Désolé, mais le capitalisme n’est toujours pas mort… edit

21 septembre 2009

Mais que s’est-il passé depuis le sommet de la crise financière ? Rappelez-vous. La faillite d’un des fleurons de Wall Street, Lehman Brothers, suivie d’une panique comme on n’en avait pas vue depuis 1929. Des injections publiques de plusieurs centaines de milliards d’euros dans les plus grandes maisons de la finance aux États-Unis, mais aussi en Europe. Des quasi-nationalisations à New York et Londres ! Tout ceci, bien sûr, a été suivi par une récession mondiale dont on n’a pas fini de mesurer les dégâts. Un événement historique, mais quelles conséquences ?

C’est peut-être cruel, mais inévitable, de commencer par quelques citations qui datent de l’an dernier. À tout seigneur, tout honneur. Le 28 septembre 2008 à Toulon, Nicolas Sarkozy déclarait « la fin d'un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l'économie et avait contribué à la pervertir », annonçant une refondation du capitalisme, axée sur une baisse des rémunérations des cadres dirigeants et la fin des paradis fiscaux. La convergence avec son ex-adversaire, Ségolène Royal, est complète : « Il faut que le pouvoir politique impose des règles aux banques, aux fonds spéculatifs, mette fin aux paradis fiscaux et réglemente les rémunérations des traders ». Comme toujours, c’est l’analyse idéologique qui domine en France alors que dans les pays anglo-saxons, d’où la crise est partie, on s’intéresse plus à traiter les dysfonctionnements des marchés financiers qu’à remuer les sentiments – légitimes – de jalousie et les ressentiments personnels contre « les banquiers », figure traditionnelle de la haine populaire sous tous les cieux.

À l’heure des bilans, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle c’est que la récession est sans doute terminée, même si elle va continuer dans les mois qui viennent à faire encore grimper le chômage. Rien n’est encore absolument certain mais si cette nouvelle se confirme, ce sera un succès éclatant pour la science économique. Que n’a-t-on dit de l’incapacité des économistes à prévoir la crise ! Sans décortiquer cette accusation en partie infondée, il faut reconnaître qu’ils ont su administrer l’antidote. Depuis un an les innovations des banques centrales sont hallucinantes et le résultat est là : il n’y a pas eu d’effondrement financier comme en 1929. Les garanties publiques et les efforts de relance ont permis cette sortie relativement rapide de la crise. Certes, il nous reste la lourde facture de dettes publiques partout gonflées, mais la grande misère des années trente, avec son cortège de troubles politiques, a été évitée. Ce n’était pas gagné d’avance.

La mauvaise nouvelle, c’est la lenteur des réformes nécessaires. Plus le temps passe et plus les grandes banques relèvent la tête et organisent la contre-offensive. Le risque est réel que rien de sérieux ne se fera. Certes, Sarkozy et consorts ont mis les paradis fiscaux à genoux, ce qui est une bonne chose, mais l’évasion fiscale n’a joué aucun rôle dans la crise. La bataille sur les bonus va accoucher de mesures limitées, qui ont de fortes chances d’être contournées. Déjà les prix de l’immobilier de luxe remontent à Londres, un signe que les golden boys ne sont pas très inquiets.

Car la grande leçon de la crise c’est que les grandes banques ont effectivement forcé les gouvernements à voler à leur secours. Même si les aides publiques n’ont pas été gratuites – certaines sont même couteuses pour les banques – la fiction que les autorités peuvent décider de ne pas intervenir pour sauver une banque a volé en éclat. Désormais, même si le doute était faible auparavant, tout le monde sait que les grandes banques peuvent prendre des risques insensés, ramasser les profits quand tout va bien, et se défausser sur les contribuables quand les paris sont perdus. Elles n’auront aucune raison de ne pas recommencer ce qui leur a si bien réussi, un jour, en plus grand. C’est ça qu’il faut empêcher. Trois grands types de solutions sont envisagées. Elles ne sont pas mutuellement exclusives.

La première solution consiste à réduire la taille des banques. C’était le cas aux États-Unis jusqu’à l’abolition en 1999 du Glass-Steagall Act de 1933, abolition qui est à l’origine directe de la crise. Interdire les grandes banques n’est pas possible de manière simpliste, mais il est tout à fait possible d’imposer des conditions prudentielles qui deviennent de plus en plus lourdes en fonction de la taille des banques. Cela, les banques n’en veulent pas, et pourtant ce serait la meilleure réponse.

La deuxième solution consiste à relever les exigences en matière de capital. C’est sur cette mesure que se concentrent les discussions internationales et il est probable que des changements seront décidés. Mais c’est un domaine où les détails comptent, et les détails sont très techniques. Les grandes banques vont s’employer à diluer les mesures par des quantités de spécifications techniques qui ennuient les politiciens et le public, au point de les décourager de ferrailler.

La troisième solution est de prévoir à l’avance ce qui se passera lorsqu’une banque est sur le point de succomber. Le débat n’est pas arrivé en France, mais il est vif en Angleterre sous l’aimable vocable de « testament de vivant ». L’idée est d’exiger de chaque grande banque qu’elle dépose de son vivant un plan qui stipule comment elle serait découpée en petites unités en cas de faillite. La perspective d’un démantèlement automatique devrait amener les banques à ne plus parier sur l’argent du contribuable. Ce projet est unanimement rejeté par les banques, évidemment.

Les débats en Angleterre et aux États-Unis sont intenses. Suivant ce qui sera finalement décidé, le paysage financier sera radicalement transformé, ou inchangé si les banques arrivent à limiter les dégâts. C’est moins glorieux que de refonder le capitalisme, mais ça c’est du réel. Il ne nous reste plus à nous Français (et Allemands) qu’à souhaiter bonne chance à Barack Obama et à Gordon Brown dans leur combat de titans, car c’est de ces bataille qu’émergera le « capitalisme financier » de demain qui, de toute façon, a de beaux jours devant lui. Et tant pis pour ceux qui n’attendent que sa disparition…