Le G7 est mort, vive le G5 ! edit

12 juin 2006

Décidément, ce que l'on appelle l'architecture monétaire internationale est en ébullition. La manœuvre avait commencé lors de l'assemblée générale du FMI en avril dernier. Constatant que le G7 n'était pas arrivé à progresser sur les grands déséquilibres mondiaux - le déficit externe vertigineux des Etats-Unis, la grotesque accumulation de réserves des pays asiatiques et la question de la surévaluation présumée de leurs monnaies - les ministres des finances et banquiers centraux de la planète avaient prié le FMI de se saisir de la question. Le signal était donc donné : pour la première fois, le G7, incapable de démêler la question monétaire internationale du jour, charge le FMI de se saisir du problème.

Cela faisait plusieurs années que le G7 patinait. Créé en 1974 pour régler entre grands les problèmes monétaires internationaux, il avait petit à petit élargi son champ à toutes les questions politiques. Structure informelle, sans secrétariat permanent et doté s'une présidence tournante, le G7 dépend de l'alchimie et des intérêts personnels des sept chefs d'Etat ou de gouvernement qui s'assoient autour de la table. Le moins qu'on puisse dire est que la communion d'esprit entre Bush, Chirac, Blair et les autres laisse à désirer. De plus, le G7 s'est transformé en G8 lorsqu'a été commise l'erreur d'inviter la Russie, qui ressemble de plus en plus à une république bananière portée par les prix élevés du pétrole et du gaz. Les réunions du G8 sont devenues des cirques médiatiques sans contenu, dont le principal défi est de garder à distance les manifestants anti-mondialisation. Il fallait s'en sortir, et l'affaire était délicate. Comment évincer la Russie ? Comment réduire la délégation Européenne dont les quatre pays (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie) ne représentent pas, à l'évidence, les quatre septième de la planète ? Comment intégrer la Chine dans un club qui se définit par son attachement à la démocratie ?

La solution est habile. On ne touche pas au G7-G8. Ces messieurs-dames pourront poursuivre leur raout annuel en compagnie des antimondialistes, mais sans obligation de résultat. On crée un groupe « technique » dont personne ne saura où et quand il se réunit. On lui donne une taille réduite, pour le rendre efficace. Et surtout, on s'assure que les gens qui comptent, et seulement eux, sont présents. Bien joué. Enfin presque, car la composition du groupe réserve des surprises, bonnes et mauvaises.

La vraie bonne surprise c'est que le FMI convoque la zone euro. Les douze, bientôt treize pays membres auront un seul représentant. Le FMI a été créé pour assister les pays en crise de changes. A l'époque, chaque pays avait sa monnaie et réciproquement, et donc la distinction entre pays et zone monétaire n'avait pas effleuré les pères fondateurs. La création de l'euro, après d'autres zones monétaires en Afrique et dans les Caraïbes, pose problème. Comme chaque pays tient à sa représentation, on a une situation illogique puisque le FMI doit dialoguer avec douze pays pour parler de l'euro. En invitant un seul représentant de la zone euro, le FMI fait un pas significatif. Nul doute que les Etats-Unis approuvent ; ils se plaignaient depuis longtemps de la surreprésentation européenne. Nul doute non plus que Paris ne va pas aimer, même si l'éviction de la perfide Albion permettra de faire passer la pilule.

La deuxième bonne surprise c'est l'arrivée de la Chine. Même si son poids économique - mesuré par le PIB - n'est, aujourd'hui, pas plus important que celui de l'Italie, nul ne doute qu'elle arrivera rapidement au sommet de la ligue mondiale. De plus, en matière de cours des monnaies, la Chine est la clé de l'Asie. Tous les pays de la région sont fascinés par la montée en puissance de ce concurrent/partenaire et suivent à la loupe l'évolution de sa monnaie. Il faut donc bien traiter avec la Chine, même si son régime politique et son respect pour les droits de l'homme ne l'autorise pas à festoyer au G7.

Sans surprise, les Etats-Unis et le Japon sont invités. Plus étonnant est que ce nouveau G5 en puissance inclura aussi l'Arabie Saoudite, dont le PIB est au 23e rang mondial. On sent bien des odeurs de pétrole derrière ce choix. Certes, la question des prix de l'énergie est bien un sujet dont le G5 devra traiter de manière récurrente, et sûrement en ce moment. Mais les places sont chères au sommet et on peut s'étonner de ne voir aucun pays d'Amérique Latine. Le Brésil, qui est en phase ascendante, a déjà montré à l'OMC sa capacité à manœuvrer au niveau mondial. A terme, l'Inde aussi devra bien être intégrée.

La question est de savoir ce qui interviendra du G7 « d'en bas ». Depuis des années, alors que les projecteurs illuminent les chefs d'Etat et de gouvernement, les ministres des Finances des pays du G7, et surtout leurs sherpas, se réunissent régulièrement. A ce niveau, semble-t-il, bien des questions sont réglées. Le groupe de travail lancé par le FMI a, pour l'instant, un ordre du jour limité mais il est raisonnable de penser que son domaine de compétence pourrait bien s'élargir, vidant le G7 d'en bas de sa substance. Les cinq pays du G7 exclus du G5 (Allemagne, Canada, France, Grande-Bretagne, Italie) vont sans doute faire de la résistance.

Tout cela a-t-il de l'importance ? Après tout, tout le monde parle à tout le monde et, de toute façon, n'est-ce pas le cas que les Etats-Unis tirent toujours les fils ? L'échec du G7 montre que le pouvoir des Etats-Unis n'est plus ce qu'il était. En d'autres temps, ils auraient obtenu une appréciation des devises asiatiques dans l'espoir, vain, que cela résoudrait leur problème de déficit externe sans qu'ils soient obligés de réduire leur déficit budgétaire. Les Chinois refusent de se prêter à ce jeu, les autres pays asiatiques suivent, les Européens observent, et le problème demeure. L'enjeu est la manière dont va se dénouer une situation qui est intenable à long terme. Ajustement en douceur ou crise financière majeure ? Le risque de crise majeure est d'autant plus grand qu'aucun accord global n'est en vue.

Le fait est que la mondialisation accroît les interdépendances, ce qui exige une concertation sur des questions qui affectent le bien-être de toute l'humanité. Ce ne sont pas les forums existants (FMI, Banque Mondiale, Nations-Unies, etc.), fossilisés par des structures qui datent de l'immédiat après-guerre, qui peuvent aborder ces questions. On ne va pas créer de nouvelles institutions internationales parce qu'il n'y a pas de formule magique pour faire fonctionner la démocratie mondiale. Ce seront donc des groupes informels du type de celui qui vient d'être créé qui vont préparer les décisions qui seront ensuite mises en œuvre parce que les joueurs importants les auront négociées entre eux. On peut le déplorer, mais ainsi va le monde.