Hamon, Mélenchon et Le Pen sont dans un bateau - et ils naviguent dans l’irréel edit
Le malaise économique de la France est bien réel. Ceux qui l’étudient depuis longtemps – chercheurs indépendants, organisations internationales comme l’OCDE ou le FMI, responsables politiques, commissions ad hoc, etc. – partagent très largement le diagnostic et les mesures qui s’imposent.
Les syndromes sont clairs : croissance aplatie, chômage de masse, désespérance des jeunes des banlieues. Les causes sont également relativement bien comprises : un marché du travail dysfonctionnel (césure CDI-CDD, SMIC qui exclut les personnels non-qualifiés, incertitude juridique, etc.) ; une pression fiscale aiguë, mais insuffisante pour financer les dépenses publiques ; une réglementation paralysante ; un système de protection sociale qui n’a su s’adapter ni à la montée des coûts médicaux, ni au vieillissement de la population, ni au chômage de masse ; l’incapacité de l’Education nationale à préparer tous les jeunes à la vie active ; et un centralisme jacobin qui crée une fossé entre les ministères parisiens et ce qui passe sur le terrain. Les solutions possibles ont aussi été étudiées et réétudiées. On pourrait croire que cette masse de connaissances ne demandent qu’à être utilisées, adaptées en fonction des opinions politiques de chacun.
Et bien, non. Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Marine Le Pen n’ont visiblement aucune intention de partir de ce diagnostic pour bâtir leurs programmes. Ils sont ailleurs, alignant des propositions qui ont beaucoup de ressemblances dans les détails et qui vont presque toutes en sens opposé de ce qui est nécessaire. Le plus sidérant que les intentions de vote en faveur de ces trois candidats atteignent aujourd’hui 55%.[1] Plus d’un Français sur deux ! On peut se réjouir qu’ils ne vont pas faire cause commune et remporter l’élection haut la main. Mais on peut se désespérer que les Français soient tellement dans l’air du temps, ces illusions qui ont provoqué le Brexit et envoyé Trump à la Maison-Blanche.
Tous les trois sont généreux. Ils proposent d’augmenter les dépenses publiques et de baisser les impôts – sauf sur les riches pour Mélenchon qui veut faire mieux que Hollande en les taxant à 100%. Ils se retrouvent aussi pour abaisser l’âge du départ à la retraite, alors que l’augmentation de la durée de vie rend inévitable de faire comme les autres pays avancés, passer à 65 puis 67 ans, et probablement plus à terme. Mélenchon et Hamon veulent augmenter le SMIC et les aides sociales, deux causes importantes de chômage. Ils envisagent sérieusement de donner un coup de pouce aux salaires des fonctionnaires, ce qui aurait pour effet d’alourdir le budget de l’État, qu’il est pourtant impératif de réduire. Aucune de ces préoccupations ne semble les atteindre.
Les trois candidats se retrouvent dans leur enthousiasme pour la politique industrielle et des grands projets d’investissements publics. Leur foi étatiste serait désarmante si, encore une fois, l’expérience n’avait pas démontré que l’État-stratège est presque toujours un mauvais investisseur qui gaspille des sommes considérables sans résultat tangible à la sortie, parce qu’il se trompe ou qu’il est trompé par des groupes de pression qui abusent de sa naïveté. Hamon avance l’idée que ce sont les citoyens qui choisiront où investir, témoignant d’une foi absolue dans la sagesse populaire.
Mélenchon et Le Pen se retrouvent pour sortir de la zone euro et de l’UE. Ils le font en rejetant la discipline budgétaire et le principe de concurrence internationale. Défenseurs de diverses taxes aux frontières et autres barrières commerciales, ils s’imaginent pouvoir convaincre les partenaires européens, une illusion feinte. Ils le font surtout en remettant au goût du jour l’idée que la dévaluation est le moyen de gagner en compétitivité. Ce faisant ils oublient une expérience mille fois répétée – en ce moment au Venezuela. Une dévaluation crée toujours de l’inflation, qui élimine vite l’avantage compétitif espéré. C’est précisément pour mettre un terme à cette fuite en avant – le cercle vicieux dévaluation-inflation – que l’euro a été créé.
Plus généralement, les trois candidats affichent une incompréhension totale de ce qu’est la monnaie. Tous deux souhaitent que la Banque de France finance les déficits publics ou les emprunts aux entreprises. C’est si tentant, en effet. Mais, c’est le plus sûr chemin vers une inflation galopante, comme on l’a vu et revu, que ce soit en Allemagne dans les années 1920, au Brésil dans les années 1970-80, en Argentine et au Zimbabwe il y a une dizaine d’année et en ce moment – encore ! – au Venezuela. Ils semblent ignorer que l’inflation est une taxe qui affecte en premier les plus défavorisés, le cœur de leurs cibles électorales. Cette confusion se retrouve dans leurs propositions de faire coexister l’euro et un « euro-franc » (Le Pen) ou une « monnaie commune » (Mélenchon), des concepts parfaitement nébuleux.
