Logement social: une voie sociale-libérale edit

24 janvier 2018

La politique du logement menée en France coûte extrêmement cher (40 milliards d’euros, 2% du PIB) pour des résultats médiocres puisque près de 2 millions de personnes sont en attente d’un logement social, que 25% des occupants appartiennent à la moitié la plus aisée de la population, que le taux de rotation sur les logements déjà attribués est faible[1], et que, selon la Cour des comptes, cette politique ne permet pas de loger les ménages les plus pauvres, ceux dont les ressources se situent en dessous de 30% du revenu médian national.

Cette politique génère en outre des externalités négatives : coûts bureaucratiques élevés (pour gérer cet immense parc de HLM, 17% des résidences principales, le taux le plus élevé d’Europe), dérives clientélistes et parfois détournements des procédures d’attribution.

De leur côté, les aides personnelles au logement (APL) sont socialement mal ciblées puisque 800 000 étudiants en bénéficient, sans que l’on tienne compte ni du revenu de leur parents, ni du fait qu’ils soient ou non indépendants fiscalement. On peut bien sûr considérer que cette aide est une aide universelle d’accès à l’autonomie pour les étudiants,  mais on peut s’interroger sur son coût (1,5 milliard d’euros) et sur le fait qu’elle soit financée par la politique du logement, sans aucune condition de ressources.

Lutter contre la ghettoïsation

Une autre politique, d’inspiration sociale-libérale, est possible : sociale, parce qu’elle peut aisément cibler les publics prioritaires, libérale parce que, plutôt que de contraindre de façon uniforme des communes sur l’ensemble du territoire (la loi SRU), elle fait confiance aux individus pour choisir les solutions qui leur conviennent (au besoin en les orientant). Cette politique consiste à réorienter drastiquement la politique du logement social vers les aides à la personne, mais en les conditionnant de manière rigoureuse à un niveau de ressource. Une politique de cette nature a été mise en œuvre avec un certain succès aux USA et y est devenue le principal instrument de la politique fédérale d’aide au logement[2].

Le principe de la politique américaine est simple. Il consiste à attribuer des « bons de logements » (Housing vouchers) aux familles qui en ont, économiquement (pas de critères ethniques), le plus besoin. La règle est que 75% des ménages admis chaque année doivent être des ménages aux « revenus extrêmement bas ». Ironiquement, en comparaison de la situation française, la règle précise est que le revenu de ces ménages ne doit pas excéder, au niveau local, 30% du revenu médian (seuil qu’indiquait la Cour des comptes française pour déplorer que les ménages concernés ne puissent accéder aux HLM !).

Ces bons de logement aident les bénéficiaires à payer le loyer du logement qu’ils ont choisi sur le marché privé (sans restriction géographique), en finançant la part de ce loyer qui va au-delà de 30% du revenu du ménage (un « loyer équitable » est calculé par les autorités locales pour chaque agglomération ainsi qu’est fixé évidemment un plafond de l’aide).

Les avantages d’un tel système sont multiples. Un des principaux est de lutter contre la ghettoïsation et de favoriser la mobilité. En effet, un des pires effets pervers du système français actuel est, contrairement à ses objectifs affichés, de renforcer la ségrégation sociale et ethnique. La raison en est simple : dès qu’elles en ont les moyens les classes moyennes fuient les quartiers pauvres (exit[3]) tandis que les familles à bas revenus y sont ancrées pour la vie par le logement dont elles bénéficient et leurs faibles ressources, tout en ayant  peu de possibilités de faire entendre leur voix (voice). En région parisienne notamment, la politique de logement social a fini par créer de véritables ghettos (59% de logements sociaux à Stains, 57% à Bobigny). Pour contrer cet effet ségrégatif, contraindre l’ensemble des municipalités (de 3500 habitants, 1500 en Ile de France) à construire 20%, puis 25% de logements sociaux ne sert à rien si les populations à faibles revenus qui ne sont pas répartis aléatoirement sur le territoire, n’ont pas la  possibilité d’y accéder. Dans certaines villes le taux de vacance des HLM atteint ainsi presque 10%. Cette illusion égalitariste est intenable.

Une aide à la mobilité résidentielle rouvre la possibilité de l’exit aux populations qui en étaient privées, notamment aux jeunes issus des familles pauvres. Que nous disent-ils en effet[4] ? Que la culture de la cité peut créer un espace extrêmement solidaire, mais également un espace où il arrive que prévalent des normes contre-culturelles (des « ghettos-related-behaviors » disent des chercheurs américains[5]) antinomiques à la réussite scolaire et professionnelle. Ceux qui veulent réussir disent souvent qu’ils doivent partir. Les y aider devrait être un objectif de politique sociale.

Les évaluations menées aux USA  sont plutôt favorables, notamment sur le devenir scolaire et professionnel des enfants des minorités qui, grâce au voucher, ont pu déménager dans des quartiers moins pauvres et plus sûrs que leur quartier d’origine. Des effets positifs sont également constatés sur leur état psychologique et leur état de santé[6].

