Les propositions d’Alain Juppé pour l’école sont-elles à la hauteur? edit

9 septembre 2015

Les réactions aux propositions d’Alain Juppé sur l’école présentées dans un livre publié le 26 août dernier (Mes chemins pour l’école, J.-C. Lattès), ont été nombreuses, plutôt consensuelles mais n’ont déclenché ni  passion, ni déclarations enflammées comme c’est souvent le cas dans les débats français. Certains commentateurs ont trouvé ces propositions relativement timides et peu révolutionnaires. Le débat s’est surtout focalisé sur la proposition d’augmenter de 10% dès 2017 les salaires des enseignants du premier degré.

En réalité, peu de commentateurs semblent avoir réellement lu le livre car celui-ci est beaucoup plus fouillé que ne le laissent supposer ces commentaires et propose un projet très cohérent et mûrement réfléchi, même s’il n’est pas dépourvu de faiblesses, on y reviendra.

Tout d’abord, il est indéniable qu’Alain Juppé connaît son sujet et qu’il a fait un gros travail de réflexion et d’analyse. Le diagnostic qu’il pose sur le système éducatif français s’alimente aux travaux des sciences sociales, des organisations internationales comme l’OCDE et ses fameuses enquêtes PISA et sur son expérience de maire. Le livre rend compte également, et ce sont des passages tout à fait passionnants, des réactions et propositions d’enseignants et de parents d’élèves auxquels on a proposé d’apporter leur contribution (le livre parle de 2000 contributions au total). Ces passages montrent le grand désarroi d’un corps enseignant atteint par le découragement, gagné par un sentiment de déclassement et frustré du manque de reconnaissance (y compris financière) qu’il ressent. On remarque cependant que les élèves eux-mêmes n’ont pas eu droit à la parole (même si l’auteur note au passage qu’il « aurait pu également les consulter » et qu’il n’exclut pas de le faire à un moment ou à un autre).

Alain Juppé tire de ce bilan des idées que l’on n’entend pas très souvent à droite mais qui font consensus chez beaucoup de spécialistes de l’éducation (voir ma chronique sur Telos  : Pourquoi a-t-on tant de mal à réformer l’école en France ?). Il dénonce l’échec scolaire comme étant insupportable et fait de son élimination un objectif primordial de l’Education nationale en parvenant à ce que 100% des élèves maîtrisent le socle commun à la fin du collège. Il affirme que tout se joue avant 6 ans entre la crèche, l’école maternelle et le CP et que c’est donc sur ces classes que doit porter l’effort en priorité en misant sur l’apprentissage des savoirs fondamentaux (savoir lire, écrire, s’exprimer à l’oral, vivre avec d’autres, compter, avoir des repères historiques et culturels) et en premier lieu l’apprentissage de la langue. Il veut donner plus d’importance à l’expression orale ou au travail en groupe, développer la faculté de raisonner, de critiquer, d’argumenter. Il insiste sur la nécessité vitale de repenser la formation initiale et continue des professeurs qui même bien formés sur le plan disciplinaire ne savent pas enseigner lorsqu’ils débutent leur carrière et manquent cruellement des acquis pédagogiques que pourraient leur donner les neurosciences cognitives. Il propose d’instaurer une instance indépendante d’évaluation distincte des instances décisionnaires.

Toutes ces propositions vont dans le sens d’une « école compréhensive » sur le modèle de ce qui se fait dans le nord de l’Europe et qui vise à mettre en place une pédagogie de la réussite pour tous et à former des citoyens qui trouvent leur pleine place dans la société. Alain Juppé cependant ne veut absolument pas répudier le système de formation des élites à la française (il est lui-même un enfant de la méritocratie républicaine) et se montre à cet égard très critique sur certaines des dispositions récentes de l’actuel gouvernement.

Mine de rien, ces propositions et la tonalité générale du livre, sont courageuses pour un homme de droite car elles s’écartent résolument du courant mainstream dans cette partie de l’arc politique (qui est bien illustré par les prises de position de la journaliste et essayiste Natacha Polony) qui mettent l’accent, pour redresser l’école, sur un retour à la tradition et aux fondamentaux d’une école républicaine fondée sur la répudiation du « pédagogisme », le primat de la transmission disciplinaire et la restauration de l’autorité.

La véritable originalité des propositions d’Alain Juppé (mais peut-être aussi leur faiblesse) réside dans la méthode qu’il préconise pour aboutir à ce nouveau contrat pédagogique. Sur ce plan, Alain Juppé veut engager (sans employer ces mots car il reste toujours très mesuré dans ses propos) une véritable révolution copernicienne dans une Education nationale centralisée et uniformisée. Son idée est que les réformes imposées d’en haut échouent systématiquement et qu’il faut donc partir des expérimentations de terrain et du volontariat pour enclencher le changement. Pour cela il propose de permettre aux établissements qui le souhaiteraient d’acquérir une assez large autonomie dans leur organisation pédagogique. Cette autonomie reposerait sur deux instruments. D’une part, les établissements volontaires pourraient gérer à leur guise la dotation horaire annuelle dont ils disposent ; d’autre part, ils pourraient afficher (dans une mesure qui reste floue) un certain nombre de postes à profil pour répondre à des besoins particuliers. Alain Juppé pense qu’il est impossible de laisser aux établissements le choix de sélectionner toute leur équipe pédagogique (850 000 profs pour 65 000 établissements) mais il veut élargir le nombre de postes qui pourraient faire l’objet d’un affichage par les établissements  et revoir le mode d’affectation des enseignants (avec un encouragement financier pour les postes les plus difficiles). La mise en place de cette autonomie le conduit aussi à proposer un mode de gestion des établissements  plus collectif avec un chef d’équipe (choisi par les enseignants parmi trois propositions du recteur) et un « conseil éducatif » composé d’enseignants chargés de missions spécifiques.

L’ensemble de ce dispositif repose sur une conviction et un pari. La conviction c’est que les réformes imposées échouent systématiquement (sans doute a-t-il en mémoire l’épisode funeste des grandes grèves de 1995). Le pari c’est que le navire éducation nationale est prêt pour le changement, qu’il le désire même et que si on fait sauter quelques barrières « la liberté et la responsabilité feront vite tâche d’huile ». C’est évidemment à ce sujet qu’un doute peut s’installer. Les syndicats d’enseignants et notamment le SNES-FSU, premier syndicat du secondaire, se sont toujours opposé à une plus grande autonomie des établissements et contestent avec virulence la réforme pourtant timide, de Najat Vallaud-Belkacem en ce sens. Dans son livre Alain Juppé ne dit pas un mot des syndicats d’enseignants comme s’il considérait que les initiatives de la base qu’il appelle de ses vœux les contraindront à reculer. Le risque d’un tel scénario, c’est que la grande réforme d’Alain Juppé, se réduise finalement à étendre à quelques établissements audacieux supplémentaires les expérimentations qui sont d’ailleurs déjà en cours dans l’Education Nationale (comme le programme Eclair créé en 2011 qui promeut le recrutement sur profil des personnels et les expérimentations pédagogiques). Un tel résultat serait évidemment très loin des ambitions initiales.