Une diplomatie en crampons: la CAN et le soft power marocain edit
Du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026, le Maroc accueille la 35e édition de la Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN). Le match d’ouverture du 21 décembre a consacré la victoire sportive (prévisible) de la sélection nationale marocaine contre l’équipe des Comores (2-0). Mais sur le plan stratégique, cette CAN consacre d’ores et déjà les succès d’une diplomatie chérifienne qui a su transformer ses stades ultramodernes en capacité de projection sur la scène continentale, au détriment des autres pays pressentis, notamment la Guinée.
L’influence, un savoir-faire marocain
Six villes marocaines – Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech, Fès et Agadir – accueillent la 35ᵉ édition de la Coupe d'Afrique des Nations. Pour la première fois, toutes les équipes seront logées dans des hôtels cinq étoiles, chacune disposera de son propre camp d’entraînement, et neuf stades répondant aux normes internationales les plus exigeantes serviront d’écrin à cette compétition. Ces chiffres ne relèvent pas du simple confort logistique : ils dessinent les contours d'une ambition géopolitique assumée. Le Maroc, 50ᵉ puissance mondiale au Global Soft Power Index 2025, troisième en Afrique, premier au Maghreb, entend faire de cet événement sportif un outil de consolidation de son statut de puissance africaine émergente.
Pourtant, fin septembre 2025, soit trois mois avant le coup d’envoi, une série de manifestations populaires a éclaté dans plusieurs villes du royaume. Menées par des jeunes se réclamant de la « Génération Z 212 », ces protestations dénonçaient la dégradation des systèmes de santé et d’éducation, le chômage endémique des jeunes, et surtout les dépenses publiques jugées excessives consacrées aux infrastructures sportives. La CAN 2025 cristallisait un mécontentement social latent : celui d’une partie de la jeunesse qui ne se reconnaît pas dans la vitrine du développement mise en scène par l’Etat, comme cela arrive de manière récurrente dorénavant face à la tenue de méga-événements.
Le royaume investit massivement dans les ressources immatérielles – diplomatie sportive, infrastructures de classe mondiale, partenariats continentaux - précisément parce qu’il ne dispose pas d’une puissance militaire de premier plan, ce qui ne l’empêche pas de témoigner d’un réel savoir-faire en matière d’influence. C’est d’ailleurs la deuxième fois que le Royaume accueille la CAN.
La CAN, géopolitique d’un moment footballistique
Depuis sa création en 1957, soit avant l’indépendance de nombreux Etats africains, la Coupe d’Afrique des Nations épouse les soubresauts politiques du continent. La première édition ne réunissait que trois pays – l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie – l’Afrique du Sud étant exclue en raison de sa politique d’apartheid. Il faudra attendre 1962 pour voir neuf équipes participer. Aujourd'hui, avec 24 équipes depuis 2017 et un format qui passera à une fréquence quadriennale plutôt que biennale, la CAN s’affirme comme l’un des événements sportifs majeurs du calendrier continental et mondial. Le passage à tous les quatre ans sera d’ailleurs compensé par la création d’une Ligue des Nations africaine annuelle à partir de 2029, témoignant de la montée en puissance institutionnelle du football africain.
Sur le plan sportif, le Maroc arrive en position de favori. Les Lions de l’Atlas, demi-finalistes de la Coupe du monde 2022 – une première pour une équipe africaine –, incarnent la partie visible d’une politique volontariste au service du football. Depuis les Assises de Skhirat en 2008, la création de l’Académie Mohammed VI de football en 2009 et l’arrivée de Fouzi Lekjaa à la tête de la Fédération Royale Marocaine de Football en 2014, le royaume a bâti un écosystème performant fondé sur la formation, la gouvernance et l’ouverture continentale. Les binationaux français, espagnols ou belges n’hésitent plus à défendre les couleurs marocaines, signe d’une attractivité retrouvée. Quelques jours avant la CAN, le Maroc a remporté la Coupe arabe face à la Jordanie, ajoutant un titre à son palmarès et renforçant la confiance collective.
Cette édition 2025 intervient à un moment stratégique. En 2026, le Maroc accueillera plusieurs événements sportifs internationaux d’envergure, préfigurant la Coupe du monde 2030 qu’il coorganisera avec l’Espagne et le Portugal. La CAN devient ainsi un test grandeur nature, un laboratoire logistique, sécuritaire et médiatique.