Favoriser la mobilité et égaliser les chances

C’est donc bien à une révolution copernicienne qu’il faut songer, car il n’y a plus de sens dans l’économie moderne où la mobilité devient le maître-mot, à fixer à vie des populations sur des territoires, surtout lorsqu’il s’agit de territoires pauvres désindustrialisés, sur lesquels on a toutes les peines du monde à faire revenir l’emploi. Cela n’a plus de sens lorsque cette politique a conduit dans les faits, à rebours de l’objectif de mixité sociale affiché, à concentrer dans certains quartiers périphériques des populations pauvres et massivement d’origine étrangère.

Si le gouvernement entend mettre en œuvre, comme il en a annoncé l’intention, une politique de flexi-sécurité à la française, il devrait l’accompagner d’une politique ambitieuse d’aide à la mobilité géographique et résidentielle des personnes. Pour aider les individus à s’adapter à un marché du travail plus flexible, il faut les aider également à être plus mobiles géographiquement pour aller là où sont les formations et les emplois.

L’abandon progressif de la construction de logements sociaux et la réorientation de la politique vers une aide à la personne plus sélective ne signifierait pas du tout que la puissance publique renoncerait à des objectifs de politique sociale. D’une part, la sélection comme l’éviction des candidats (au cas où ils ne répondent plus aux critères sociaux retenus) est beaucoup plus simple et efficace. La mobilité doit en effet également s’appliquer à l’attribution des aides en fonction de l’évolution de la situation des individus et des familles (ce que ne parvient pas à faire le système français actuel). La politique américaine est réellement et efficacement ciblée sur les populations à bas revenus. Il est indéniablement plus facile d’interrompre le versement d’une aide que d’expulser un locataire dont les revenus ont explosé le plafond de ressources (comme cela arrive trop souvent). Cette politique est aussi plus souple et elle permettrait d’orienter les aides en fonction d’autres critères (géographiques, économiques ou de composition socio-économique des populations résidentes).

D’autre part, dans le nouveau système l’attribution de l’aide au logement échapperait au contrôle des communes. Il reposerait sur des critères d’éligibilité précis et nationaux qui assurerait son équité et serait géré par des agences publiques locales. Actuellement, les communes sont membres de droit des commissions d’attribution et disposent en outre d’un droit de réservation de logements HLM, avec les risques de clientélisme que cela comporte.

Un des points-clé de la réussite d’un tel programme est évidemment que les bailleurs jouent le jeu et acceptent de louer des logements à des personnels bénéficiaires de l’aide (ce qui à leurs yeux, peut constituer un signal négatif). Un système de caution locative garantie par l’Etat, sur le modèle de la caution locative étudiante (avec une cotisation mensuelle d’un montant modeste) pourrait être envisagé pour sécuriser les bailleurs.

Par ailleurs, pour contourner d’éventuelles résistances, on pourrait imaginer, à l’instar de ce qui se pratique aux Etats-Unis, de coupler ce système d’aide à la personne par un complément rénové d’aide à la pierre en réservant une partie des fonds alloués à la subvention directe de construction ou de rénovation de logements dans le parc privatif, à condition que les propriétaires s’engagent à louer une partie de ces logements à des familles à bas revenus bénéficiaires du programme.

Le système pourrait être expérimenté dans un premier temps dans certaines zones et évalué (aux Etats-Unis de telles évaluations sont pratiquées régulièrement, avec des échantillons témoins), en servant en priorité les demandeurs de logements sociaux en attente (on a vu qu’ils étaient nombreux).

Une telle politique d’ensemble impliquerait évidemment à terme de remettre à plat l’ensemble du dispositif d’aides individuelles au logement, ce qui, on le conçoit facilement, est politiquement périlleux. Mais cela pourrait être l’occasion de repenser le système d’aides aux étudiants en sortant de l’hypocrisie actuelle des « fausses » aides au logement dont ils bénéficient (en fait des aides masquées à l’autonomie) et dont certains économistes dénoncent d’ailleurs les effets pervers (sur le montant des loyers).  

 

[1] Comme l’écrit la Cour dans son rapport sur Le logement social face au défi de l’accès des publics modestes et défavorisés, de février 2017, « l’attribution d’un logement social conduit en pratique à "remettre les clés à vie" au bénéficiaire ».

[2] Le gouvernement n’a plus financé de programmes publics de construction de logements à partir de 1996 et avec 3,4 millions de ménages en 2005, les bénéficiaires de vouchers étaient trois fois plus nombreux que les locataires de logements sociaux.

[3] Pour faire référence au célèbre ouvrage d’Albert O. Hirschman, Exit, Voice, Loyalty (1970), qui montre que pour réagir à la baisse de qualité d’un bien ou d’un service, deux voies sont ouvertes : la défection (exit) ou la prise de parle et la protestation (voice).

[4] Voir par exemple, « Retour sur les violences urbaines de l’automne 2005. Emeutes et émeutiers à Aulnay-sous-Bois », Horizons stratégiques, 2007/1 (n° 3), p. 98-119

[5] Voir par exemple : Anderson E., 2000, Code of the Street:  Decency, Violence, and the Moral Life of the Inner City, New- York, WW Norton & Company

[6] Voir : « Research shows housing vouchers reduce hardship and provide platform for long-term gains among children », Center on Budget and Policy Priorities, October 7, 2015