Retour au hollandisme? edit

13 juillet 2017

Les illusions n’ont qu’un temps. De Gaulle avait fait croire que la France était redevenue une grande puissance et avait retrouvé son rang. Mitterrand avait placé l’ambition de la France dans la construction d’une Europe qui serait française. Emmanuel Macron a fait rêver quelques semaines la moitié des Français : à travers sa jeunesse, son autorité, sa capacité à abattre les obstacles, son comportement à l’égard des grands de ce monde, la France se présentait comme un pays dynamique et écouté, ouvert sur un avenir prometteur. Revenons à la réalité.

Concilier relance rapide et réduction des déficits

La France, puissance moyenne, vit au-dessus de ses moyens, comme en témoignent le déficit structurel et ancien de sa balance des comptes, l’endettement et le chômage massif. Elle peut être écoutée, mais à condition qu’elle résolve ses problèmes intérieurs, comme elle en a pris l’engagement auprès de ses partenaires, à de nombreuses reprises et sans résultats convaincants.

La solution est complexe parce que les objectifs à atteindre sont contradictoires, au moins sur le court terme. Pour réduire le chômage, il faut investir massivement dans les infrastructures, les équipements productifs, la recherche et la formation, notamment professionnelle, ce qui implique de dépenser plus et de décaler dans le temps la réduction des déficits publics. Mais retarder une diminution des dépenses publiques, à l’effet récessif, affaiblirait notre position vis-à-vis de nos partenaires européens au point de compromettre la relance de l’Europe, élément majeur de la stratégie du président de la République.

Le discours du Premier ministre n’a pas levé la contradiction, même si, de façon pertinente, il a essayé de couvrir simultanément le court et moyen terme en renvoyant en fin de mandature les engagements les plus coûteux du candidat Macron.

À vrai dire le dispositif économique et financier proposé reprend des mesures souvent annoncées dans le passé, rarement appliquées et aux effets incertains. L’exemple le plus caractéristique est celui des finances publiques. Le diagnostic est fondé sur le pourcentage unique et incantatoire de la dépense publique rapportée au PIB, soit 57%. Ce ratio n’est guère éclairant et ne saurait être un instrument pour l’action.

La dépense publique est diverse et les comparaisons internationales montrent que dans un certain nombre de secteurs la France ne dépense pas plus que ses voisins. C’est le cas pour beaucoup de dépenses de l’État, dites de souveraineté, dont la Justice et les Affaires étrangères. Posent problème l’Éducation (en partie à cause de notre démographie et de l’importance du secteur public), les aides aux entreprises (contrepartie de charges fiscales et sociales élevées) et surtout la protection sociale (supérieures de 5 points à la moyenne européenne). Sur ce dernier point, précisons que notre système de santé et de retraite, fondé sur la solidarité nationale, est fortement mutualisé au détriment du privé et que des prélèvements au bénéfice de l’État en France sont à l’étranger au bénéfice de sociétés privées.

À ce pourcentage unique de la dépense publique est associé un mal unique dénoncé par tous, « l’addiction à la dépense publique » , avec pour corollaires le problème de son volume et la question de son efficacité.  Seul un traitement différencié peut être appliqué. Acceptons le simplisme de ce fameux ratio et décidons de le baisser. Cela passe par des économies massives. Lesquelles et où ? Partout, répond le gouvernement qui reste dans le flou, à l’instar de ses prédécesseurs et des candidats aux primaires, sauf sur un point, l’emploi public. Une diminution des effectifs des fonctionnaires, 120 000 sur le quinquennat, est prévue.

Mais les autres économies, dans quels secteurs les trouver et à quel rythme les réaliser ? Le Gouvernement exclut la méthode du rabot et de l’échenillage sans concevoir un dispositif d’ensemble.

L’urgente nécessité d’un dispositif opérationnel de réforme de l’État

Seul un réexamen systématique des missions de l’État et des services publics est à la mesure du problème. C’est ce qu’avait tenté de faire Nicolas Sarkozy avec la modernisation de l’action publique. Des travaux techniques de qualité avaient été réalisés mais la réforme a échoué parce qu’elle était élaborée en circuit fermé sans concertation avec les parlementaires et les groupes concernés.

Il est urgent qu’un dispositif fonctionnel et politique soit mis en place. Faire des économies massives, c’est redessiner la place respective du public et du privé, de l’État, celle des collectivités locales, des administrations centrales et des agences. Nous sommes au cœur de la démarche macronienne : accroître la liberté des acteurs, déconcentrer, faciliter l’initiative. Il fut un temps où le Commissariat général du Plan était l’enceinte naturelle pour ce genre de réflexion. En 2017, c’est le Parlement qu’il faut associer : la catégorie « députés-maires », source de conservatisme à l’échelle nationale, a disparu et les nouveaux élus macroniens ont encore peu de bagages ralentissant leur marche. Une telle approche exige du temps, même si elle se subdivise en séquences. Elle est complexe.

