Réforme de l'assurance-chômage: tout ça pour ça! edit

1 juin 2021

Après déjà bientôt deux ans, le chemin de croix de la réforme de l’assurance-chômage semble être un éternel recommencement. Si la censure initiale par le Conseil d’Etat puis la crise sanitaire lui ont fait perdre une part de sa pertinence, on peut néanmoins s’interroger sur sa logique initiale, qui répondait mal aux enjeux réels identifiés depuis longtemps : ceux de la permittence et de son coût pour l’Unedic. Mais en ne répondant pas réellement aux problèmes initiaux et en en créant de nouveaux, le ministère semble avoir ouvert une boite de Pandore juridique et sociale, où chaque rustine crée de nouveaux problèmes. Dans un contexte sanitaire si particulier, il vaut mieux renoncer au bonus-malus sur les contrats courts, ainsi qu’aux nouvelles modalités de calcul du salaire journalier de référence. Il est possible de réformer plus simplement – et plus ambitieusement – la permittence et l’intermittence.

Cette réforme devait s’attaquer au problème de la permittence, c’est-à-dire la succession de contrats courts avec des périodes de chômage indemnisées. Un jour travaillé donnant droit à un jour indemnisé, on peut travailler en moyenne à mi-temps, une semaine sur deux ou un mois sur deux par exemple, sans jamais épuiser ses droits au chômage. Avec évidemment un coût très élevé pour l’Unedic, comme pour les intermittents du spectacle. Qui profite de cet effet d’aubaine ? Un peu les employeurs, qui ont une main d’œuvre flexible et facile à mobiliser, pour un coût finalement modique. Les permittents chômeurs sont une armée de réserve gratuite. Mais il ne faut pas être naïf : les principaux bénéficiaires sont les permittents. En travaillant comme saisonniers, en intérim, ou en faisant des remplacements, ils peuvent recharger leurs droits et bénéficier du chômage indéfiniment. Au lieu d’être une assurance, le chômage devient un complément de revenus – quitte d’ailleurs à compléter en travaillant au noir.

Entendons-nous bien : pour la plupart des chômeurs, l’indemnisation n’est pas une trappe à inactivité. L’envie de retrouver un travail et le statut social associé, ou la peur d’épuiser leurs droits, leur fera in fine retrouver quelque-chose, le plus souvent en CDI ou en CDD de longue durée. Mais une fois que l’on est habitué à enchaîner les contrats courts, il est humain de ne pas forcément faire du zèle. Pour les permittents, comme pour les intermittents du spectacle, le chômage est presqu’aussi confortable que l’activité, mais l’essentiel est de maintenir indéfiniment ses droits. Le chômage n’est plus une assurance ni même un complément de revenus : on ne travaille que pour recharger ses droits. Chômeur devient presqu’une profession que l’on exerce autant, voire davantage[1], que son activité.

Un bonus-malus compliqué et peu incitatif

Pour limiter cet effet d’aubaine, la réforme a voulu le rendre moins attractif pour les employeurs et les employés. Les employeurs d’abord, grâce au fameux bonus-malus sur les contrats courts. Inspiré des États-Unis[2], il permet de moduler les cotisations en fonction des licenciements de l’entreprise, pour récompenser les entreprises qui licencient peu et pénaliser les autres. Le nouveau système français prévoit donc une modulation du taux de cotisation chômage patronale de 3 à 5,05 % (au lieu de 4,05 %) dans les secteurs particulièrement friands des contrats courts, dont la liste est définie selon un arrêté[3]. Cette classification de secteurs était déjà byzantine – comment classer les entreprises ayant plusieurs activités – mais avec la crise sanitaire, il a fallu en plus créer une liste de secteurs à exempter temporairement de ce système : on ne va pas l’appliquer aux remontées mécaniques qui ont licencié avec l’arrêt du tourisme. On a donc créé une usine à gaz, qu’il a fallu aggraver avec la crise sanitaire, pour créer une modulation de taux très peu incitative, sans réutiliser des outils simples déjà existants.

