Sénatoriales: quelles tendances sous les résultats? edit

Oct. 2, 2020

La majorité sortante LR-UDI est confortée par ces élections qui ont encore une fois été l’occasion pour les élus locaux de manifester leur mécontentement face au gouvernement. Ce phénomène avait joué au profit des socialistes en 2008 et 2011, puis de la droite LR en 2014 et 2017. Les Verts retrouvent un groupe grâce à leurs victoires dans certaines grandes villes aux dernières municipales, alors que les socialistes et les divers gauche (groupe RDSE[1]) reculent fortement.

Les 348 sénateurs sont renouvelables par moitié tous les trois ans. Ils sont élus dans les départements par un corps de grands électeurs (87 000 le 27 septembre) composé à 95 % des délégués des municipalités auxquels s’ajoutent les députés, sénateurs, conseillers régionaux et départementaux. Cette fois-ci, dans un contexte dominé par l’épidémie de coronavirus, 172 sièges[2] étaient renouvelables dans 58 départements métropolitains hors Île-de-France (de l’Ain à l’Indre et du Bas-Rhin au Territoire de Belfort) ainsi que la Guyane, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna. Sur ces 172 sièges, 113 (66 %) ont été pourvus à la proportionnelle dans les départements à trois sièges et plus et 59 (34 %) au scrutin majoritaire à deux tours dans les départements et collectivités à un ou deux sièges.

Une droite LR-UDI-DVD très majoritaire

La large victoire de la droite LR-UDI-DVD, avec 114 sièges sur les 172 renouvelables contre 109 précédemment profite essentiellement à LR lui permettant d’atteindre 150 sièges sur 348. Avec la cinquantaine de sièges de l’UDI (groupe Union centriste), la droite dispose d’une très forte position dominante. La droite LR-UDI s’est présentée unie dans les 2/3 des départements, mais a connu, comme souvent, de nombreuses dissidences. Elle a bénéficié de sa bonne tenue dans les zones rurales et les petites villes aux municipales, un phénomène que cachaient les analyses des élections municipales, surtout focalisées sur les grandes villes. On doit cependant remarquer que cette progression en sièges s’accompagne dans la majorité des départements d’un recul modéré en voix sur 2014 de par la concurrence de listes ou candidats centristes proche du gouvernement.

La gauche et le retour des écologistes

À gauche et au centre gauche, les résultats sont nettement plus contrastés. La gauche est partie divisée dans la majorité des départements, mais a cependant réalisé l’union, y compris avec les Verts, dans une vingtaine. Elle a connu quelques dissidences. Les Verts qui n’avaient aucun sortant gagnent six sièges et pourront à nouveau former un groupe, comme de 2012 à 2017. Ils ont bénéficié de leurs gains des municipales et du hasard que ceux-ci ont essentiellement eu lieu dans des départements renouvelables cette fois-ci (Lyon, Marseille, Strasbourg, Bordeaux, Besançon, Poitiers, Annecy). Les socialistes perdent cinq sièges, mais restent le second groupe au Sénat avec 65 sièges. Les communistes ont gagné un siège grâce à leurs alliances avec les socialistes. Les radicaux et les divers gauche (groupe RDSE) subissent un effondrement en reculant de 8 sièges (6 contre 14 sortants), confirmant leur très fort recul des municipales. La France insoumise n’avait présenté des candidats que dans quatre départements. Elle a échoué partout, n’obtenant que 6,8 % dans l’Ariège où elle a les deux députés, et moins de 5 % ailleurs : Haute-Garonne 4,4 %, Rhône 3,1 % et Gironde 2 %. On doit noter qu’en termes de voix l’ensemble de la gauche est en recul, parfois fortement, dans la très grande majorité des départements (50 sur 59) sur 2014, alors que ce renouvellement lui était considéré comme particulièrement défavorable après sa lourde défaite des municipales de 2014. Bien que revenue dans l’opposition, la gauche ne s’est pas véritablement redressée. Une partie de ses pertes s’explique par des départs vers LREM, mais une partie provient de pertes en zone rurale vers la droite. L’image essentiellement urbaine de la gauche ne lui a sans doute pas permis de bénéficier du vote de mécontentement de beaucoup d’élus de petites communes.

LREM et ses alliés centristes limitent les dégâts

LREM était soulagée dimanche soir, ayant sauvé son président de groupe, François Patriat, réélu en Côte-d’Or, et fait élire les deux membres du gouvernement candidats, le ministre des Outre-Mer Sébastien Lecornu dans l’Eure et le secrétaire d’État chargé du Tourisme Jean-Baptiste Lemoyne dans l’Yonne. Ayant dix sièges renouvelables, elle en récupère autant. Les frontières de la majorité gouvernementale, minoritaire dans la haute assemblée, y sont floues et il faudra attendre la composition définitive des groupes le 5 octobre pour en apprécier les limites, notamment avec le groupe RDSE, celui  des Indépendants-République et Territoires (LI-RT) (qui  reculent de trois sièges a priori), et celui de l’Union centriste, proche de l’UDI.