Les réorganisations peuvent dans un premier temps être coûteuses : évaluations, compensations accordées aux « perdants », numérisation accroissant la productivité et la qualité des services rendus. Même en étant le plus sélectif possible, il faudra redéfinir un certain nombre d’aides sociales, et les effets par catégories socioprofessionnelles devront être appréciés avec soin.

Un tel dispositif implique l’engagement personnel du Premier ministre. Croire que ce qu’il faut bien appeler la réforme de l’État puisse être conduite exclusivement à partir de Bercy est un leurre. L’inspecteur des Finances que fut Emmanuel Macron n’est pas sans connaître les cadavres qui encombrent les placards, RCB, PPBS, RGPP… La direction du Budget vit dans la contrainte de l’urgence qui la conduit, parfois, à prendre des mesures unilatérales, centrées sur le renforcement de son pouvoir, ce qui a parfois provoqué des catastrophes, par exemple dans le domaine de l’informatisation avec le fichier national de paye.

Le risque du rabot

D’ici la prochaine loi de finances, le gouvernement ne peut que manier et procéder par échenillage. S’agissant de l’exercice 2017, la tâche est relativement aisée et les inconvénients limités. La situation a probablement été dramatisée par la Cour des comptes, à la grande satisfaction du gouvernement. La direction des Finances a sous le pied plusieurs milliards de crédits relativement faciles à annuler. Il s’agit de raboter pour 0,2% du PIB.

Pour 2018, le bouclage sera beaucoup plus difficile. Des niches fiscales devront être remises en cause. Rappelons que la suppression des niches fiscales se traduit in fine par une augmentation des impôts, ce qu’aucun gouvernement ne précise jamais. Souhaitons que ces suppressions ne se fassent pas uniquement en fonction de la capacité de résistance des lobbys mais selon des critères fonctionnels. Certaines exonérations fiscales dans le domaine du logement sont inutiles, comme par exemple les PEL détenus par des épargnants âgés et déjà logés, sachant que la construction est actuellement le moteur le plus actif dans l’économie française, ce qui conduit à une interrogation globale sur la croissance.

En plus de l’absence d’innovation dans le traitement des finances publiques, la dynamique de croissance implicite est dans la continuation du précédent quinquennat. Elle ne vient pas de la demande ni de la consommation, le pouvoir d’achat étant légèrement réduit par une reprise de la hausse des prix. Elle ne sautait venir de la réforme du marché du travail dont les effets éventuellement bénéfiques sur la croissance se situent dans le moyen terme.

On s’attendait à ce qu’elle soit alimentée par une forte progression des investissements publics et privés, allant au-delà de la compensation des économies budgétaires. Le candidat l’avait annoncé à cor et à cri, indiquant le recours à des formes originales d’emprunt à l’échelle nationale et européenne. Or l’économiste principal de l’équipe Macron, Jean Pisani-Ferry, qui a en charge ce dossier, indique n’avoir pour l’instant aucune idée précise du mode de financement.

Il est vrai qu’existe une contradiction entre des taux d’intérêt encore bas qui incitent à emprunter et la nécessité de stabiliser un endettement public élevé représentant un risque grave en cas de remontée des taux. Il faudrait recourir à des mécanismes de garantie par l’État, sans qu’il soit directement emprunteur. Seule innovation annoncée : un arbitrage d’actifs industriels possédés par l’État au profit du financement de l’innovation.

En l’absence d’une stimulation par la consommation et par l’investissement public, nous ne sommes pas loin d’une « dynamique attentiste » à la Hollande, fondée sur une amélioration du climat international et interne et sur une légère inflexion de la courbe du chômage, ayant des effets positifs sur les comportements. Une stratégie de l’optimisme, hypothétique et peu volontariste.

Certes la croissance de la demande mondiale s’améliore mais nos performances à l’exportation et notre compétitivité restent fort médiocres. Certes le moral des chefs d’entreprises est meilleur, bien que le décalage des baisses d’impôts ou de charges et l’absence d’un programme massif d’investissements risquent d’étouffer l’élan d’optimisme lié à l’élection d’Emmanuel Macron.

La stratégie macroéconomique et la réforme de l’État sont des sujets dignes d’un président de la République dont on attend une capacité à innover. Puisse cette attente ne pas être déçue et ce nouveau quinquennat ne pas retomber dans les ornières du précédent.