Il y avait en effet déjà un bonus-malus existant : c’est la prime de précarité de 10 %, versée au salarié[4]. Pour l’entreprise, c’est déjà une taxe sur les contrats courts, bien plus importante que la modulation de taux prévue par la réforme. Il eut été bien plus simple et rapide de remplacer en partie cette indemnité par une cotisation chômage supplémentaire, si l’on souhaitait que ce soit l’Unedic, et non l’employé, qui bénéficie de ce surcoût imposé à l’entreprise. Le taux aurait d’ailleurs pu être modulé en fonction de la durée du contrat : une prime de précarité de 10 % est-elle vraiment justifiée pour des CDD de 18 ou 24 mois ? Par exemple, passer à 15 % pour les contrats d’un mois ou moins, et 5 % pour ceux de plus d’un an, avec un taux dégressif entre un mois et un an. Moduler la prime de précarité – et la partager entre l’employé et l’Unedic – aurait évité de créer un nouveau mécanisme indigeste.

Salaire journalier de référence : au risque de déplacer le problème

La réforme du calcul du salaire journalier de référence (SJR) doit aussi encourager les permittents à travailler davantage que 50 % du temps en moyenne. Mais pour donner l’impression de ne pas toucher à la générosité globale du système, il a été décidé d’augmenter la durée d’indemnisation en parallèle de la diminution des montants journaliers ou mensuels. Initialement, une personne qui aurait travaillé 6 mois au total pendant 2 ans aurait touché le quart de son indemnité, mais pendant 2 ans et non pas 6 mois. Un tel système aurait éventuellement pu fonctionner si l’allocation chômage était combinée avec le RSA, comme une sorte de supplément. Mais ce n’est pas le cas. Après une première censure du Conseil d’Etat, il a été décidé que les périodes non travaillées comptabilisées représenteraient au maximum 75 % des périodes travaillées. Donc pour 4 semaines travaillées, maximum 3 non travaillées prises en compte, ce qui limite la baisse d’indemnité à environ 43 %. Mais même modifiée ainsi, cette réforme se retrouve à avoir de nombreux effets de bords mal pris en compte sur les congés maladie ou maternité, ainsi que l’activité partielle, sujet particulièrement sensible en sortie de crise sanitaire. Les syndicats ont également beau jeu de trouver des « cas-types » toujours plus baroques et très peu représentatifs : si telle personne enchaine des périodes de travail et d’inactivité, elle perdra tant par rapport au système existant. On assiste ainsi à une bataille d’opinion à coup de moutons à cinq pattes.

Mais le risque avec une telle réforme, en supprimant l’effet d’aubaine à travailler un jour sur deux, est aussi d’en créer un nouveau. Il pourrait devenir optimal pour certains permittents de travailler 4 semaines sur 11, ce qui offre certes une indemnité plus faible que précédemment, mais plus longue. Quand on prend en compte les coûts de transport ou de gardes d’enfant à aller travailler, voire la possibilité de travailler au noir, il est possible que certains permittents choisissent cet équilibre-là. On aura alors obtenu l’exact inverse de l’objectif recherché, en les enfermant davantage dans l’inactivité. Il eut été beaucoup plus simple – mais politiquement moins subtil – de changer la vitesse de recharge des droits au chômage. En Allemagne ou en Italie, il faut travailler deux jours pour être indemnisé un jour. En introduisant graduellement une telle réforme – voire même en passant à trois jours travaillés pour un jour indemnisé, on aurait largement supprimé le problème de la permittence, puisqu’il faudrait alors travailler 67 ou 75 % du temps pour conserver des droits intacts au chômage indemnisé. Puisqu’un jour indemnisé coûte par définition beaucoup plus cher à l’Unedic que les cotisations d’une journée travaillée, il n’est pas choquant de sortir de cette fausse équivalence « 1 jour = 1 jour ». Pour les CDI, il serait aussi raisonnable de travailler 4 ans (ou 6) pour toucher le chômage pendant 2 ans.

