche) titrait récemment « La bataille électorale commencera le 25 septembre ». Autrement dit, c’est au lendemain du scrutin, avec les discussions pour la formation d’un gouvernement de coalition, que se dessinera le véritable paysage politique de l’Allemagne – car il est exclu qu’un seul parti obtienne la majorité absolue. Ce n’est arrivé qu’une fois dans l’histoire de la République fédérale, en 1957, et encore Konrad Adenauer avait-il choisi de former une coalition avec une petite formation, disparue depuis, lors, le Deutsche Partei qui militait déjà pour la réunification du pays.

La championne de la démobilisation asymétrique

Angela Merkel devrait donc avoir le choix entre quatre solutions, en fonction de l’arithmétique parlementaire : soit une coalition dite « bourgeoise » avec les libéraux du FDP  – c’est la formule qui a dominé la vie politique (ouest) allemande ; soit une reconduction de la grande coalition avec le SPD, mais les sociaux-démocrates auraient bien besoin d’une cure d’opposition pour sortir de leur marasme électoral ; soit une alliance avec les Verts, déjà prônée en 2013 par des figures de l’écologie comme Daniel Cohn-Bendit ou le politologue Claus Leggewie ; soit, enfin, une combinaison originale dite « Jamaïca », car elle associerait le noir, couleur de la démocratie chrétienne, le jaune couleur des libéraux, et le vert des écologistes, à l’image du drapeau de la République jamaïcaine.

La chancelière a déblayé le terrain devant toutes les hypothèses. Elle n’a exclu aucune solution, sauf une coopération avec la gauche radicale ou avec l’extrême-droite anti-européenne. Elle a asséché le terreau idéologique de ses concurrents en puisant dans leur programme. Elle défend l’orthodoxie budgétaire et chante les mérites du Mittelstand (les entreprises moyennes), même si certains libéraux trouvent qu’elle n’est pas assez… libérale.

Son gouvernement de grande coalition a mis en œuvre depuis 2013 plusieurs revendications de ses alliés sociaux-démocrates, comme le salaire minimum, l’abaissement de l’âge de la retraite pour les salariés ayant eu une longue vie professionnelle, la création de crèches pour encourager l’emploi féminin, etc. Elle a levé les obstacles à un accord avec les Verts en annonçant, en 2011 à la suite de la catastrophe de Fukushima, la sortie du nucléaire pour 2020, puis en ouvrant les portes de l’Allemagne aux réfugiés à l’automne 2015, et plus récemment en laissant entendre qu’il fallait réfléchir à la fin du moteur à explosion. Elle l’a fait à sa manière, en ménageant l’industrie automobile, fleuron de l’économie allemande au centre du scandale sur le diesel, tout en lançant quelques perches vers les écologistes. Elle avait employé la même méthode avec le mariage pour tous. Au détour d’un entretien dans un journal féminin, elle avait levé son opposition à une discussion, à la grande satisfaction des progressistes. Elle-même a voté contre au Bundestag, ce qui n’a pas empêché l’adoption du mariage gay mais lui a valu le respect des conservateurs. Et quand le SPD veut un gouvernement paritaire hommes-femmes, la chancelière trouve l’idée intéressante.

Cette « triangulation », appelée aussi « démobilisation asymétrique », est l’un des secrets de sa réussite. Ce n’est pas le seul. Angela Merkel est le meilleur argument électoral de la Démocratie chrétienne. Après douze ans au pouvoir, elle reste populaire. Sa cote a baissé au cours des dernières semaines, campagne oblige, mais elle est toujours positive. Si le chancelier (la chancelière) était élu(e) au suffrage universel direct, elle battrait son rival à plate couture.

Martin Schulz avait pourtant bien commencé. Au début de l’année, il semblait parti pour menacer Angela Merkel. Nouveau venu sur la scène politique intérieure allemande, il n’était pas gêné pour critiquer un gouvernement auquel il n’avait pas appartenu, contrairement aux autres dirigeants sociaux-démocrates. Toutefois son équation personnelle n’a pas compensé son incapacité – ni celle de son parti – à trouver un thème mobilisateur. Angela Merkel fait campagne sur le thème « L’Allemagne va bien », les caisses de l’État sont pleines, le chômage est au plus bas, la croissance se maintient. Martin Schulz rétorque « Oui, mais elle pourrait aller mieux ». Loin de lever un espoir, cette phrase est reçue comme une critique adressée à l’ensemble de ses compatriotes dont les efforts laisseraient à désirer. En appelant à plus de justice sociale il a donné le sentiment de dénigrer ce qui a été accompli jusqu’alors. Sa critique des réformes Schröder l’ont mis en porte-à-faux vis-à-vis de ses camarades.

Accordez-moi encore un peu de votre confiance

La chancelière, au contraire, table sur l’aspiration de ses électeurs à la stabilité. Ça va bien et, avec moi, ça continuera à aller bien. Tel est le message. On lui reproche de prendre son temps, de différer les réformes, d’endormir les Allemands par une routine sans vision. Elle ne s’en défend pas. Elle reprend volontiers à son compte la boutade d’Helmut Schmidt : « celui qui a des visions doit consulter le médecin ».

Ce réalisme sérieux, voire ennuyeux, est en même temps trompeur. Angela Merkel est aussi capable de décisions radicales et impromptues. Voir la sortie du nucléaire ou l’accueil d’un million de réfugiés en 2015. Wir schaffen das (nous y arriverons), a-t-elle martelé pendant des semaines face aux commentaires sceptiques et même hostiles de ses propres amis politiques. Malgré les incidents, les ratés, les critiques sur les moyens financiers engagés, et les attentats terroristes qui n’ont objectivement rien à voir avec les réfugiés, mais qui sont souvent liés dans l’appréhension collective, l’Allemagne « y est arrivée ». Elle a réussi à accueillir et souvent à intégrer ces réfugiés. Là encore, la chancelière a mené une double politique, ouvrant les portes, refusant de fixer un « plafond » au nombre des migrants, et travaillant en même temps à en réduire le flux, en particulier grâce à l’accord peu glorieux conclu avec la Turquie.

Passé le moment où les Allemands ont été fiers de regarder leur visage humaniste dans le miroir des réfugiés, la popularité d’Angela Merkel en a souffert. Mais une majorité lui fait confiance pour régler les problèmes que sa décision a créés. La sécurité est la première des préoccupations des Allemands et ceux qui reprochent à la chancelière de l’avoir mise en danger comptent sur elle pour conjurer les risques. Face à son concurrent qui, n’ayant plus rien à perdre, est passé à l’attaque, Angela Merkel met en garde contre un saut dans l’inconnu. Elle clôt ses meetings électoraux par une note de fausse modestie : « Ce serait bien si vous m’accordiez encore un peu votre confiance ». Au moins pour les quatre prochaines années.