Loi Travail: efficacité limitée… et utilité incontestable edit

15 juin 2017

Pour Emmanuel Macaron, la réforme du marché du travail est une priorité, avec la loi sur « le rétablissement de la confiance ». En dépit d’un flou sur le contenu de la réforme, qui sert pour l’instant le président, les éléments actuellement connus (priorité à l’accord d’entreprise, simplification du code du travail, plafonnement des indemnités prudhommales, fusion des instances de représentation) font douter des effets directs de la réforme sur la croissance et l’emploi, au moins à court terme.

Elles auront peu d’effets mécaniques rapides sur le problème économique majeur, le chômage. Elles ne portent pas sur l’essentiel. Outre la faiblesse relative de la demande, la difficulté principale pour nos entreprises est leur faible compétitivité-prix sur le marché européen, due à un écart encore substantiel de leurs marges par rapport à celles de leurs concurrentes. Les mesures proposées auront des effets infinitésimaux sur cette compétitivité. Ne sont pas abordés pour l’instant des points sensibles comme la croissance des salaires supérieure à celle de la productivité en volume ou le niveau du SMIC, identique à l’échelle national, en dépit de différences de coût de la vie selon les régions. N’est pas plus explicitée actuellement la possibilité d’autoriser des emplois en-dessous du Smic, comme cela est largement pratiqué au Royaume-Uni ou en Allemagne, où la baisse du chômage a été obtenue par la multiplication des emplois précaires et de travailleurs pauvres.

Cette réforme du marché du travail n’épuise pas le programme social du président. Devraient suivre des dispositions de première importance, formation professionnelle, extension de la couverture chômage, retraites, mais ce sont aussi des réformes à effets progressifs étalés dans le temps. Cela ne signifie nullement qu’il ne faille pas les faire.

Pour l’instant, peu sensible aux aspects techniques, l’opinion dans sa majorité considère que la réforme du marché du travail est incontournable, l’accepte ou se résigne. Elle a raison, même si les justifications sont d’un autre ordre que celles mises au premier plan.

La première justification est internationale, principalement européenne. Toutes les organisations internationales prônent des « réformes de structure » et au premier chef la réforme du marché du travail. Les « bons élèves » sont ceux qui ont réalisé cette réforme. Emmanuel Macron veut être considéré comme un bon élève. Cela lui est nécessaire pour être admis dans la classe des « grands » à côté de la chancelière allemande, dont l’accord est nécessaire pour refonder l’Europe, objectif majeur de son projet politique. Il faut un équivalent aux « réformes Schroeder » même si l’explication principale du succès allemand réside plus dans la force de son industrie des biens d’équipement, qui remonte au début du XXe siècle et dont les effets ont été démultipliés par l’explosion des besoins des pays en développement, principalement la Chine. A la vérité, les réformes réalisées dans les différents pays ne font pas l’objet d’un consensus de la part des économistes, même en Italie, les résultats étant inégaux et largement dépendants du contexte politique et social et de la conjoncture. Cela dit, le débat n’est pas autorisé : il y a les pays qui ont réformé le marché du travail et les autres.

La seconde justification est d’ordre stratégique. Le nouveau président a besoin d’asseoir son autorité. S’il réussit là où tous ses prédécesseurs ont échoué, il prend une dimension nouvelle. Il est le dirigeant qui sait réformer un pays jugé irréformable. Aussi, le test doit être fait le plus tôt possible, ce qui l’a conduit à esquisser ses réformes avant les élections législatives. Un succès aux élections législatives ne garantit pas seulement une approbation de la loi d’habilitation par le Parlement mais sera considéré comme un acquiescement populaire à la réforme.

L’ouverture précoce d’une concertation au sommet avec les organisations professionnelles et syndicales a empêché un blocage initial et flatté l’ego de leurs leaders, que l’on avait rarement vu aussi souvent dans les palais de la République, s’exprimant sur les perrons. Le moment venu, des concessions légères leur seront accordées : plancher pour les indemnités prudhommales et situations exceptionnelles laissées à l’appréciation des juges, exclusion d’un certain nombre de règles des accords d’entreprises. Simultanément, une concertation plus ouverte sera proposée sur la formation professionnelle, l’assurance chômage et les retraites. Les chances de succès sont élevées même si l’accident social reste possible.

La troisième justification est d’ordre psychologique. A côté des effets mécaniques, il ne faut pas négliger les effets indirects, tenant notamment à l’inflexion des comportements. La réforme du marché du travail non seulement va être approuvée par une majorité de chefs d’entreprises mais elle suscitera un optimisme relatif et une appréhension différente des risques. Des décisions d’investissements, d’extension ou de création vont être débloquées ou anticipées. La jeunesse et l’aventure exceptionnelle du nouveau président sont une illustration que la prise de risques peut être payante et un sursaut de dynamisme dans  la société française est probable. Difficile de chiffrer les effets d’un optimisme retrouvé mais il peut représenter un demi-point de croissance, à condition que la conjoncture internationale soit favorable, ce qui semble le cas.

Cette éclaircie pour les patrons ne doit pas être perçue comme une défaite démobilisatrice pour les salariés. Une erreur de dosage des mesures, y compris d’ordre budgétaire, mettrait fin à l’embellie. Mais une amélioration de la situation d’ensemble, incluant une légère diminution du chômage, est plausible.

Cette amélioration sera imputée à la réforme du marché du travail, comme cela a été le cas en Allemagne, alors que l’explication immédiate sera le retour de la confiance, qui a tellement manqué ces dernières années.

Le président pourra alors s’attaquer aux autres volets de sa politique sociale et aux problèmes centraux de notre économie : compétitivité prix et hors prix, innovation et recherche, investissement et éducation. Il aura montré une capacité de maîtrise du calendrier, au contraire de son prédécesseur.