La monnaie fiscale, une solution à la crise italienne edit

23 mai 2018

La forte performance électorale des partis eurosceptiques italiens tels que M5S et la Lega (qui sont en train de former un nouveau gouvernement) a été attribuée à l’état désolant de l’économie. Le PIB italien en euros constants en 2017 était inférieur de 100 milliards d’euros à son niveau de 2007, soit une baisse de 5,5% ! Pendant ce temps, les exportations ont augmenté de 7,8% - ce qui n’est pas une performance stellaire en dix ans, mais un signe clair que le principal coupable est le manque de demande intérieure. Si le PIB de l’Italie avait augmenté au même rythme que les exportations, il serait aujourd’hui supérieur de 14% (soit 241 milliards d’euros).

Cela contribue à maintenir le taux de chômage (y compris les travailleurs découragés et involontairement à temps partiel) à un niveau très élevé d’environ 30%. Il ne fait aucun doute qu’il existe un énorme écart de production (output gap, l’écart entre le niveau réel du PIB et son niveau potentiel). Certes, l’économie italienne souffre aussi d’autres problèmes. La croissance de la productivité a été misérable au cours des 20 dernières années. Mais, encore une fois, c’est au moins en partie une conséquence de la baisse de la demande. En 2017, les dépenses d’investissement en termes réels ont diminué de 18,5% par rapport à 2007. La faiblesse de la demande du secteur privé, les restrictions budgétaires dans les dépenses publiques et le faible taux d’utilisation des capacités ont tous eu des effets négatifs durables sur les investissements et la productivité.

Étant donné que les règles budgétaires limitent la capacité de l’Italie à relancer la demande par l’émission de dette et que la politique monétaire est aussi accommodante qu’elle l’est, un autre instrument est nécessaire. Cet instrument existe : c’est ce que l’on appelle la monnaie fiscale.

Notre proposition est que l’État émette des obligations négociables et transférables, que les porteurs puissent utiliser pour des réductions d’impôts deux ans après l’émission. Ces obligations – appelées Credit Tax Certificates (CCF) – auraient une valeur immédiate, puisqu’elles incorporeraient des créances sûres à des économies fiscales futures, et seraient immédiatement échangeables contre des euros ou utilisables comme instruments de paiement (parallèlement à l’euro) pour acheter des biens et des services.

Les CCF serait alloués, sans frais, pour compléter les revenus des employés, financer les investissements publics et les programmes de dépenses sociales, et réduire le coin fiscal (la différence entre ce que paie l’employeur et ce que touche le salarié). Ces allocations augmenteraient la demande intérieure et (en imitant une dévaluation du taux de change) amélioreraient la compétitivité des entreprises. Par conséquent, l’écart de production se comblerait sans affecter la balance extérieure du pays.

Dans un récent article sur Telos, Eric Chaney remarque que notre proposition équivaut à augmenter la dette de l’Italie et à échapper au Pacte de stabilité. Pas du tout ! Selon les règles d’Eurostat, le CCF ne constituerait pas une dette: par construction, il s’agirait d’ « actifs d’impôts différés non remboursables ». En tant que tels, ils ne seraient pas enregistrés dans le budget jusqu’à ce qu’ils soient utilisés pour des remboursements d’impôts qui, selon notre proposition, surviendraient deux ans après l’émission, lorsque la production et les recettes fiscales se seront rétablies). Que le CCF ne crée pas de déficit à l’émission et ne constitue pas une dette n’est pas une question d’opinion, c’est un fait comptable. En tout état de cause, des clauses de sauvegarde sont incorporées dans la proposition afin de protéger le budget dans le cas improbable d’un manque à gagner.

Sur la base d’hypothèses très conservatrices (c’est-à-dire un multiplicateur budgétaire de 1 et une reprise des investissements du secteur privé pour récupérer la moitié de la baisse depuis 2007), la croissance du PIB générerait des recettes fiscales supplémentaires suffisantes pour compenser les réductions d’impôt. Les projections montrent que ces dernières culmineraient à environ 100 milliards d’euros, ce qui se compare aux plus de 800 milliards d’euros de recettes publiques totales de l’Italie. Ainsi, le taux de couverture (c’est-à-dire le rapport entre les recettes brutes de l’État et les remboursements d’impôt exigibles chaque année) serait suffisamment élevé pour tenir compte des déficits éventuels dus à de futures récessions.

Certains soutiennent que, même si la monnaie fiscale se conforme formellement aux règles de la zone euro, cela va à l’encontre de leur esprit en les contournant. Ce n’est pas vrai. Les règles de la zone euro obligent les pays à limiter les risques financiers en évitant le surendettement. Mais ces risques sont créés par les types de dettes sur lesquelles les pays peuvent être contraints de faire défaut. C’est pourquoi la définition de la dette de Maastricht n’inclut pas les crédits d’impôt non remboursables ou toute forme de dette non financière renouvelable (comme les dettes commerciales).

En activant un programme de monnaie fiscale, l’Italie résoudrait son problème d’écart de production sans rien demander à personne. Aucune révision des traités européens ne serait nécessaire. Aucun transfert financier ne serait nécessaire. La dette publique cesserait de croître et commencerait à diminuer par rapport au PIB, ce qui permettrait d’atteindre l’objectif du Pacte de stabilité et de croissance. Les finances publiques seraient viables tant que la BCE confirmerait son engagement « whatever it costs » - ce qu’elle n’aurait aucune raison de désavouer avec la stabilisation de la dette italienne.

Avons-nous trouvé la pierre philosophale ? Certainement pas - dans une économie où les ressources sont largement insuffisantes, le multiplicateur exerce ses effets principalement sur la production et modérément sur les prix. Et si les fuites externes sont contenues grâce à l’amélioration de la compétitivité, les effets multiplicateurs sont les plus importants possibles. La monnaie fiscale consiste à mobiliser des ressources inutilisées, à accélérer l’investissement et à inciter les banques à recommencer à prêter. Comme l’a récemment commenté le Financial Times, la proposition est « techniquement possible ».

Même si l’Italie devait assouplir sa discipline budgétaire et décider de trop émettre de le monnaie fiscale, seuls les bénéficiaires seraient touchés, car la valeur de l’instrument chuterait alors que l’émission excédentaire n’affecterait pas l’euro et n’augmenterait pas le risque de défaut d’un instrument qui, précisément, ne peut faire défaut. En tout état de cause, le haut niveau du taux de couverture rendrait ce scénario totalement improbable. En outre, il est juste de se rappeler que l’incapacité de l’Italie à maîtriser les dépenses publiques nettes est un faux mythe. Entre 1998 et 2017, l’Italie a été le seul pays de la zone euro à dégager un excédent primaire chaque année (à l’exception de 2009). Au contraire, l’Italie a souffert de restrictions budgétaires publiques excessives, ce qui a entraîné une baisse spectaculaire de sa production.

Une forte reprise de l’économie italienne (et éventuellement d’autres pays du sud de la zone euro, qui pourraient reproduire le cadre budgétaire) est une condition préalable indispensable pour que l’Europe coopère efficacement et harmonieusement. La monnaie fiscale est l’outil approprié pour rendre cet objectif réalisable.

The Group of Fiscal Money: Biagio Bossone, Marco Cattaneo, Massimo Costa, Stefano Sylos Labini. Biagio Bossone tient à souligner que les opinions qu’il exprime conjointement avec le Groupe dans cet article ainsi que dans tous les autres articles sur le même sujet doivent être considérées comme personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles des institutions et organisations avec lesquelles il entretient des relations professionnelles.