La décomposition du système des forces politiques s’accélère edit

19 avril 2022

Au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, les candidats des deux grands partis de gouvernement, PS et UMP, avaient obtenu 56% des suffrages exprimés. En 2017, ils n’obtenaient plus que 26% dont 6% pour le Parti socialiste, qui subissait ainsi un véritable effondrement tandis que l’UMP reculait de manière significative. En 2022, ce total est tombé à 6%, marquant la marginalisation des deux anciens partis de gouvernement (tableau 1). Entre 2012 et 2022, le système des forces politiques a connu ainsi une transformation complète au bénéfice de l’extrême-gauche, du centre et de l’extrême-droite. Comment s’est opérée cette mutation ?

Tableau 1 - La transformation du système des forces politiques aux élections présidentielles, 2012-2022 (%)

Un sondage d’intentions de vote d’OpinionWay  publié le 14 février dernier plaçait cinq candidats au-dessus de 10% et un seul au-dessus de 20%. Le 10 avril 2022, trois candidats, Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, ont obtenu près des trois-quarts des suffrages exprimés (tableau 2). Aucun des neuf autres candidats n’a dépassé 7%. Que s’est-il passé entre ces deux dates du point de vue de l’évolution des intentions de vote ?

Tableau 2 - Évolution des intentions de vote entre le 14 février et le 4 avril et résultats du premier tour le 10 avril (%)

* Sondage OpinionWay

Dès le 14 mars a paru s’enclencher une dynamique en faveur de Mélenchon, Macron et Le Pen tandis que Zemmour et Pécresse pâtissaient d’une tendance baissière et que les candidatures Jadot et surtout Hidalgo devenaient marginales. Le 4 avril ces mêmes dynamiques se poursuivaient sauf pour Macron qui, après avoir profité de l’« effet drapeau » produit par l’invasion russe en Ukraine, connaissait une baisse en avril tout en se situant au-dessus de son score de février. Le fait que ces dynamiques se soient poursuivies jusqu’au jour du vote prouve l’importance des sondages d’intentions de vote dans la prise finale de décision des électeurs, sondages particulièrement nombreux et quotidiens pendant la période. Les trois candidats arrivés en tête ont en effet bénéficié largement du phénomène du vote utile, comme le montre le tableau 3.

Tableau 3 - Vote utile et vote au premier tour de l’élection présidentielle. (%)

* sondage OpinionWay

La moitié des votes en faveur de Mélenchon et un tiers des votes en faveur de Macron et de Le Pen ont été des votes utiles (réponse : J’ai voté utile en prenant en compte les chances de chaque candidat), tandis que les candidats qui n’ont pas dépassé 7% n’ont rassemblé que les votes des électeurs ayant donné la priorité à leur candidat préféré (réponse : J’ai voté pour mon candidat préféré quelles que soient ses chances de l’emporter). La dynamique de la campagne a donc joué fortement en faveur des candidats qui ont paru capables d’obtenir des scores significatifs.

Le processus politique par lequel les candidatures d’Hidalgo, Jadot et Pécresse mais aussi de Zemmour ont été marginalisées apparaît clairement à la lecture du tableau 4 qui montre comment les électeurs ont voté selon leur auto-positionnement sur l’axe gauche/droite

Tableau 4 - Vote au premier tour de l’élection présidentielle selon l’auto-positionnement sur une échelle gauche/droite. (%) *

* sondage IFOP du jour du vote

La marginalisation d’Hidalgo, Jadot et Pécresse s’explique de deux manières. D’une part du fait que les électeurs qui se situent à gauche ont voté, comme ceux qui se situent à l’extrême-gauche, pour les candidats d’extrême-gauche et non pour Hidalgo ou Jadot. De même, les électeurs se situant à droite ont voté, comme ceux qui se situent à l’extrême-droite, pour les candidats d’extrême-droite et non pour Pécresse, un quart d’entre eux, à l’opposé, votant directement pour Macron. D’autre part les électeurs se situant au centre-gauche n’ont pas voté non plus pour Jadot et Hidalgo, préférant Macron et dans une moindre mesure Mélenchon. Quant aux électeurs se situant au centre droit, ils ont, eux aussi, préféré Macron, un quart votant pour les candidats d’extrême-droite. Il s’est ainsi formé une double polarisation, à gauche entre l’extrême-gauche et le centre, à droite entre l’extrême-droite et le centre, provoquant une marginalisation des candidatures de Jadot, Hidalgo ou Pécresse qui pouvaient espérer attirer, les deux premiers les électeurs de centre-gauche, et la troisième ceux du centre droit.

À l’issue de la période 2017-2022, la bipolarisation gauche/droite a laissé ainsi la place à une tripartition extrême-gauche/centre/extrême-droite. Cette tripartition pourrait-elle structurer dans l’avenir la recomposition du système partisan ? Le duel du second tour annonce-t-il plutôt une bipolarisation entre le centre et l’extrême-droite ou encore la domination du centre si Macron est élu ? S’il n’est pas possible de répondre à ces questions avant les élections législatives de juin certaines observations peuvent cependant être faites à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle.

Des trois pôles formés au premier tour, le pôle d’extrême-gauche paraît a priori le plus faible et le plus friable. Mélenchon sera absent du second tour et nous avons vu que son électorat est celui qui, des trois, comprend la plus forte proportion de vote utile (50%). Comme le montre le tableau 5, cet électorat apparaît divisé à la veille du second tour, une grosse moitié n’exprimant pas d’intention de vote tandis que 28% ont l’intention de voter pour Macron et 16% pour Le Pen. Combien voteront pour les candidats soutenus par LFI au premier tour des élections législatives alors que Mélenchon refuse tout accord avec le PS et que la majorité des électeurs de Jadot voteront pour Macron au second tour de l’élection présidentielle ?

La position de Marine Le Pen est plus favorable. Elle sera présente au second tour et l’écrasante majorité des électeurs de Zemmour ont l’intention de voter pour elle, ce qui constitue au départ un puissant un pôle d’extrême-droite. Si elle obtient les 45% ou plus au second tour, elle apparaîtra au lendemain de l’élection comme incarnant l’opposition principale au président réélu. Je n’envisage pas ici l’hypothèse de son élection, qui créerait une situation politique encore plus imprévisible.

Enfin, si Macron est réélu, il sera dans une position favorable pour obtenir à nouveau une majorité absolue à l’Assemblée nationale. La question est de savoir comment s’organisera le pôle macroniste avant et après les élections législatives.

Tableau 5 - Reports des voix au second tour des électeurs de Mélenchon, Jadot, Pécresse et Zemmour (%)

* Sondage IPSOS du 15 avril

Quels que soient les résultats de l’élection présidentielle et des élections législatives qui la suivront, ces scrutins marqueront la poursuite du processus de décomposition du système des forces politiques entamé en 2017. Si la recomposition est encore difficile à percevoir, il est clair que les écologistes, les socialistes, les Républicains et Eric Zemmour n’y joueront pas les premiers rôles.