US 2024: quel enjeu? edit

30 novembre 2022

Qui remportera la prochaine élection présidentielle américaine, le candidat démocrate ou le candidat républicain ? Cet enjeu est évidemment important, mais le résultat de la future primaire présidentielle républicaine pourrait constituer un enjeu plus important encore, non seulement pour la démocratie américaine mais aussi pour nous-mêmes.

À la veille des récentes midterms, la probabilité que Donald Trump soit à nouveau le candidat du parti républicain en 2024 était très forte. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le résultat de ces élections a profondément changé la donne et provoqué un affaiblissement notoire de l’ancien président. Alors que le compte des votes a fait ressortir une victoire en voix du parti républicain (52% contre 48% pour les démocrates), sa défaite en sièges pour le Sénat et sa déception à la Chambre malgré sa victoire a été pour partie due à la défaite de plusieurs candidats trumpistes continuant de clamer que l’élection présidentielle de 2020 avait été volée au parti républicain. La contre-performance de ses candidats a vu pour la première fois des républicains coller à Trump la redoutable étiquette de loser.

Plusieurs indications livrées par les sondages récents attestent la baisse sensible de la popularité de Trump. Comme le montre une étude du Pew Research Center qui mesure l’intensité des sentiments à l’égard de Trump depuis 2016, les opinions les plus favorables (very warm), après avoir progressé entre 2016 et 2020 de 51% à 61%, ont nettement reculé entre 2020 et 2022 (post midterms) à 41% (tableau 1).

Tableau 1 - Thermomètre des sentiments  des électeurs républicains à l’égard de Trump. Évolution 2016-2022 (%)

Source : Pew Research Center

En une seule année, les opinions très positives (very warm) sont passées de 48% à 41%, la chute étant particulièrement forte chez les électeurs républicains ayant un diplôme de niveau licence ou plus (college graduate), passant de 63% à 49%.

Parmi les électeurs républicains, les plus jeunes, les plus éduqués, les plus modérés et les sans affiliation religieuse sont clairement éloignés de Trump (tableau 2). 

Tableau 2 - Proportion des électeurs républicains ayant un sentiment très positif à l’égard de Trump

Source : Pew Resarch Center

L’affaiblissement de Trump ouvre ainsi, pour la première fois, la possibilité qu’il soit défié dangereusement lors de la primaire républicaine de 2024. Plusieurs candidats sont déjà sur les rangs et notamment Ron DeSantis qui, après sa brillante réélection comme gouverneur de la Floride, a clairement fait part de son intention d’affronter Trump à cette occasion. L’apparition d’un challenger sérieux pourrait bouleverser le paysage politique américain. Les sondages les plus récents montrent en effet que DeSantis représente désormais pour Trump une menace réelle. Une enquête de l’institut Morning Consult montre qu’entre le mois d’août et le mois de novembre, les choix à la primaire républicaine de 2024 ont évolué en défaveur de Trump et en faveur de DeSantis : de 57% à 48% pour le premier et de 18% à 26% pour le second, 26% préférant un autre candidat. Mais, dans une enquête de Premise et une autre de Quinnipac, si les électeurs républicains devaient choisir seulement entre Trump et DeSantis, les deux candidats arriveraient au coude à coude, ce qui signifie que la marge de progression de DeSantis est probablement importante en cas de candidatures multiples.

Or l’enquête de Premise fournit une autre donnée capitale : en cas de duel Trump/Biden, le premier serait battu (47/53) tandis qu’en cas de duel DeSantis/Biden, DeSantis l’emporterait avec 52%.  Cette donnée est fondamentale dans la mesure où elle ne peut qu’encourager l’élite anti-trumpiste du parti républicain à envisager sérieusement, pour la première fois, d’affronter Trump directement, ce qu’elle n’avait pas eu le courage de faire tant que l’électorat républicain collait très massivement à Trump. L’affaiblissement de l’ancien président et l’étoile montante DeSantis ouvrent ainsi une nouvelle période pour le parti républicain.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, la Cour suprême, pourtant républicanisée par Trump et pour Trump, vient de prendre une décision qui pourrait avoir pour lui des conséquences désastreuses, plus graves encore que celles des  conclusions de la commission sur les événements du 6 janvier 2021 concernant la tentative d’insurrection pour le moins encouragée par le président en exercice. Cette décision de la Cour enjoint au département du Trésor de remettre rapidement au Comité Ways and Means de la Chambre des Représentants six années de dossiers fiscaux de Trump. La fraude fiscale pourrait se révéler finalement plus efficace pour abattre l’ancien président que sa participation à la tentative ratée d’insurrection !

L’enjeu principal de 2024

Les démocrates, réalisant que Trump serait pour eux un candidat plus facile à battre qu’un autre républicain, pourraient espérer qu’il soit désigné par la primaire républicaine. Compte tenu de la profonde division de la société américaine et du danger incommensurable que Trump et ses sycophantes font peser non seulement sur la démocratie américaine mais encore sur la défense du monde libre, la victoire éventuelle d’un DeSantis à la primaire républicaine apparaît cependant comme la meilleure solution pour opérer un retour à la normalité de la démocratie américaine. Telle est l’opinion défendue par certains éditorialistes des grands journaux libéraux américains. Certes, DeSantis est clairement conservateur  mais ses positions sur l’avortement, thème majeur de la guerre culturelle entre démocrates et républicains, sont relativement modérées. Il ne défend pas la thèse de l’élection volée et soutient l’aide à l’Ukraine. Surtout, il n’est pas « crazy ». En outre, une défaite de Trump à la prochaine élection présidentielle est loin d’être certaine et, de toutes manières, qu’il soit élu ou battu, sa campagne ne pourrait qu’abîmer un peu plus la démocratie américaine. Dans ces conditions l’enjeu politique principal en 2024 pourrait bien être non pas le résultat de l’élection présidentielle elle-même mais plutôt celui de la primaire républicaine qui la précèdera !