Quelles ambitions internationales pour le Maroc?
L’organisation de la CAN 2025 s'inscrit dans une trajectoire de long terme. Elle arrive au moment où le Maroc connaît une grande victoire diplomatique : la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental à l’ONU, et plus encore par une majorité d’États africains, couronnant les efforts entrepris depuis le retour du royaume au sein de l’Union africaine. Cette consolidation territoriale et diplomatique constitue le socle sur lequel repose la stratégie d’influence continentale.
Puissance militaire moyenne, 2e budget de défense du continent après l’Algérie avec 13 Mds US$ en 2024, le Maroc a choisi d’investir massivement dans les ressources immatérielles. Le royaume se présente comme premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest, multipliant les partenariats économiques et institutionnels. La Fédération Royale Marocaine de Football a ainsi signé une quarantaine d’accords de partenariat avec des fédérations du continent, témoignant d’une stratégie d'influence douce fondée sur le partage d’expertise, l’accompagnement technique et la solidarité sportive. Depuis des années, le Maroc accueille les sélections africaines privées de stades ou de sécurité, leur prêtant ses infrastructures, ses centres d'entraînement, ses aéroports. Cette solidarité concrète, visible, mesurable, construit une proximité affective que les puissances du Golfe, la Turquie ou la Chine ne peuvent acheter.
La CAN 2025 fonctionne donc comme une plateforme diplomatique à part entière. Elle permet au royaume de démontrer sa capacité organisationnelle, sa modernité administrative – avec notamment le visa électronique pour supporters et délégations – et son efficacité sécuritaire. Les investissements massifs dans les infrastructures ferroviaires, autoroutières et aéroportuaires, estimés à près de 1 000 milliards de dirhams d'ici 2030, traduisent une planification stratégique intégrant sport, transports, tourisme et développement industriel. Les données observées avant décembre 2025 montrent déjà une hausse significative des arrivées touristiques dans les villes hôtes, tandis que les investissements directs étrangers dans les secteurs liés aux infrastructures connaissent une dynamique soutenue.
L’enjeu communicationnel est ici central. Il s’agit de repositionner le Maroc sur la scène globale et africaine non seulement comme un pays hôte efficace, mais comme un hub régional capable de gérer des événements d’envergure mondiale. Les campagnes de promotion, la mobilisation des médias internationaux, la présence accrue de délégations étrangères depuis 2024 participent à cette construction narrative.
Pour le Maroc, l’objectif est clair : assurer la pérennité des enceintes au-delà de l’événement, au service des clubs locaux et du tissu sportif national. Le Stade Olympique de Rabat, le Stade Hassan II ou le Stade Al Barid sont autant de lieux qui devront irriguer durablement l’économie du sport marocain. La coopération avec des modèles éprouvés comme ceux du Royaume-Uni et de l’Espagne apparaît essentielle pour développer des compétences inspirées de la Premier League et de la Liga, deux références majeures du soft power sportif. La CAN agit aussi comme accélérateur d'innovation numérique, avec le déploiement de solutions de billetterie, de streaming, de sécurité et une couverture 5G renforcée dans les villes hôtes.
Après la fête du football, quels résultats de long terme?
La capacité du royaume à transformer cet événement en levier durable de transformation économique, sociale et géopolitique, tel est l’enjeu de cette compétition. La réussite de la CAN 2025 ouvrirait alors la voie à d’autres événements majeurs (tournois féminins post-2030, projets olympiques à l’horizon 2036-2040), et renforcerait durablement la position du Maroc dans les instances africaines et mondiales.
À condition, bien sûr, que l’écart entre la vitrine internationale et les réalités domestiques s’estompe et que les infrastructures bénéficient pleinement aux populations locales. Néanmoins, une certitude demeure : le Maroc cherche moins à dominer son environnement qu’à s’y relier durablement. En accueillant l’Afrique, le royaume rappelle qu’il en est une composante pleine et entière. Dans un monde où l’influence se gagne autant par la proximité affective que par la puissance économique, le Maroc mise sur une diplomatie en crampons, autrement dit un outil de puissance tranquille.
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