Les BRICs font aussi du cinéma edit
Cinéma et puissance ont-ils partie liée ? Les pays émergents qui aspirent à rayonner dans le concert des nations cherchent-ils à développer leur cinéma ? Une exploration des politiques des BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine) révèle une spirale vertueuse : développement économique, émergence d’une classe moyenne et effort pour financer des industries de l’image vont de pair. Cette dynamique diffère toutefois d’un pays à l’autre.
L’Inde n’a pas attendu d’être une puissance émergente pour s’enthousiasmer pour « la lanterne magique ». La culture hindouiste est ancrée dans une constellation d’images de dieux, demi-dieux, déesses et créatures divines qui accompagnent le quotidien des croyants : il s’est donc noué très tôt une affinité entre le cinéma et le principe de la maya (illusion cosmique) , telle qu’elle est définie par la religion hindoue. Dès les années 20, la production de films s’envole alors que le pays était encore sous domination britannique (927 films produits entre 1921 et 1930). Après l’indépendance, Nehru a encouragé le développement du cinéma hindi afin de fédérer un pays éclaté en 28 États fédérés et une multitude de langues et de cultures. Né de prédispositions culturelles et stimulé par l’action de ses dirigeants politiques et économiques, le cinéma indien est le plus prolifique du monde (1288 films en 2009) et sa distribution s’appuie sur un bon maillage de salles.
Cet élan producteur ne se ralentit pas (+ 18 % de films entre 2006 et 2009), et l’engouement du public pour ses romances locales ne fléchit pas (89 % de parts de marché en salle en 2009), les films de langue hindi occupant continument la tête du box office, alors qu’ils représentent moins du quart de la production. Certes, la contribution de l’Inde aux recettes du cinéma mondial, 4,8 %, ne la place qu’au cinquième rang, après les Etats-Unis, le Japon, la France, et le Royaume- Uni. Mais elle ne cesse de croître : elle a plus que doublé en dix ans. Les exportations du cinéma indien recouvrent entre 10 et 20% de ses recettes. Dans une période récente, les films indiens ont connu quelques déconvenues, la fréquentation en salles s’étant réduite. En effet, en 2009, les producteurs, en conflit avec les multiplexes sur le partage de la rente, ont refusé de livrer leurs blockbusters ; et, en 2010, on a noté une baisse de la qualité des films. Face à ces difficultés, le milieu professionnel a immédiatement réagi, en réduisant les coûts de fabrication, et en initiant des accords de distribution avec les télévisions (450 chaînes) et avec le secteur de la vidéo. Enfin l’opérateur de multiplexes Cinemax a engagé un investissement important pour doubler le nombre d’écrans dans ce pays. En Inde, les industriels et les financiers s’enorgueillissent de parier sur le cinéma tenu à la fois comme une passion nationale, comme une rampe de notoriété pour le pays et, last but not least, une activité rentable.
Le cinéma chinois a connu plusieurs périodes fastes : un âge d’or dans les années 1930, une période comme instrument de propagande après la Révolution de 1949. Mais c’est vraiment dans les années 1990 qu’il refait surface avec l’émergence de nouveaux réalisateurs issus du continent (Zhang Yimou, Chen Kaige), d’une part, et des réalisateurs issus de Hong-Kong ou de Twaivan, de l’autre, tous primés dans les festivals internationaux. En quelques années, la Chine continentale a doublé sa production (526 films en 2010) et les recettes en salles ont augmenté de 61 % en 2010. La part de marché des films nationaux en salle est assez satisfaisante (56 %), peut être grâce à une limitation, par des quotas, des longs métrages étrangers. Parallèlement, les Chinois plébiscitent aussi les grands films anglo-saxons Avatar, Inception, Alice aux pays des merveilles et Harry Potter occupent les sommets du box office en 2010 – la Chine est le second pays équipé en écrans 3 D après les Etats-Unis. Faiblesse du système : le manque de salles. Le pays en possède moins que l’Inde, notamment parce que les campagnes en sont largement dépourvues : par conséquence le taux de fréquentation par habitant est faible. Pour pallier cette carence, la China Film Producers Association a déclaré que son parc devrait s’agrandir de 1500 écrans d’ici 2011 et que le nombre total d’écrans devrait doubler d’ici 2015. Les exportations de films chinois ont rapporté 358 millions d’euros en 2010 (plus du double de la France), alors que la Chine se donne pour objectif de doper ses exportations de produits culturels. Si le public chinois est moins cinéphile que le public indien, la Chine, à l’image de l’Inde, multiplie les initiatives pour se hisser dans « les géants » du cinéma.
