Les crises du PS et de LFI menacent l’avenir de la NUPES edit

30 janvier 2023

Les crises que traversent aujourd’hui le Parti socialiste et La France insoumise sont de nature très différente mais leur concomitance fragilise dangereusement la NUPES. Au départ, ces deux organisations constituaient les deux piliers principaux de la nouvelle union, même si les Verts et le PCF se sont joints au mouvement. La NUPES n’était pas conçue comme un simple accord électoral même si cet aspect était primordial. Elle devait ouvrir une période nouvelle de la gauche et permettre sa reconstruction unitaire. Cet accord opérait une rupture avec le positionnement politique antérieur des organisations.

Le PS arrimé à l’extrême-gauche

Pour le PS, cette nouvelle union différait profondément des accords qu’il avait passés avec l’extrême-gauche tout au long de son histoire. Son partisan le plus actif, le premier secrétaire du parti, Olivier Faure, était convaincu que le PS, après son désastre présidentiel, n’avait plus les ressources nécessaires pour se relever seul. Il a vu dans la NUPES le creuset dans lequel se refonderait la gauche. Il ne s’agissait pas d’une simple alliance mais d’un rapprochement qui pourrait déboucher sur une fusion, une sorte d’unité organique.

Compte tenu du rapport des forces établi en 2017 et confirmé en 2022 entre LFI et le PS, une telle stratégie impliquait que cette nouvelle union se ferait pour la première fois sous la domination de l’extrême-gauche et de son leader. À partir du moment où les dirigeants du PS ne considéraient plus que leur parti puisse demeurer une organisation autonome et qu’ils décidaient de l’arrimer à l’extrême-gauche, ils abandonnaient l’espace du centre-gauche que le parti d’Épinay occupait depuis le tournant de la rigueur opéré par François Mitterrand en 1983. Le PS, en acceptant le leadership de la gauche radicale, se radicalisait lui-même, abandonnant sa culture de parti de gouvernement.

Cette nouvelle orientation était cohérente avec le bilan très critique du quinquennat Hollande qu’Olivier Faure, le nouveau dirigeant du parti après la défaite de 2017, avait établi dès son arrivée. Alors que la moitié des électeurs socialistes avaient voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, Olivier Faure estime que l’espace du centre-gauche n’existe plus dans le nouvel ordre électoral, comme il l’a affirmé dans son interview du Journal du dimanche le 22 janvier dernier : « Aujourd’hui, nous avons trois blocs qui se concurrencent, l’extrême-droite, la droite libérale et la gauche. » Le bloc macroniste, qui a cependant remporté les deux dernières élections présidentielles, n’existe pas pour lui, n’étant qu’un segment de la droite libérale. Dans ces conditions la NUPES peut revendiquer à bon droit d’être désormais l’unique représentante de la gauche.

Le changement de tactique de Mélenchon

De son côté, Jean-Luc Mélenchon, au vu de son excellent score à l’élection présidentielle de 2017, avait alors choisi de faire cavalier seul, refusant même de se situer sur le clivage gauche-droite. Il a changé de tactique après l’élection présidentielle de 2022. Il s’est réapproprié ce clivage, voulant réunir les partis de gauche sous son leadership. Alors que son objectif avait été longtemps de détruire la social-démocratie qu’il détestait, il a montré certains égards pour Olivier Faure, qui a brûlé ses vaisseaux pour s’embarquer sur celui de la NUPES. Faure a ainsi pu sauver le groupe parlementaire socialiste à l’Assemblée nationale. Son antimacronisme nourrissait sa conviction que la NUPES était la seule force capable de vaincre l’extrême-droite.

Les fragilités originelles de la NUPES

Malgré son succès aux élections législatives de 2022, la NUPES présentait dès le départ des fragilités qui allaient révéler leur importance avec le temps. D’abord, l’accord électoral, s’il avait permis de sauver des sièges et d’abord celui du premier secrétaire, n’avait investi que  soixante-dix candidats socialistes. Le PS était donc absent dans plus de 500 circonscriptions   ce qui a généré nombre de frustrations dans les fédérations du parti. Par ailleurs, une fraction qui comprenait François Hollande et ses amis, hostiles à la création de la NUPES qui signifiait pour eux la fin du Parti socialiste comme parti de gouvernement, était bien décidée à s’opposer à la nouvelle stratégie.

Ensuite, l’accord programmatique de la NUPES laissait paraître des désaccords profonds entre LFI et le PS sur des questions essentielles et rendait sceptique sur sa vocation à produire un véritable programme de gouvernement et plus encore à l’appliquer, notamment sur les institutions, la sécurité nationale, le rapport à l’OTAN, la construction européenne, et l’aide à l’Ukraine au moment où la Russie venait d’envahir ce pays. Sur tous ces sujets, les deux partis étaient en réalité en complet désaccord.

