Nationaliser EDF? edit

3 mai 2019

Au moment où le gouvernement s’apprête à privatiser ADP et à céder tout ou partie de sa participation dans Engie, les cabinets ministériels et les banques d’affaires bruissent d’échos sur la renationalisation d’EDF. Étrange politique ! La privatisation d’ADP est justifiée par le désendettement de l’État, le retrait de secteurs matures et le transfert des investissements futurs au privé. La nationalisation, elle, est justifiée par les dettes d’EDF, le contexte concurrentiel… et les investissements à réaliser dans un secteur mature. L’Etat privatise pour se désendetter et nationalise en s’endettant !

En fait l’argument en faveur de la renationalisation tient en trois constats : EDF n’a pas les moyens de faire face au mur d’investissements qui lui est imposé par les impératifs de sûreté du nucléaire, le financement du nouveau nucléaire et celui des énergies renouvelables. EDF est déjà surendetté et est potentiellement en risque compte tenu de ses engagements dans Hinkley Point. Enfin la machine à cash que représentent l’ancien nucléaire, l’hydraulique et les réseaux est en voie d’épuisement avec la concurrence qui mord sur les parts de marché, l’inertie des coûts et la volatilité du prix de gros de l’électricité.

La solution qui semble s’esquisser consiste à renationaliser EDF pour un coût minime, puis à constituer une société filiale autour des services, des réseaux de distribution et du renouvelable et de privatiser partiellement cette filiale.

Comme bien souvent lorsque de tels projets fuitent, on a du mal à trouver une rationalité lisible aux projets étatiques.

L’intérêt de cette formule serait double : cantonner les actifs et les dettes du nucléaire et de l’hydraulique dans une structure contrôlée à 100% par l’État ce qui permet de renvoyer à l’État le risque de la dette et des investissements futurs, autonomiser les activités de marché et de renouvelables dans une entité partiellement privatisée et qui pourrait fusionner avec une société sœur en Allemagne ou ailleurs.

Mais il faut aller au fond des choses. Si la nationalisation est la solution, quels problèmes entend-on vraiment régler ?

 

Une entreprise soumise à des injonctions contradictoires

Les problèmes d’EDF ont été souvent évoqués ici. L’entreprise est prise dans un nœud de contradictions qui ne cessent de s’aggraver et qui tiennent en partie aux injonctions contradictoires de l’État.

La France a fait le choix du nucléaire mais l’opinion publique marquée par Tchernobyl et Three Mile Island est de moins en moins acquise à ce choix d’où la décision de réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique, mais aussi des coûts grandissants de mise à niveau de l’ancien nucléaire, et enfin l’adoption de l’EPR, une centrale hyper-sécurisée comme base du nouveau nucléaire. L’empilement de contraintes nouvelles rend le nouveau nucléaire non compétitif. À défaut d’envisager une sortie complète du nucléaire, pour des raisons qui tiennent à la prépondérance de cette source d’énergie et à notre spécialisation industrielle dans ce secteur, la concession faite à l’opinion publique a été de réduire la part du nucléaire dans la fourniture électrique. Si la France conserve du nucléaire en base, elle devra donc comme le Royaume-Uni accepter de payer cette énergie plus cher.

La France a fait dans le cadre européen le choix de la libéralisation du marché de l’énergie. Avec un mix électrique à 75% en nucléaire amorti, il ne peut y avoir de nouveaux entrants et donc de concurrence faite à EDF. La solution a donc consisté à donner aux concurrents d’EDF l’option d’acheter le quart de sa production nucléaire à 42€ le MW/H (ARENH). Lorsque les prix de gros sont supérieurs à l’ARENH les concurrents d’EDF exercent leur option, lorsque les prix sont plus bas ils se fournissent sur le marché. Ainsi EDF subventionne ses concurrents pour qu’ils lui prennent des parts de marché, elle renonce à une partie de sa rente sans compensation quand les prix de gros faiblissent alors qu’elle doit assurer seule les coûts des exigences grandissantes de sûreté.