Après une longue période d’atonie qui avait fait oublier le cinema novo des années 60, l’industrie du film brésilien redémarre. 70 films ont été produits en 2010, alors que ce pays en produisait presque moitié moins au début des années 2000. La part de marché des films nationaux (18, 8 %) se cesse de se renforcer, mais demeure modeste. Si le public est sensible aux grands films américains (Shrek, Toy Story ou Alice au Pays des merveilles), un film brésilien prend la tête du box office en 2010 (Tropa de Elite) avec 13 millions d’entrées. Handicapé par le manque de salles et le piratage, le cinéma brésilien a engagé un vaste programme pour accroitre son parc dans les quartiers populaires : un fonds de 220 millions d’euros a été mis en place par le gouvernement de Lula en 2010. Et cette même année a été instauré un quota à l’écran pour les films brésiliens dans toutes les salles de cinéma du pays.
La Russie, malgré une vieille tradition cinématographique, n’a connu une réelle relance de sa production qu’en 1996. Celle-ci demeure modeste : avec 69 films en 2010, la part de marché des films nationaux est faible (14 %), et même en baisse. De fait, le public russe s’enthousiasme pour les grands films américains (Avatar, Shrek). Ainsi, il fréquente de plus en plus les salles de cinéma (+ 80 % d’entrées entre 2006 et 2010), grâce à un parc en plein essor qui privilégie le numérique et l’équipement en 3D. Les producteurs russes multiplient les coproductions internationales pour élargir leur public, et l’Etat négocie des traités de coopération avec les pays européens qui aident leur cinéma (France, Allemagne, etc.). Par ailleurs un Fonds fédéral pour le soutien à l’industrie nationale a été créé en 2010 (108 millions d’euros).
Des BRICs, l’Inde caracole en tête, bénéficiant d’une très ancienne tradition d’engagement de la société civile dans le cinéma. Mais les autres pays se mobilisent aussi au service du 7e art. La Chine, pays le plus offensif , agit sur tous les registres : production filmique, parc de salles, volonté exportatrice. Le cinéma brésilien renaît, toutefois les succès d’exportations du Brésil viennent surtout des télévovelas de TV Globo qui se vendent partout dans le monde – entre 1965 et 2010, deux cent cinquante-trois telenovelas et soixante-six mini-séries ont été crées. La Russie, de son côté, met en avant un projet culturel plus modeste. Tenant compte de l’appétit des classes moyennes pour les sorties cinéma, elle s’organise pour développer le parc de salles.
Le décollement économique engendre celui des industries de l’image, un marché qui traduit l’avènement de la société des loisirs. L’Inde, toutefois, assigne au cinéma une dimension « plus politique » que les autres pays des BRICs. Avec les films de Bollywood, spectacles complets ritualisés et dégageant une intense énergie visuelle, elle a lancé son effigie dans l’orbite du monde. Autrement dit, ces films contribuent à créer et véhiculer une certaine idée de l’Inde. Celle-ci conjugue la promotion de la démocratie (Sunil Khilnani) et l’exaltation de sa vitalité économique.
(Données issues du Focus Film 2011 de l’Observatoire européen de l’audiovisuel)
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