À quoi sert un PS soumis? edit

9 mai 2022

Une fois de plus la magie du suffrage universel, alimentée par le vote utile et la quête des sièges, aura fait son œuvre au Parti socialiste :  le vil plomb du populisme, du souverainisme et du soutien aux dictateurs aura été transformé en or de la fidélité aux idéaux de la gauche, en socialisation d’une nouvelle génération politique et en espoir de l’union enfin rebâtie.

C’est à une triple conversion que l’on a assisté à la faveur de la nouvelle union populaire sous l’égide de Melenchon : celle de l’homme, de tribun populiste en Mitterrand du siècle nouveau ; celle des idées, d’une idéologie néopopuliste en réinvention de l’orthodoxie socialiste ; celle du programme, de la défense des avantages acquis à la réinvention des nationalisations, de la planification et de l’État providence étendu.

Mélenchon, l’homme du bruit et de la fureur, tour à tour incarnation de la République et vieux sage socialiste a revêtu trop de défroques pour être crédible. Quand on a été garant intransigeant de la laïcité, chantre du fédéralisme européen et républicain par toutes ses fibres, on ne prend pas impunément la défense du séparatisme pour cultiver le vote musulman, on ne met pas en péril la construction européenne par des propositions que l’on sait contraires aux règles communautaires… Et que dire de cette volonté de désarmer la France en l’invitant à quitter l’OTAN tout en se jetant dans les bras de Poutine et en refusant d’armer le peuple ukrainien pour faire face à l’agression russe ?

Grande histoire et petits calculs

Une drôle de musique a flotté dans l’air au cours de ces dernières semaines sur fond de grande histoire alléguée et de prosaïque comptabillité de sièges et d’euros. Cette musique célèbre le retour, enfin, des vrais programmes de gauche, ceux de 36 et 81 après une triste période, celle du réalisme gestionnaire, du tournant de la rigueur de 1983 et de la platitude européenne de la concurrence libre et non faussée. Mais, une fois l’accord signé et ratifié et le rideau tombé, on a découvert qu’il y pouvait y avoir encore pire que le déclin continu du PS, pire que le score d’Anne Hidalgo : la reddition pure et simple de la gauche de gouvernement, de ses valeurs laïques, humanistes et de modération, qui s’est parée des oripeaux de la gauche radicale, une fois encore relancée par ce nouveau moment historique.

Bien sûr, cette défaite en rase campagne est présentée comme un retour aux sources. En se ralliant au programme de LFI en bloc, sur le SMIC, l’abandon de la loi El Khomri sur la compétitivité des entreprises, la retraite à 60 ans, la VIe République, la répudiation des engagements européens en invoquant un droit à la désobéissance dans le respect de l’État de droit, le PS aurait renoué avec le meilleur de son inspiration, le programme de 36 ou de 81, et rompu ainsi avec les errements de l’ère Hollande.

Ce qui au départ ne devait être qu’une concession du bout des lèvres au programme présidentiel de Mélenchon, pour maximiser le rendement en termes de circonscriptions, s’est transformé en liquidation  de l’œuvre de gouvernement de la gauche depuis 1983. Le gouvernement Jospin s’était illustré par l’ampleur des privatisations ? La gauche nouvelle se propose de nationaliser EDF, les compagnies d’autoroutes etc. Depuis 1983 et sous le magistère de Delors et Mitterrand la logique de l’intégration européenne a prévalu avec le marché unique, l’euro et maintenant la souveraineté partagée en matière de diplomatie et de défense ? Aujourd’hui les Insoumis clament que c’est l’héritage du référendum de 2005 qu’ils entendent effacer. Enfin avec Hollande l’économie de l’offre a reçu son baptême de gauche, la question productive a été prise au sérieux, le CICE, la flat tax et la loi ElKhomri ont été adoptés, avec les succès que l’on mesure aujourd’hui sur le front de l’emploi ? Ils sont aujourd’hui rejetés comme autant de symboles d’une gauche ayant cédé aux sirènes de l’ultra-libéralisme.

Malheur aux vaincus, les socialistes ont dû accepter par avance que Mélenchon soit le Premier ministre chargé d’appliquer ce programme en cas de victoire et de faire campagne sous la photographie du nouveau leader. Accepter également d’être absents de plus de 500 circonscriptions législatives, actant ainsi leur marginalisation.

Trois interprétations et un enterrement

L’acceptation par le Parti socialiste de sa satellisation par un parti de gauche radicale relève de trois types d’interprétations.