Pour un différé de revenus

Une autre réforme plus radicale – mais plus lisible et peut-être plus juste – consisterait à sortir les permittents, voire les intermittents, de l’assurance chômage, et de leur créer un système alternatif de lissage des revenus. On pourrait tout à fait considérer que les contrats de moins de 6 mois ne sont pas soumis aux cotisations chômage, et n’y ouvrent pas de droits. Ou au lieu d’un critère de durée, un critère sectoriel : les intérimaires, saisonniers et intermittents. Cela reviendrait quasiment au même. Pour lisser les revenus entre périodes d’activité et d’inactivité, on créerait alors un différé de revenus. Par exemple, un intérimaire travaillant un mois serait payé en deux mensualités. En incluant la prime de précarité, celle de congés payés, et les cotisations chômage que l’employeur n’aurait pas à verser, l’employé pourrait ainsi recevoir environ 60 % de salaire, deux mois durant, ce qui lisserait ses revenus. Si l’on veut traiter un permittent comme un salarié à temps partiel, c’est au moment de calculer son salaire qu’il faut le faire, et non en calculant ses droits au chômage comme dans la réforme actuelle. Le différé permet alors de forcer les permittents à « épargner » en haute saison pour la basse saison. On pourrait poser comme règle que le salaire des permittents et intermittents doit être versé sur le double de la durée du contrat de travail, avec un minimum à deux mois et un maximum à six ou douze. En cas de reprise d’emploi avant d’avoir fini de percevoir un différé précédent, le nouveau salaire et le différé précédent seraient cumulés, avec un nouveau différé optionnel de la part dépassant 100 %.

Evidemment, les permittents et le intermittents deviendraient alors éligibles à la prime d’activité, ce qui renforcera la logique de lissage du système, grâce à un cumul partiel entre les 60 % de salaire et le montant forfaitaire (565 € pour un célibataire) du RSA. Normalement, les revenus d’activité (nets) ne se cumulent avec le RSA qu’à hauteur de 61 %, mais on pourrait envisager un cumul plus généreux pour les intermittents et les permittents. Ainsi, un contrat d’un mois au SMIC (1230 € net, voire 1350 avec la prime de précarité) donnerait deux mensualités d’environ 740 € avec le différé à 60 %. En cas de cumul complet avec le RSA, cela donnerait 1300 € mensuels, et seulement 1025 € selon les règles existantes de la prime d’activité. Le cumul total du RSA et des revenus lissés serait une bonne façon de solder le régime des intermittents, et pourrait être appliqué temporairement aux permittents, le temps que la situation de l’emploi se normalise et pour assurer une transition graduelle. Evidemment, on se retrouve à transférer une part du coût de l’Unédic vers le RSA, donc les départements. Mais si ce changement change peu les revenus d’un smicard, il permet de notables économies sur les salaires plus élevés – notamment les intermittents. Surtout, il est juste que ce soit à l’ensemble de la collectivité de porter une part de ce coût – et qu’il dépende des autres revenus du foyer – et non aux seuls salariés.

 

[1] Pour les intermittents du spectacle, il faut travailler 507 heures sur un an pour être indemnisé pendant un an. Un jour travaillé donne donc droit à 2 ou 3 indemnisés, le chômage devenant la principale source de revenus.

[2] Aux États-Unis, les cotisations chômage dépendent des licenciements passés de l’entreprise, et de ce qu’ils ont coûté à la collectivité. Une entreprise qui a beaucoup licencié par le passé et/ou dont les chômeurs ont eu des difficultés à retrouver un emploi et sont restés longtemps indemnisés, verra son taux de cotisation augmenter.

[3] Les secteurs visés sont ceux présentant un taux de séparation élevé (le nombre de ruptures annuelles rapportés  à l’effectif). Dans chaque secteur, le score de l’entreprise (son taux de séparation passé) est comparé à la médiane du secteur pour moduler son taux. La bureaucratie fait partie de notre patrimoine immatériel national.

[4] Certains secteurs (emplois saisonniers, sport, spectacle) ne sont certes pas soumis à cette prime de précarité. Il est donc curieux de vouloir leur appliquer un nouveau dispositif peu incitatif alors qu’ils échappent à l’existant.