Positionnement oblige, chacun des trois candidats développe sa petite musique personnelle. Le programme de Jean-Luc Mélenchon évoque en partie le programme commun qu’avait porté François Mitterrand en 1981, à la puissance dix : « pôle bancaire public », augmentation du SMIC, réduction du temps de travail, abaissement de l’âge de la retraite, sécurité sociale à 100%, dépenses publiques accrues et pression fiscale alourdie. D’autres idées encore plus extrêmes, par exemple le rejet pur et simple du Pacte de stabilité, le financement des déficits par la BCE, les taxes aux frontières, ou le rejet de tous les traités commerciaux, impliquent une sortie de l’UE, et bien sûr de la zone euro. Le début d’application d’une petite partie de ces mesures avait précipité la France dans une grave crise économique et financière dès 1982. Mitterrand a hésité, puis choisi de « rester en Europe », en nommant Jacques Delors aux finances avec pour mission de rétablir la situation, au grand dam de son aile gauche, emmenée par Chevènement, et de son allié communiste. À écouter Mélenchon, ce ne serait pas son inclination, lui qui affiche de solides sentiments protectionnistes. Il est le seul à avoir tenté de chiffrer son programme, mais il oublie bien des dépenses et fait des hypothèses de revenus tellement exotiques qu’on ne sait par où commencer pour expliquer que ce n’est pas possible. C’est la technique de l’accumulation des « faits alternatifs », une vague d’erreurs de raisonnement tellement puissante qu’elle renverse toute tentative d’argumentation.
Benoît Hamon part dans une autre direction, celle du rêve éveillé qui masque une résignation surprenante face aux difficultés du pays. Il accepte le chômage de masse, dont il pronostique l’accroissement, mais il en fait un point positif. Fini le travail pour tous, passons aux 30 heures, au temps partiel et au revenu universel. Hollande avait fini par découvrir, bien tardivement et bien timidement, l’économie de l’offre, l’idée de mobiliser plus de ressources, dont le travail, pour produire plus et donc augmenter le pouvoir d’achat. Hamon, lui, veut mobiliser moins de ressources et en même temps augmenter le pouvoir d’achat. Que moins de production, le corolaire de moins de personnes moins longtemps au travail, puisse créer plus de revenus devrait sauter aux yeux de tout un chacun comme une erreur de raisonnement. Un peu comme Mélenchon, qui le dit explicitement, il semble croire qu’en augmentant la demande, grâce au revenu universel et d’innombrables et coûteuses subventions à son électorat cible, l’offre suivra. Si c’était vrai, augmenter les déficits et imprimer de la monnaie serait la solution. Très malheureusement, cela a été essayé, des dizaines de fois, et ça s’est toujours, absolument toujours, très mal terminé. Parler d’un monde nouveau à découvrir, ou comme il dit à refonder, revient à échapper à ce qui est la responsabilité première de tout candidat : décrire ce qu’il fera et quelles en seront les conséquences. Ces idées à découvrir n’existent tout bonnement pas, et c’est bien pour ça qu’il est incapable de les énoncer. On ne peut s’empêcher de penser à Trump et ses plans à annoncer « la semaine prochaine ».
Bien en phase sur le plan économique avec ses deux concurrents, Le Pen ajoute des petites touches destinées à satisfaire son électorat xénophobe. Bien sûr, elle veut freiner l’immigration, ignorant le vieillissement de la population et le fait que les immigrés accomplissent à bas prix des tâches que les autochtones ne veulent plus assurer. Sa réponse est une politique nataliste, un projet coûteux aux résultats incertains. Elle colore son enthousiasme pour la politique industrielle d’aides diverses aux petites et moyennes entreprises, partageant avec d’autres candidats le mythe des petits patrons courageux, qui avait fait le lit du poujadisme il y a plus d’un demi-siècle. Son goût pour le protectionnisme que, curieusement comme Montebourg, elle intitule patriotisme économique, est en conflit direct avec les principes de l’UE. Elle s’engage à convaincre nos partenaires européens de la suivre. Ce n’est pas seulement illusoire, c’est aussi et surtout malhonnête. Aucun d’entre eux n’est prêt à envisager de telles politiques. Évidemment, elle peut rêver au jour où ses amis politiques seront au pouvoir dans de nombreux pays en Europe, mais c’est une hypothèse parfaitement improbable.
Au final, aucun de ces trois candidats ne s’attaque aux problèmes essentiels. S’ils reconnaissent qu’il y a un problème de compétitivité, ils s’en sortent en voulant sortir de l’euro ou en distribuant des cadeaux, alors qu’il s’agit de réduire les coûts de production. Aucun n’envisage de réduire le poids de l’État, bien au contraire. Aucun ne semble comprendre que le système de protection sociale marche à l’envers et ne peut pas survivre tel quel. Le chômage de masse est soit ignoré (Le Pen), soit glorifié (Hamon), soit traité d’un coup de baguette magique (Mélenchon). Fuir la réalité pour faire rêver les clientèles électorales semble marcher car, comme les Anglais et les Américains, les Français ne font plus confiance aux élites et aux experts, qui se sont trompés et qui les ont trompés. C’est pour cela qu’il est essentiel que les deux autres candidats, Fillon (si c’est lui) et Macron, redressent la barre.
[1] Sondage OpinionWay pour Les Échos, Radio classique et Orpi paru dans Les Échos du 20 février.
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