Enfin, contrairement au souhait clairement exprimé par Mélenchon au lendemain des législatives, les trois partenaire de LFI ont refusé d’emblée de constituer un groupe parlementaire unique de la NUPES à l’Assemblée. On peut faire l’hypothèse que Mélenchon, ressentant durement ce refus, a privilégié dès lors l’activité du groupe LFI sur celle de la NUPES, ses partenaires ayant montré qu’ils entendaient conserver leur liberté d’action.

Les désaccords croissants entre LFI et ses partenaires

Depuis les élections du printemps dernier des désaccords croissants opposent LFI à ses trois partenaires. Ces désaccords concernent essentiellement la manière de mener la bataille contre la majorité au pouvoir. Ils se focalisent sur la tactique parlementaire d’une part et sur l’organisation des manifestations d’autre part.

À l’Assemblée, LFI pratique depuis le début une obstruction systématique et le dépôt à répétition de motions de censure, voulant provoquer de nouvelles élections législatives. Il agit ainsi sans se soucier de l’avis ni même du soutien de ses trois partenaires. Cette tactique  a créé chez ces derniers un véritable malaise. Olivier Faure lui-même, face aux réactions négatives de son groupe, a dû refuser de cosigner certaines de ces motions et même de les voter. Le dépôt de milliers d’amendements déposés par LFI dans le débat sur la réforme des retraites, dont l’objectif est d’empêcher le vote du projet, et le comportement uniment agressif de la présidente du groupe ont montré que ce parti ne cherchait dans l’action parlementaire que les occasions d’obstruction qu’elle offre. En outre, l’appel de LFI à la droite parlementaire, l’invitant à voter ses motions de censure pour renverser le gouvernement, a choqué ceux qui demeurent attachés au clivage gauche-droite.

Plus généralement, le PS et LFI n’ont pas la même conception de la bataille politique. Certes, les socialistes partagent la culture de la manifestation, mais, en vieux parti parlementaire, ils n’attendent pas de la rue qu’elle renverse le pouvoir. Ils n’appellent pas à l’insurrection. Au contraire, le rôle de la rue est essentiel pour Mélenchon pour qui la mission du groupe parlementaire est d’abord de contribuer à la mobilisation populaire. En vieil admirateur de la dictature jacobine, l’Assemblée n’est légitime pour lui que si elle vote ce que veut « le peuple », c’est-à-dire le peuple manifestant. La véritable légitimité est l’action directe du peuple. Il n’est donc pas surprenant qu’il estime que la réforme des retraites doive être adoptée par référendum et non par un vote du Parlement. Son discours populiste, qui frise parfois l’appel à l’insurrection, enjoint au président de procéder ainsi : « Si le président avait quelque chose dans le ventre, vu l'état dans lequel est le pays, il déclencherait un référendum. » Il entend faire de la « résistance » au Parlement, « jusqu'au moment où ils se prendront une raclée électorale aux municipales, qui peut-être va les faire réfléchir et leur faire dire: on arrête. »

L’occupation de la rue est à ce point capitale pour Mélenchon qu’il entend être le guide du mouvement populaire, fixant les dates des manifestations sans se soucier de ses partenaires et des syndicats. Son autoritarisme a fini par les exaspérer et à les décider à manifester ensemble à une date différente de la sienne, dévoilant ainsi sa faible capacité de mobilisation.  Le leader de la NUPES se trouvant du coup affaibli, c’est la NUPES elle-même qui perd de sa crédibilité.

La crise de LFI

À cette crise de confiance entre LFI et ses partenaires s’ajoute aujourd’hui une crise au sein même de LFI. L’affaire Quatennens qui a opposé Mélenchon à une partie des autres personnalités du parti, puis la reprise en main effectuée au bénéfice de son lieutenant, Manuel Bompard, qui s’est opérée au moyen d’une véritable purge, ont créé un grave malaise chez les Insoumis. Alors que Mélenchon se réjouissait de voir bientôt son protégé réintégrer l’Assemblée, le secrétariat exécutif du Parti de Gauche qui, remplacé par LFI en 2016, subsistait, assoupi, comme une composante du nouveau mouvement, s’est réveillé le 24 janvier pour décider d’exclure de ses rangs Adrien Quatennens. Cet acte confirme la gravité de la crise qui secoue aujourd’hui LFI. Le leadership de Mélenchon s’en trouve nécessairement mis en cause. Pour la première fois, l’après-Mélenchon est évoqué et pour la première fois également François Ruffin, député LFI, a dépassé Mélenchon sur la cote de popularité de l’IFOP. Tous ces éléments, en affaiblissant LFI, ont affaibli la crédibilité de la NUPES elle-même.

