Zemmour, Pétain et la guerre civile edit

10 novembre 2021

La proximité de Zemmour avec Pétain a surtout retenu l’attention à cause de ses propos sur la politique de Vichy à l’égard des juifs. Il est vrai que le polémiste a franchi les limites du supportable en déclarant que Vichy avait « protégé les juifs français et donné les juifs étrangers ». Il n’est besoin ici que de renvoyer le lecteur à la vaste et précise production des historiens sur cette question. Nous rappellerons simplement que dès novembre 1942, au moment de l’invasion de la « zone libre », Vichy a contraint tous les juifs se trouvant sur le territoire à faire apposer sur leur carte d’identité la mention « juif », écrite en rouge, ce qui permit ensuite de les identifier plus facilement. Pétain corrigera de sa propre main le projet de statut des juifs pour ajouter aux personnes exclues de la fonction publique « tous les membres du corps enseignant ». Ce n’est pas Pétain qui a sauvé les juifs français mais les « justes » français, fort nombreux.

Bernard Ménétrel, médecin et ami personnel du Maréchal, écrivait en août 1940 à l’un de ses amis : « Le mouvement antisémite actuel se fait de plus en plus précis, impressionnant, plus par son manque de discernement et son aveuglement que par sa violence même. […] Que sera ce mouvement, que seront les mesures qu’on sera obligé de prendre ? Il est impossible de le prévoir maintenant. Nos adversaires [les Allemands] ne dictent absolument pas notre conduite et c’est, j’ai l’impression, un mouvement absolument spontané de gens désespérés et mortifiés de se retrouver aussi bas qui cherchent n’importe où ou sur n’importe qui à assouvir leur rancœur. »

La Milice, organisation de type fasciste créée par Laval en janvier1943 - et très prisée par Pétain lui-même qui en appréciait particulièrement le chef Joseph Darnand, activiste d’extrême-droite et ancien cagoulard qu’il avait connu pendant la Première Guerre mondiale et qui était en même temps officier dans la Waffen SS - assassinait en 1944 deux anciens ministres de la IIIe République d’origine juive, Jean Zay et Georges Mandel, ainsi que Victor Basch, président de la Ligue des droits de l’homme, et son épouse. Sur le corps de celui-ci était placé un écriteau sur lequel on pouvait lire : « Terreur contre terreur. Le juif paie toujours. Ce juif paye de sa vie l'assassinat d'un National. À bas de Gaulle et Giraud. Vive la France. » Ces juifs français-là n’ont visiblement pas été protégés par Pétain.

Vichy et l’Anti-France

Zemmour ne se contente de soutenir Pétain à propos des juifs français. Il adopte plus largement sa posture sur la vision de la France et des Français. La Révolution nationale prônée par le Maréchal avait pour but d’opérer un partage entre les bons et les mauvais Français. Ces derniers, qu’il fallait punir, étaient fort nombreux. Il déclarait ainsi en mai 1941 dans un projet d’interview : « voulez-vous en raccourci mon sentiment ? je n’aime pas les juifs, je lutte contre les communistes, je hais les francs-maçons. Cette haine est une faible réplique à la haine qu’ils ont vouée à tout ce qui, dans ce pays, veut encore vivre dans la santé et dans la pureté. » Il estimait que la guerre intérieure devait être menée sans faiblesse. Il déclarait ainsi en 1942 à l’ambassadeur de Suisse : « Il me faut continuer à mener un dur combat contre la franc-maçonnerie, la juiverie, le népotisme et la corruption, et le mener avec aussi peu de ménagement que le combat contre le communisme qui est plus fort depuis quelque temps. »

Cette vision d’un peuple partagé entre bons et mauvais Français finira, le temps passant, par provoquer une guerre civile. À partir de 1943, la Milice mena la chasse. Pétain, lui, voyait dans cette organisation « la seule force susceptible de maintenir l’ordre » et il se montra satisfait des exécutions de maquisards.

