Faut-il se résoudre à annoncer des politiques non-chiffrées? edit

27 mars 2020

C’est la nouvelle compétition. Les gouvernements et les banques centrales ne cessent d’annoncer des objectifs toujours accrus en matière de dépenses ou de prêts. Chaque annonce trivialise la précédente, parfois à quelques jours d’intervalle. Non seulement cette accumulation révèle leur ignorance de la situation mais elle indique une erreur de raisonnement.

Comme toujours, c’est le président Trump qui en offre l’exemple le plus frappant, mais les autres responsables devraient de garder de s’en moquer. Pendant des semaines, il a annoncé que tout allait bien se passer, puis il a promis de dépenser 2,5 milliards de dollars (0,01% du PIB). Le Congrès a alors voté une somme de 100 milliards (0,5% du PIB). On en est à présent à 2000 milliards. Le spectacle est similaire un peu partout ailleurs.

Bien sûr, nous sommes rentrés en terres inconnues. Chaque, nous comprenons un peu mieux la nature de l’épidémie et ses conséquences économiques. Ce processus va se poursuivre, encore et encore. Les responsables économiques se demandent quelles doivent être leurs réponses aux informations quotidiennes. Mais ce que nous observons ne peut pas être la bonne réponse. Les responsables doivent regarder au-delà.

Leur action doit prendre en compte l’extraordinaire incertitude de cette période. Il est généralement admis que les politiques économiques doivent s’attaquer directement aux difficultés rencontrées par des millions de personnes et d’entreprises. Il est aussi important de préparer la reprise de l’activité une fois la crise passée. Une très forte expansion, qui compensera la profonde dépression en cours, est possible. Ces deux objectifs requièrent de de contenir la montée de la pauvreté et des faillites. Cette stratégie est bien assimilée, mais il reste un redoutable défi : chaque personne et chaque entreprise est un cas spécial, à traiter comme tel. Envoyer des chèques à tout le monde, la manière dont Trump pense utiliser ses milliards, est bien trop simpliste. C’est très cher et très inefficace. Une approche bien plus fine est nécessaire, mais elle est aussi beaucoup plus difficile. Les idées commencent à apparaître un peu partout, heureusement.

Il y bien longtemps que les gouvernements ont accepté que leurs budgets doivent être soigneusement préparés et chiffrés, même si les engagements ainsi pris sont oubliés dès qu’annoncés. Chiffrer les budgets en détail est désormais une exigence, et c’est peut-être ce qui explique ces annonces continues. Mais, dans la situation actuelle, il est tout bonnement impossible de procéder de la manière habituelle. La question est : les responsables des politique économiques doivent-ils se résoudre à annoncer des politiques non-chiffrées ?

Quand les chiffres se révèlent rapidement être dépassés, c’est peut-être le moment de s’en passer, de manière strictement temporaire. Les gouvernements et les banques centrales se doivent de concentrer tous leurs moyens disponibles sur la définition précise de leurs interventions. Il leur faut aussi continuellement ajuster le tir au fur et à mesure que la compréhension de la situation progresse. Ils devraient s’arrêter de tout chiffrer en temps réel. Les coûts seront ce qu’ils seront. Nous découvrirons bientôt la facture, et elle sera gigantesque.

Cela nous alerte aussitôt sur un autre défi. Les gouvernements doivent dès à présent envisager ce qu’ils feront lorsqu’ils découvriront la taille de la facture. S’ils auront adopté les bonnes mesures face à l’épidémie, la reprise sera très vigoureuse lorsque les ménages achèteront ce qu’il n’ont pas pu acheter et les entreprises multiplieront les heures supplémentaires pour faire face à la demande. Les politiques macroéconomiques habituelles de soutien à la croissance seront inutiles. Sera venu alors le temps de s’attaquer aux conséquences budgétaires de leurs interventions. Ce ne sera pas facile. Des millions de mauvaises raisons plaideront pour remettre l’ajustement à plus tard. La fenêtre de tir pourrait être brève, il serait très triste de la laisser se refermer sans en avoir profité.

Penser dès maintenant à l’ajustement futur a l’avantage d’éclairer les décisions en cours face à l’épidémie. Les gouvernements doivent aider, mais en prêtant ou en opérant des transferts ? La réponse doit se faire cas par cas, mais elle doit aussi intégrer le besoin ultérieur d’ajustement. Les prêts devront être remboursés, mais quand et à quel rythme ? Cela doit être prévu à l’avance. Les transferts sont des dons, mais ils peuvent être indirectement récupérés quand la reprise génère des gains et des profits. Prévoir ces aspects est essentiel pour la suite.

Et les banques centrales?

Leur responsabilité première est d’éviter que la crise économique ne se transforme en crise financière. Elles veulent également encourager les banques à accorder largement des prêts aux ménages et aux entreprises qui seront en souffrance, et aussi aux gouvernements qui vont devoir emprunter des montants énormes pour financer leurs interventions. C’est très clairement ce dont préoccupent les banques centrales, qui assument leur rôle de prêteur en premier ressort. Elles fournissent des sommes gigantesques aux marchés financiers pour éviter ce qui s’est produit en 2008, le gel des activités lorsque les traders redoutaient de ne pas être payés ou de voir leurs contreparties en faillite. Plusieurs banques centrales ont aussi abaissé le taux d’intérêt pour rendre les emprunts plus abordables.

Les banques centrales ont aussi annoncé les montants qu’elles ont l’intention de fournir. Comme les gouvernements, elles ont rapidement augmenté ces montants. Annoncer les montants est devenu la pratique habituelle en matière de « quantitative easing » (assouplissement financier), mais est-ce la démarche la mieux appropriée ?

Pour l’instant, il n’y a pas de crise financière. Certes, les cours boursiers ont beaucoup baissé ces temps derniers, avant de remonter. Mais, avant l’épidémie, l’avis général était que les cours des actions étaient surévalués. Les discussions portaient sur quand et comment se produirait la correction. Maintenant, la correction est en cours, grâce à l’épidémie. Il est bon de la laisser aller à son terme, même si elle dépasse ce qui est nécessaire. Depuis une dizaine d’années, les investisseurs ont gagné des fortunes, maintenant ils doivent perdre une partie de leurs gains. Les profits reviendront après l’épidémie. Ce n’est donc pas une crise financière et les banques centrales ne devraient pas essayer de faire remonter les cours.

Pourquoi annoncent-elles des chiffres, alors ?

Par orgueil, peut-être, parce qu’elles ne veulent pas être en reste par rapport aux gouvernements ? Trop enfantin pour être plausible. Le plus probable c’est qu’elles veulent que leurs appels aux marchés financiers, qu’il prêtent vite et beaucoup, soient entendus. Elles peuvent faire mieux. La caractéristique unique des banques centrales est qu’elles peuvent annoncer des interventions de taille potentiellement infinie. Quand elles annoncent des chiffres, même gigantesques, elles se privent de leur outil le plus puissant. Si elles annonçaient simplement qu’elles vont fournir n’importe quel montant nécessaire, elles enverraient un signal beaucoup plus puissant et elles s’éviteraient d’avoir à remonter sans arrêt leurs chiffres que, de toute façon, elles ne peuvent pas évaluer à l’avance.