La première, dominante dans les médias, voit dans cette orientation une manifestation d’opportunisme pour sauver des sièges, préserver une organisation et préparer le rebond futur. En somme une pure stratégie de survie dont le prix à payer a été l’adoption sans discussion de l’agenda mélenchonien, une stratégie gagnant-gagnant puisque Mélenchon peut avoir le sentiment qu’il a terrassé son ennemi tandis que le PS s’est ménagé une voie vers la survie. Dans cette lecture, les programmes importent peu, les valeurs pas davantage, et le reniement de la pratique gouvernementale n’intéresse que les historiens.

Or cette thèse s’est révélée fausse à de nombreuses reprises : on ne s’engage pas impunément sur les nationalisations, les 35 heures ou la revalorisation, comme  l’histoire des quarante dernières années nous l’a enseigné. En cas de retour au pouvoir, tout manquement à ces engagements nourrirait une fois encore le procès en trahison – et toute application ferme du programme mènerait le pays à la ruine.

La deuxième explication, qu’entend accréditer l’actuelle direction du PS, est qu’un cycle s’achève : celui de l’ère Hollande marqué par les compromissions avec le libéralisme, l’émoussement du tranchant du socialisme. Une nouvelle génération émergerait à la faveur de la débâcle de 2022 qui entendrait renouer avec les sources vives du socialisme et par conséquent avec l’union de la gauche. Le triomphe du socialisme radical dans les urnes marquerait ce passage de témoin de Hollande à Mélenchon, Oliver Faure n’étant que le scribe du peuple de gauche. Le PS réouvrirait ainsi un cycle, sans cesse reproduit, de radicalité idéologique dans les phases de conquête du pouvoir, de réalisme dans l’exercice du pouvoir, et de reniement lors des retours dans l’opposition.

Mais cette thèse n’est plus guère soutenable aujourd’hui du fait de la réalité nouvelle d’une France profondément intégrée à l’Europe et vivant de fait sous un régime de souveraineté partagée. La  France peut-elle sans péril, pour elle-même et l’Europe, s’essayer aux facéties programmatiques de M. Mélenchon ? On ne peut prôner des mesures qui aboutiraient à un Frexit de fait et jurer ses grands dieux qu’une désobéissance aux règles européennes pour appliquer son programme serait négociable avec nos partenaires européens. En outre, avec le réveil de la guerre froide et le conflit en Ukraine dont l’enjeu central est la question démocratique en Europe, la France peut-elle mettre en péril ses alliances et affaiblir le front des démocraties ?

La troisième explication serait de plus long terme. La reddition du Parti socialiste signe l’impossibilité définitive de sa transformation en parti social-démocrate et donc la fin du grand cycle d’Epinay qui, de 1971 à 2022, a vu le PS incapable de sortir de l’ambiguïté fondatrice dont François Mitterrand l’avait doté à la naissance, voulant à la fois en faire un parti de rupture avec le système établi, gage de légitimité idéologique, et un parti capable de gagner les élections, gage de crédibilité politique.

La manière dont Olivier Faure a bradé le Parti socialiste ne s’explique pas seulement par son objectif de conserver quelques circonscriptions, en particulier la sienne. Il faut prendre au sérieux sa déclaration, au début de la négociation avec LFI, selon laquelle il n’existait aucun désaccord insurmontable entre les deux partis. Le quinquennat Hollande a marqué l’échec définitif de la greffe social-démocrate sur le tronc du socialisme français. Le fait qu’en France les socialistes aient toujours pensé que seule l’union avec les communistes ou leurs successeurs pouvait leur donner une légitimité suffisante a été un marqueur permanent de cette impossibilité. Les électeurs de gauche viennent de confirmer à nouveau ce mantra. Mitterrand seul a pu résister un temps car il n’était pas de tradition socialiste. Pas ses successeurs. Lionel Jospin n’a-t-il pas appelé à cette rédition, comme si la « gauche plurielle » dirigée par lui et la « nouvelle union populaire écologique et sociale » dirigée par Mélenchon n’étaient que deux versions différentes mais compatibles de la même gauche ?  La gauche jacobino-communiste l’a finalement emporté. Le PS n’a plus les forces – idées, valeurs, leaders et électeurs – pour tenter une révision idéologique qu’il n’a jamais vraiment voulu entreprendre. Le PS ne peut plus être un parti de gouvernement. Ou alors en supplétif d’un gouvernement Mélenchon. Mais il s’agira alors de tout autre chose !