La crise du PS

C’est  dans cette conjoncture que s’est tenu le congrès du Parti socialiste. Le comportement de LFI et de son chef ont suscité au sein du PS un sentiment croissant de méfiance à l’égard de la NUPES, et le souhait que le parti garde ses distances dans son rapport à elle. La montée de ce sentiment explique que la motion conduite par Nicolas Mayer-Rossignol, hostile à la fusion dans la NUPES mais ne demandant pas cependant de la quitter, située politiquement entre celle du premier secrétaire sortant, défenseur de la NUPES, et celle d’Hélène Geoffroy, qui lui est hostile, ait rassemblé 30,5% des mandats, contre 49,2% pour Olivier Faure et 20,3% pour Hélène Geoffroy. Le vote pour le poste de premier secrétaire qui opposait Olivier Faure à Nicolas Mayer-Rossignol soutenu par Hélène Geoffroy a placé l’un et l’autre autour de 50%. Olivier Faure a finalement été proclamé vainqueur et, après un moment de crise, un compromis a été trouvé entre les deux candidats. Malgré sa courte victoire, la stratégie initiale du premier secrétaire d’arrimer le PS à la NUPES est en échec. Mayer-Rossignol, sans la rejeter, estime que le PS doit se relever lui-même tandis qu’Hélène Geoffroy s’est installée sur une position de refus de la NUPES. Le PS présentera probablement une liste aux élections européennes, ainsi que les Verts et le PCF. La gauche est donc plus morcelée que jamais.

La dérive démagogique de Mélenchon

Face à ses difficultés dans son propre parti, Mélenchon tente de reprendre l’ascendant en remobilisant ses tendances jacobines. C’est le sens de la montée du thème des « riches », qui n’est pas du simple populisme mais s’enracine dans une histoire de la radicalité marquée par la figure de Robespierre. Celui-ci s’interrogeait ainsi en décembre 1792 : « Le peuple n’a-t-il brisé le joug de l’aristocratie féodale que pour retomber sous le joug de l’aristocratie des riches ? », mais se rassurait : « Riches et égoïstes, vous n’arrêterez pas plus le cours de la raison humaine, que celui du soleil ». Mélenchon, attaquant nommément Bernard Arnault, dénonce un « mépris de classe » signalant « l'existence d'une catégorie sociale qui, petit à petit, n'hésite même plus à afficher son parasitisme. […] « Nous avons dans notre pays la pire des offenses […] : le premier milliardaire du monde est français. […] Accumuler de l’argent est immoral, […] car ce qui est accumulé, c’est ce qu’on a pris aux autres ». Il conclut : « oui, les riches sont responsables du malheur des pauvres ». Mélenchon reprend de Robespierre la vision d’une société divisée, avec un clivage irréductible entre des classes ennemies, dont l’une – les riches – ont fait sécession. Ces parasites ne méritent pas d’être appelés citoyens. Ils ne font pas partie du peuple. Ils ont pris la place des privilégiés et, comme eux, ils sont inutiles. Il reproche ainsi au patron de LVMH de ne pas avoir inventé « quelque chose d'utile aux autres êtres humains » comme « le vaccin contre le cancer ou bien un super train ». « Il vend du luxe, c’est-à-dire quelque chose qui ne sert strictement à rien. » Cette phrase est potentiellement totalitaire : Mélenchon sait ce qui sert et ce qui ne sert pas. Cet activisme solitaire et démagogique ouvre sur un imaginaire de guerre sociale contre les « ennemis du peuple ». On notera ici que le thème de la « guerre sociale » fait partie des éléments de langage déployés par LFI contre la réforme des retraites. Une partie grandissante des socialistes ne se retrouve pas dans cette rhétorique grandiloquente et agressive.

La gauche étant désormais sans leader reconnu et confrontée à des divisions profondes sur la politique extérieure et de défense, domaines qui ne peuvent que prendre plus d’importance encore en 2023, le projet de faire de la NUPES le pôle de regroupement de la gauche semble gravement compromis, quand bien même certains accords électoraux pourraient être passés à nouveau dans l’avenir, notamment si le mode de scrutin majoritaire actuel pour les élections législatives est maintenu. Cet affaiblissement de la NUPES pose aux partis de gauche un problème qu’ils ont souvent connu dans le passé et qui n’a jamais été facile à résoudre pour eux : l’attachement des électeurs de gauche à une union que ses composantes politiques n’ont jamais été en état de construire ou de préserver une fois réalisée. François Mitterrand avait réussi un temps mais dès 1984 l’union s’était brisée. Il ne semble pas que les gauches d’aujourd’hui soient plus capables que celles d’hier et d’avant-hier de réaliser un tel prodige, peut-être tout simplement parce que la gauche n’existe pas comme une véritable entité politique et idéologique, qu’elle n’est qu’un rêve qui s’efface au réveil.