La France n’a pas renoncé aux tarifs réglementés malgré les engagements pris en matière de libéralisation. Chaque révision tarifaire est l’occasion d’un bras de fer entre l’État qui tire les prix vers le bas, le régulateur qui tient compte de l’évolution des charges et EDF qui essaie de desserrer l’étau des contraintes. En refusant pour des raisons politiques les hausses légitimes de tarifs, l’État multiplie les contentieux et affaiblit l’entreprise qu’il contrôle très majoritairement pas ailleurs.

De plus dans le cadre des engagements pris pour la libéralisation du secteur, l’État a décidé de remettre sur le marché les concessions de barrages hydrauliques, privant ainsi EDF d’une source de revenus récurrents.

Enfin la France a fait le choix de la libéralisation des entreprises de réseau contrôlées par l’État tout en préservant les acquis historiques des salariés du service public. C’est ainsi que l’ouverture du capital d’EDF s’est faite avec maintien pour l’essentiel du modèle social d’une entreprise publique alors même que les nouveaux entrants pouvaient concurrencer l’exploitant historique en construisant d’emblée une entreprise adaptée à la nouvelle donne.

Ainsi EDF additionne les contraintes et subit des injonctions contradictoires : offrir son nucléaire amorti à ses concurrents et investir à grands frais dans le nouveau nucléaire, préserver les avantages sociaux et la cogestion avec la CGT tout en subissant la concurrence d’entreprises plus agiles, maintenir des tarifs bas et subir le coût des réglementations nouvelles… Le résultat prévisible de ces injonctions contradictoires est l’alourdissement de la dette, les pertes de parts de marché, le mur d’investissements.

 

Le scénario de nationalisation

Le scénario de nationalisation totale-privatisation partielle de la filiale est une réponse à cette accumulation historique de décisions contradictoires. En nationalisant le nucléaire, le contribuable sera conduit à financer, en cas de besoin, le nouveau nucléaire, le grand carénage, Hinkley Point et la politique de la concurrence à travers l’ARENH. Bref, l’État socialise les risques : le nucléaire doit être à 100% public , l’ouverture passée du capital aura été une erreur. En privatisant partiellement le nouvel EDF recentré sur les services, le renouvelable et la distribution, l’Etat récupère tout ou partie du capital investi pour la nationalisation de la holding et fabrique un objet plus adapté aux marchés financiers.

Avec le recul, on voit à l’œuvre la logique profonde de cette nationalisation : effacer les traces de l’incurie passée en transférant la charge au contribuable, sécuriser les investissements futurs en piochant dans les poches profondes de l’État.

Un tel choix ne va pas sans conséquences. L’UE aura son mot à dire sur les conditions de la renationalisation, EDF ne sera pas un concurrent comme les autres sur le marché libéralisé de l’électricité puisqu’il verra le financement du nouveau nucléaire garanti par l’État et l’hydraulique sans doute conservé. Enfin l’État devra faire des concessions aux syndicats pour faire évoluer la structure. On n’échappe pas facilement à ses contradictions même en étendant le manteau large de l’Etat sur les choix passés.

 

Une autre évolution était possible

L’État aurait pu mettre en œuvre la libéralisation du marché à laquelle il s’était engagé. Cela supposait d’accorder aux acteurs une liberté tarifaire, à EDF une maîtrise de ses effectifs et de sa politique sociale, et aux nouveaux entrants des incitations à la production. EDF aurait du alors se réinventer comme a su le faire Orange, rompre les amarres avec le modèle statutaire et s’engager de plain pied dans la concurrence.

L’État aurait pu maintenir EDF comme exploitant intégré car il y a un sens à disposer de sources différentes de revenus obéissant à des cycles d’activité et de rentabilité différents. Cela supposait que l’État prenne à sa charge le coût de la sécurité énergétique (comme au Royaume-Uni), qu’il ne fasse pas d’EDF le repreneur de l’ex-Framatome et qu’il indemnise EDF pour l’ARENH.

Mais dans chacun de ces deux cas, l’État aurait du sortir de l’ambigüité au risque de conflits sociaux majeurs, d’une nouvelle querelle bruxelloise et d’un affrontement avec une opinion publique devenue très sensible aux dépenses contraintes.

Paradoxalement le scénario de renationalisation est celui qui prolonge le statu quo. Il permet à l’État de ne pas choisir, en parant au plus pressé.