Que peut faire Macron pour les jeunes? edit

14 septembre 2017

Plusieurs déclarations gouvernementales touchant plus ou moins aux questions de la jeunesse ont alimenté ces dernières semaines l’actualité politique, qu’il s’agisse des aides au logement (dont bénéficient massivement les étudiants), des emplois aidés ou de la sélection à l’université. Une première remarque : lancées à l’emporte-pièce, et sans qu’apparaisse pour le moment une cohérence ou un plan d’ensemble, ces annonces sont politiquement dangereuses. Les jeunes en France, on le sait depuis longtemps (tout le monde garde le souvenir du crash du CPE de Dominique de Villepin), sont une matière hautement inflammable. Attachés aux symboles de l’égalité (même lorsque ces derniers masquent l’inégalité réelle), les jeunes peuvent rapidement succomber à des réflexes protestataires dès lors qu’ils sont attisés par des organisations qui savent par quel bout les prendre.

Pourtant l’inaction serait pire que tout car les jeunes ont été bien mal servis par le gouvernement précédent qui avait choisi la facilité de politiques dont tout le monde sait depuis longtemps qu’elles sont inefficaces (les emplois aidés dans le secteur non marchand), mais qui pouvaient donner le sentiment à l’opinion qu’on dépensait beaucoup d’argent pour les jeunes et que donc on s’occupait d’eux. On a déjà dit dans ces colonnes que ces politiques, qui en réalité éloignent les jeunes du marché du travail réel, ne leur rendent pas vraiment service. D’ailleurs les réactions aux annonces de baisse des emplois aidés en sont presque la preuve. Qui proteste en effet ? Les jeunes ? Que nenni, ce sont les associations ou les collectivités locales qui se plaignent de perdre une main d’œuvre bon marché. Mais les emplois aidés ont-ils été conçus pour les associations, les collectivités locales ou pour les jeunes ?

D’abord la formation !

Réduire la voilure en matière d’emplois aidés est une nécessité. Évidemment on ne peut pas le faire de manière brutale, la baisse doit être progressive. Une autre politique doit être mise en place. En la matière les choses, sur le papier, sont assez simples : en France, le problème numéro un des jeunes en difficulté est leur absence de qualification et, bien souvent, le défaut de bases cognitives fondamentales pour exercer une activité professionnelle quelle qu’elle soit –  ajoutons, c’est important – et les compétences sociales également nécessaires à cet exercice.

C’est un grave échec du système scolaire. Jean-Michel Blanquer, fin connaisseur du « Mammouth », le sait bien et en a certainement pris la mesure. Sa proposition de réduction, dans les zones d’éducation prioritaire, du nombre d’élèves par classe dans le primaire est sûrement une mesure utile, mais la véritable clef du changement sera l’autonomie des établissements. Dans une école de masse, le cadre uniforme d’une éducation centralisée ne fonctionne plus. Il faut faire du sur-mesure, faire confiance aux acteurs de terrain et les laisser, en les motivant au besoin par des incitations financières, adapter les programmes et la pédagogie aux publics qu’ils accueillent (en fixant les limites à ne pas franchir pour conserver une éducation « nationale » et républicaine).

Mais une réforme de ce type prendra évidemment beaucoup de temps, et dans l’intervalle on ne peut laisser à eux-mêmes les jeunes non qualifiés qui galèrent pour trouver un emploi et qui parfois s’engagent, par défaut, dans des activités délictueuses. La réforme de la formation professionnelle à laquelle travaille le gouvernement est de ce fait un enjeu majeur. Car pour ces jeunes la formation est la clef de tout.

Deux-trois idées à ce sujet : tout d’abord, il ne faut pas répéter les erreurs de l’Éducation nationale qui ne tient que très peu compte des désirs des jeunes dans les procédures d’orientation. Aujourd’hui on ne peut plus orienter les jeunes de manière autoritaire, ça débouche presque immanquablement sur l’échec et donc sur de l’argent public gaspillé et des vies mal engagées. Tenir compte des désirs des jeunes ne veut pas dire sombrer dans l’angélisme. C’est évidemment compliqué car certains n’ont pas d’idées, d’autres des idées qui peuvent sembler irréalisables, d’autres enfin des idées pour lesquelles l’offre de formation n’existe pas au niveau local.

Renverser la perspective : aider à la mobilité

Il faut être imaginatif et renverser complétement la perspective : si les emplois ou les formations font défaut là où vivent les jeunes, faisons en sorte que les jeunes puissent aller là où ces formations ou ces emplois existent. Il faut mettre en œuvre une politique ambitieuse de mobilité. C’est l’inverse de la politique qui a été menée jusqu’à présent, qui consistait à tenter de créer artificiellement des emplois parapublics là où vivent les jeunes en difficulté et où les vrais emplois font défaut. Cette politique a complètement échoué. En outre, la localité est pour certains jeunes un enfermement dans de mauvaises habitudes et dans une économie parallèle.

C’est donc l’occasion de repenser complètement les aides au logement. Actuellement, elles servent surtout aux étudiants. En réalité, ce ne sont pas des aides au logement, c’est un système déguisé et hypocrite d’aide quasi-universelle aux étudiants. On peut penser qu’une telle aide est nécessaire, et je partage plutôt cet avis si les finances publiques le permettent, car il n’est pas illégitime que les étudiants puissent acquérir une forme d’autonomie et que l’État les y aide (à certaines conditions de réussite). C’est le système qui prévaut dans certains pays du Nord. Mais n’appelons pas cela aide au logement et trouvons le financement adéquat.

