L’agriculture mondiale en 2050: des avantages comparatifs bouleversés edit

11 juillet 2022

Le changement climatique a déjà des conséquences importantes sur le secteur agricole et d’ici 2050, la hausse des températures, le stress hydrique et la multiplication d’événements extrêmes vont profondément affecter les cultures. Ces effets seront inégalement répartis sur les territoires et risquent d’aggraver les situations de crises alimentaires. Le commerce international peut-il avoir, dans ce contexte, un rôle stabilisateur ? C’est possible : les pertes de production en un lieu peuvent être compensées par une offre supplémentaire ailleurs, d’autant plus qu’une hausse des prix faisant suite aux chocs climatiques stimuleront de nouvelles productions dans de nouveaux lieux. L’ajustement vers une nouvelle géographie agricole risque cependant d’occasionner de multiples tensions, des replis protectionnistes et un accroissement des inégalités entre des pays de l’hémisphère Nord où l’adaptation est possible et des pays plus vulnérables qui vont perdre leurs rares spécialisations agricoles.

Le secteur agricole et sa dependance hydrologique aujourd’hui

Partons d‘une évidence : la production agricole dépend de la disponibilité en eau, qui est une fonction des eaux de surface et souterraines, de la température, de l’évapotranspiration des plantes et enfin de la géographie (les coûts de transport de l’eau étant prohibitifs). Toutes choses étant égales par ailleurs, les pays ayant une faible dotation en eau produisent peu de produits agricoles. Pour autant, en prenant en compte toutes ces caractéristiques, on s’aperçoit que la capacité à produire des biens agricoles à partir des ressources en eau disponible (construite à une échelle d’environ 50km² sur toute la surface de la Terre) est relativement bien répartie à l’échelle mondiale (Carte 1). Des pays (ou régions) aux climats relativement arides allient avancées technologiques et épuisement des nappes phréatiques pour produire (e.g. Nord de l’Inde, Espagne, Afrique du Sud, Australie), ou encore se spécialisent sur des productions en biens agricoles peu intensifs en eau (e.g. Algérie).

Carte 1. Disponibilité en eau

Si l’on s’intéresse aux exportations, le même constat prévaut : la disponibilité en eau est un élément essentiel des exportations, mais la sensibilité aux exportations en fonction de la vulnérabilité des pays aux changements climatiques est variable. Certains pays vulnérables peuvent compter sur leurs spécialisations ou leurs capacités institutionnelles et technologiques à s’adapter pour compenser les variations de la ressource, d’autres régions à l’inverse, ne disposant pas de ces avantages, ont une sensibilité de leurs exportations bien plus forte.

En 2050, le changement climatique entraînera un bouleversement des spécialisations agricoles à l’échelle mondiale

Grâce aux prévisions des agronomes et climatologues, il est possible d’utiliser les conditions climatiques et hydrologiques en 2050 pour analyser comment les productions et les exportations vont être affectées par le changement climatique. Plusieurs résultats intéressants ressortent de cette analyse. Il y a tout d’abord une évidence, plusieurs nations vont perdre certains de leurs avantages comparatifs dans la production des biens agricoles. La carte ci-dessous illustre cette perte de compétitivité qui est plus concentrée en Afrique sub-saharienne et en Inde qu’ailleurs mais touche tous les pays du monde.

Carte 2. Pourcentage des produits subissant une perte d’avantage comparatif

Une analyse par produits permet, par exemple, d’observer que la production de manioc entre l'Equateur et le Tropique du Cancer pourrait être beaucoup plus difficile en raison du changement climatique en Afrique, réduisant ainsi les avantages comparatifs de nombreux pays pour produire ce bien (carte ci-dessous).

Carte 3. Variation des avantages comparatifs sur le Manioc

Mais d’autres résultats, à première vue plus contre-intuitifs, sont aussi prévisibles. Certains pays pourraient ainsi améliorer leurs avantages comparatifs alors même que la ressource en eau se trouverait réduite. Deux mécanismes peuvent expliquer ce résultat. D’une part, des conditions défavorables pour une culture peuvent s’avérer encore plus défavorables pour d’autres productions, stimulant les investissements et les ressources dans la production des biens les moins négativement affectés. On retrouve ici le mécanisme des avantages comparatifs de Ricardo (1817), qui dépendent des productivités relatives et non des différences de productivité entre pays que le changement climatique pourrait stimuler. D’autre part, des pays possédant des territoires suffisamment vastes aux climats variés peuvent compter sur une certaine réallocation spatiale des productions pour maintenir leurs exportations et leurs avantages comparatifs.

C'est typiquement ce qui pourrait se produire aux États-Unis pour la production de blé, qui deviendra plus difficile en 2050 à l'Ouest et à l'Est de la Corn Belt, mais plus facile au centre, ce qui améliorera les rendements de cette culture (voir carte ci-dessous).

Carte 4. Variation de l’avantage comparatif pour le blé au sein des États-Unis

Enfin, en dépit d’une amélioration des conditions de la ressource en eau, certains pays peuvent perdre leurs avantages comparatifs. Ce serait le cas du riz en Inde.

Carte 5. Variation de l’avantage comparatif de l’Inde pour le riz

Conclusion

Face au changement climatique, la mondialisation peut permettre de réduire les risques d’insécurité alimentaire en permettant aux pays négativement affectés d’importer les biens nécessaires à leur survie en provenance des pays à même de maintenir ou augmenter leur production. Pour autant, les changements climatiques auront de larges conséquences au sein même des pays, nécessitant à la fois des réallocations de moyens vers les variétés les plus adaptées mais également des réallocations spatiales vers les régions les moins affectées.

En déséquilibrant les marchés mondiaux, il est également à craindre que le changement climatique affecte la mondialisation telle que nous la connaissons. Les années 1972-73 où les conditions climatiques affectèrent la production de céréales (notamment de riz en Thaïlande, premier producteur mondial), la flambée des prix de 2007, ou encore la crise du Covid puis la guerre en Ukraine ont entraîné un retour du protectionnisme dans les pays exportateurs, aggravant les pénuries sur les marchés mondiaux. Face aux défis climatiques, une coordination internationale est donc à plus d’un titre nécessaire.

 

Bibliographie

Fabien Candau, Charles Regnacq, Julie Schlick, « Climate change, comparative advantage and the water capability to produce agricultural goods », World Development, 2022.