 

Zemmour contre l’Anti-France

On retrouve chez Zemmour ce tropisme vichyssois consistant à faire le tri entre bons et mauvais Français. Les mauvais sont les musulmans, quelle que soit leur nationalité (« l'islam est une civilisation incompatible avec les principes de la France », affirme-t-il), et plus largement les immigrés, qui nous menacent d’un « grand remplacement », mais aussi les juifs pieux de nationalité française qui ont voulu enterrer en Israël leurs enfants assassinés par un terroriste islamiste (« Les anthropologues, déclare-t-il, nous ont enseigné qu’on était du pays où on est enterré. Assassins ou innocents, bourreaux ou victimes, ennemis ou amis, ils voulaient bien vivre en France, faire de la garbure en France ou autre chose, mais pour ce qui est de laisser leurs os, ils ne choisissaient surtout pas la France, étrangers avant tout et voulant le rester par-delà la mort. ») Il faut ajouter les parents qui ne donnent pas des prénoms français à leurs enfants. Il entend ainsi « rétablir les lois dures de l'assimilation » et notamment l'obligation « de donner des prénoms français » aux enfants à naître. «  Le drame français, ajoute-t-il, est qu’on ne fait plus de Français ». Comprenons de vrais Français.   

Zemmour va plus loin : cette  France partagée entre bons et mauvais Français crée selon lui une situation de guerre civile. Ainsi, lors de la Convention de la droite, le 28 septembre 2019, il proclame: « Les femmes, les jeunes, les homosexuels, les basanés, les juifs, les protestants, les athées, tous ceux qui se sentaient des minorités mal vues au sein de la majorité des mâles blancs hétérosexuels catholiques et qui avaient joyeusement déboulonné la statue au rythme saccadé des déhanchements de Mick Jagger, tous ceux-là ont été des idiots utiles d’une guerre d’extermination de l’homme blanc hétérosexuel. » Il affirme : « Je pense que la guerre civile est déjà là. Quand on va dans le Bataclan et qu'on massacre plus de cent personnes à la kalachnikov, cela s'appelle la guerre civile. Quand on égorge un prêtre dans son église, cela s'appelle la guerre civile. Quand on égorge un professeur [...] cela s'appelle la guerre civile. » Il est étrange que le polémiste, qui prétend avoir des connaissances historiques, puisse confondre des attentats avec une guerre civile. Il devrait se plonger dans des ouvrages historiques sur la guerre d’Espagne, les guerres civiles aux États-Unis ou en Russie pour comprendre la différence entre les deux. Une guerre civile oppose entre elles les deux moitiés d’un peuple et peut faire des centaines de  milliers de mort. Ceux qui ont renversé la République avec Pétain en 1940 pensaient eux aussi que le pays était entré en guerre civile. Comme Pétain, Zemmour veut combattre l’Anti-France. Mais à force de vouloir séparer la  France de l’Anti-France, il sème les graines de la guerre civile, comme Pétain l’avait fait en son temps. On peut alors lire son affirmation selon laquelle nous sommes déjà en guerre civile comme l’énoncé d’une prophétie auto-réalisatrice.

Zemmour et de Gaulle

On est indigné lorsque Zemmour tente de récupérer le général de Gaulle. À l’occasion du 81e anniversaire de l’Appel du 18 Juin, il s’est en effet rendu à Lille pour y visiter la maison natale du Général. Il a affirmé que « de Gaulle et Pétain avaient les mêmes idées sur l’essentiel. » Ici encore, il fait preuve d’une méconnaissance abyssale de notre histoire nationale. De Gaulle, condamné à mort par Vichy, déclarait à Oxford le 25 novembre 1941, situant l’enjeu de la guerre comme une question de vie ou de mort pour la civilisation occidentale menacée par les systèmes totalitaires (que Pétain a refusé de combattre jusqu’au bout !) : « Face à cette menace redoutable rien ne garantira la paix, ne sauvera l’ordre du monde si le parti de la libération ne parvient pas à construire un ordre tel que la liberté, la sécurité, la dignité de chacun y soient exaltées et garanties. […] On ne voit pas d’autre moyen d’assurer en définitive le triomphe de l’esprit sur la matière. Car en dernier ressort, c’est de cela dont il s’agit. » Il voulait rassembler tous les patriotes, quels qu’ils soient, et éviter la guerre civile. Il y parvint ! Zemmour, lui, y pousse.