Les véritables aides au logement – ou plutôt les aides à la mobilité – devraient donc être réservées en priorité aux jeunes en difficulté qui font l’effort d’être mobiles pour trouver une formation ou un emploi. Pour cela il faut d’abord que la recherche d’emploi ou de formation et les systèmes et les institutions qui lui sont dédiées sortent de leur cadre purement local. Il faut ensuite encourager et favoriser la mobilité. On pourrait imaginer un système qui, à l’instar de ce qui se fait aux États-Unis avec les vouchers, octroie des bons de logement à ces jeunes en mobilité les aidant à financer un logement sur le marché locatif privé (car l’accès aux logements sociaux est pour eux quasiment impossible). Les foyers de jeunes travailleurs pourraient aussi être mis à contribution. Aider au financement d’un logement ne suffit évidemment pas : il faut aussi que, sur place, les jeunes soient encadrés, conseillés et soutenus psychologiquement. Cela veut dire que les institutions locales dédiées aux jeunes (missions locales, centres information jeunesse…) devraient être interconnectées. Ces aides au logement devraient également être complétées par des aides au transport.

Une telle politique, qui représente bien sûr un défi difficile, pourrait changer l’état d’esprit d’une jeunesse en difficulté qui se sent bien souvent enfermée dans un cadre local, qui certes lui offre une forme de sécurité affective et des liens de solidarité très puissants, mais qui, bien souvent, est aussi synonyme d’absence d’avenir. Pouvoir bouger et être aidé par l’État serait un premier pas vers l’autonomie.

Renforcer l’offre de formations universitaires professionnalisantes

L’université a également fait l’objet de déclarations intempestives. Était-il vraiment habile de dire qu’il fallait « faire en sorte que l’on arrête de faire croire que l’université est la solution pour tout le monde » (déclaration d’Emmanuel Macron dans son interview du Point) ? Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, on nage en pleine hypocrisie. L’université est théoriquement ouverte à tous, mais en réalité on sait bien que les jeunes qui ont le niveau académique le moins élevé (bacheliers professionnels et bacheliers techniques) se retrouvent très souvent dans des formations généralistes de lettres et sciences humaines dans lesquelles ils échouent massivement. La non- sélection masque donc une sélection cachée qui produit de très mauvais résultats sur le plan de la réussite. On se demande vraiment quels intérêts défend l’UNEF qui veut perpétuer ce système en s’insurgeant dès qu’on fait mine de vouloir le réformer ; la FAGE, devenue le premier syndicat étudiant, est heureusement plus pragmatique.

En réalité, les clefs d’une réforme du système d’enseignement supérieur sont assez simples à comprendre. Tout d’abord, la démocratisation de l’accès aux études supérieures a accru l’hétérogénéité du niveau des étudiants et, très probablement, la diversité des aspirations professionnelles. L’université ne s’est pas suffisamment adaptée à cette évolution des publics : d’une part en admettant trop timidement que tous les étudiants ne sont pas capables de suivre toutes les formations, même si la plupart des présidents d’université le reconnaissent aujourd’hui ; d’autre part, et c’est un point crucial, en proposant une offre insuffisamment nombreuse et diversifiée de formations professionnalisantes. Les IUT ont été pris d’assaut par les bacheliers généraux recalés des concours d’excellence.  Il manque donc une offre de formation de cadres techniques au niveau bac + 2 ou bac + 3 (voir notre chronique du 1er décembre 2016 sur la sélection à l’université). C’est cette offre nouvelle formant des cadres intermédiaires et des techniciens qu’il faut impérativement inventer et financer (cela coutera certainement cher). Notons au passage qu’un tel projet est tout à fait antinomique avec le regard que portent les sociologues de l’éducation et plus largement une grande partie des intellectuels sur la démocratisation universitaire. Ils n’ont en effet de cesse de dénoncer une démocratisation qui n’aurait été que « quantitative » et non « qualitative ».

Décryptons : le fait que ce soient développées (insuffisamment à nos yeux) des filières technologiques est une ruse du système pour maintenir les écarts de prestige entre les étudiants selon leur origine sociale. Il faut relire le livre majeur de Raymond Boudon sur l’inégalité des chances : dans l’appréciation des résultats de la démocratisation scolaire, il ne faut pas prendre en compte uniquement le point d’arrivée des itinéraires de mobilité sociale, mais également le point de départ. C’est bien la distance entre les deux qui signe les progrès de la démocratisation. Prétendre le contraire est tout simplement irréaliste et nuit finalement aux chances de réussite de ceux qui sont originaires des milieux les moins favorisés. 

Finalement, on voit bien qu’en matière de jeunesse des réformes en profondeur sont indispensables, dont seules quelques lignes ont été esquissées ici. Mais il est indispensable de les expliquer et de les justifier politiquement pour montrer qu’elles ne répondent pas à la seule nécessité budgétaire ou à un projet politique machiavélique. Sans quoi les démagogues prendront vite le dessus pour expliquer qu’on sacrifie la jeunesse aux diktats de l’Europe ou de la finance. Attention danger !