Plus profondément, au-delà du phénomène de mécontentement de nombreux élus locaux concernant la politique du gouvernement, LREM se heurte au même phénomène qu’aux précédentes élections sénatoriales ainsi qu’aux dernières municipales : comment un mouvement dont les thèmes sont essentiellement nationaux, qui se dit « et de droite, et de gauche », prétendant prendre « le meilleur de la droite et de la gauche », pourrait-il convaincre les électeurs (aux municipales) et les grands électeurs (aux sénatoriales) de voter pour lui si ceux-ci sont satisfaits du travail des sénateurs sortants (ou des candidats) de droite et de gauche ? LREM risque d’avoir à faire au même problème lors des élections régionales et départementales prévues en mars prochain, sans que les résultats de ces élections soient pour autant très significatifs en vue de la présidentielle de 2022.

Le RN en recul sauve son siège

Comme le FN en 2014, le RN était présent dans la quasi-totalité des départements métropolitains en présentant une liste dans ceux à la proportionnelle ou un seul candidat dans ceux au scrutin majoritaire. Comme les résultats des municipales le laissaient prévoir, le RN est en recul dans les ¾ des départements sur 2014, n’atteignant ou dépassant les 10 % que dans 4 départements du Midi : les Bouches-du-Rhône, le Gard, le Var et le Vaucluse. Il sauve son unique siège dans les Bouches-du-Rhône malgré la perte de sa mairie de secteur à Marseille en juin.

On doit également noter que les nationalistes corses font leur entrée au Sénat en gagnant le siège de la Haute-Corse.

L’influence des sortants et l’effet d’implantation

Sur les 172 sièges, 116 sénateurs sortants se sont représentés et 94 ont été réélus, soit 81 %. Ce taux élevé de réélection, pas exceptionnel pour des sénatoriales, indique à la fois la satisfaction générale des grands électeurs pour le travail de leurs sénateurs et l’importance de l’implantation locale. Beaucoup des nouveaux sénateurs sont également des élus implantés. Cette situation habituelle aux sénatoriales a favorisé la droite LR-UDI ainsi que le PS. On doit remarquer que LREM ne se maintient que grâce aux candidatures de deux membres du gouvernement eux-mêmes localement très implantés.

Différence d’évolution rural/urbain

L’hypothèse d’un glissement de la gauche vers la droite dans les zones rurales est confirmée par l’analyse différentielle des évolutions dans les départements peu peuplés au scrutin majoritaire et dans les départements plus urbanisés au scrutin proportionnel. Dans l’ensemble de la série renouvelable, la droite LR-UDI-DVD gagne cinq sièges et la gauche en perd six, un allant aux régionalistes corses. Toute cette évolution, gains à droite et pertes à gauche, est concentrée dans les départements au scrutin majoritaire (59 sièges) où la droite passe de 37 à 42 sièges et la gauche de 18 à 12, LREM restant stable à quatre. Dans les départements au scrutin proportionnel (113 sièges), la gauche est stable à 34 sièges, la droite à 72, LREM à six et le RN à un.

L’élection des présidents de groupe et du président du Sénat

Le sénateur de l’Isère Guillaume Gontard[3] présidera le nouveau groupe écologiste (Groupe écologiste, solidarités et territoires) qui compte 12 membres : les quatre élus écologistes de 2017 (deux inscrits jusque-là au groupe communiste et deux au RDSE), des six nouveaux élus EELV, la sénatrice Génération du Val-de-Marne Sophie Taillé-Polian, jusque-là au groupe socialiste, et le nouveau sénateur nationaliste de Haute-Corse. Patrick Kanner, Hervé Marseille, Éliane Assassi, Jean-Claude Requier, Claude Mahuret, et Bruno Retailleau  ont été reconduits à la tête des groupes socialiste, Union Centriste, communiste, RDSE, Les indépendants-République et territoires, et Les Républicains. François Patriat a été réélu président du groupe LREM, qui va être renommé Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), face au sénateur de Paris Julien Bargeton.

Gérard Larcher a été réélu président du Sénat pour un quatrième mandat avec 231 voix contre 65 à Patrick Kanner, 15 à Eliane Assassi et 13 à Guillaume Gontard.

 

[1] Rassemblement démocratique européen, comprenant les radicaux de gauche et des divers gauche.

[2] Six des 12 sièges des Français de l’étranger étaient également renouvelables, mais ces élections ont été repoussées à cause de l’épidémie.

[3] Il a été préféré à Esther Benbassa.