Participation: une ambition à retrouver edit

21 février 2021

La réalité de la participation est en fort décalage avec son ambition initiale, comme en témoignent le nombre limité de «travailleurs» qui en bénéficient, en partie à cause du seuil de 50 salariés, et le montant modeste des sommes versées à ce titre. En 2018, dernière année sur laquelle des données sont actuellement disponibles, un peu moins de 5 millions de salariés, soit 38,2% des salariés du secteur privé hors agriculture et particuliers employeurs, avaient accès à un dispositif de participation (voir DARES, 2020). Le montant brut distribué par ce dispositif était de 7,1 milliards€, soit environ 1430€ en moyenne par bénéficiaire.

Le parallèle (sinon la confusion) souvent fait entre participation et intéressement a pour effet pervers de réduire la participation à un complément de revenus. Ainsi est occultée la dimension de démocratie sociale qui y est originellement attachée.

Pourtant, de la littérature économique résulte que le partage du profit avec les salariés, dont la participation est l’expression concrète la plus pure, peut augmenter la productivité de la firme sans préjudice pour les salaires versés. Cet effet favorable serait plus important dans une société de défiance que dans une société de confiance, la France se situant plutôt dans la première catégorie. La participation pourrait ainsi trouver une plus grande pertinence à une époque de faibles gains de productivité où les perspectives de gains de pouvoir d’achat sont réduites ce qui peut nourrir des risques sociaux forts dans les sociétés de défiance, comme en témoigne le mouvement des Gilets Jaunes en 2018 et 2019.

Pourquoi reconstruire la participation

La participation est souvent réduite à une forme d’intéressement alors que sa nature est ailleurs et surtout son ambition bien plus grande. L’intéressement est un élément de rémunération lié aux aléas de la vie économique de l’entreprise même si les travailleurs sont fortement invités à en affecter le contenu dans des opérations d’épargne. La participation financière est par contre fondamentalement un « dividende de l’apport en industrie », parallèle du dividende de capital. Dans la formule de calcul de la participation, l’assiette en est assise sur le bénéfice net, alors que la qualification de revenu professionnel de l’intéressement fait qu’il est déductible du bénéfice brut, étant une charge d’exploitation[1]. Cela étant, les usages ont donné à la participation les apparences d’un produit d’épargne, ce dont attestent à la fois le blocage pendant 5 ans et l’affectation souhaitée dans un plan d’épargne.

Au vu de sa vocation, la participation peut être considérée comme un droit fondamental, au vu de sa vocation sur le terrain de la démocratie sociale. Dès lors, il est surprenant que le champ de son obligation soit limité aux entreprises ayant un effectif de 50 salariés et plus. Bien sûr, ce seuil a été dicté par celui de l’ancien Comité d’Entreprise (CE), qui joue un rôle (par sa consultation sur les projets de l’entreprise en particulier) dans la mise en œuvre de la « démocratie sociale ». Il serait désormais opportun de supprimer ce seuil de 50 salariés, d’autant que les ordonnances travail de septembre 2017 ont instauré une institution unique de représentants du personnel (le CSE) à partir d’u seuil de 11 salariés. Le champ de la participation pourrait aussi être élargi aux entreprises à but non lucratif. Mais cela oblige à en adapter la formule de calcul, celle-ci ayant été imaginée sur le fondement du droit des sociétés de capitaux. Une telle adaptation a déjà été faite pour les entreprises en nom personnel, ne serait-ce que pour tenir compte d’une rémunération du dirigeant à déduire afin de déterminer le bénéfice net.

Le seuil de 50 salariés est source d’inéquités et peut brider la croissance de certaines firmes voire en amener d’autres à des stratégies couteuses de démultiplication par la création de plusieurs entreprises chacune en dessous du seuil fatidique. Outre leur coût d’élaboration, ces stratégies de contournement du seuil peuvent elles-mêmes aboutir à une distribution économiquement non optimale des firmes selon leur taille qui aurait aussi un cout économique. L’évaluation de ce coût est complexe et donne lieu à débats, mais des travaux comme par exemple ceux de Garicano et al. (2016) suggèrent qu’il pourrait être important.

La littérature économique est assez instructive sur les effets de la participation et plus globalement du partage du profit (« profit sharing »). Dans leur article séminal sur les entreprise françaises, Cahuc et Dormont (1992) montrent que les dispositifs de partage du profit peuvent être favorables à la productivité sans pour autant que ces éléments de rémunération se substituent au salaire. Ces résultats sont confirmés par d’autres études sur données de firmes françaises, par exemple celle de Floquet et al. (2016) qui montre que les dispositifs de partage du profit comme la participation n’y auraient pas d’impact défavorable sur le salaire et seraient favorable à la productivité. Une méta-analyse proposée par Doucouliagos et al. (2018) à partir de 56 études antérieures sur 18 pays et proposant 233 estimations aboutit à différents enseignements intéressants. Cette analyse montre que le partage du profit n’est pas préjudiciable au salaire et qu’il dynamise la productivité, ce dernier effet étant plus marqué dans les pays où l’honnêteté apparait moins qu’ailleurs comme une valeur fondamentale et où l’individualisme est plus présent.

Généraliser la participation à toutes les entreprises, qu’elle qu’en soit l’activité, la forme juridique d’exploitation, la taille, nous apparaît une exigence majeure. On peut aller jusqu’à affirmer que cela ne se discute pas compte tenu aussi bien du caractère fondamental de ce droit que de l’impact fort sur l’efficacité économique. La participation doit devenir une obligation pour toutes les entreprises. Renforcer l’ambition de la participation pourrait permette à la fois d’élever le pouvoir d’achat des salariés et la croissance. A une époque où les gains de productivité ‘spontanés’ sont réduits et ne permettent pas d’apporter une réponse aux grands défis qui sont devant nous (financement de la transition climatique, du vieillissement de la population, du désendettement public) et aux attentes de gains de pouvoir d’achat, il y a là un élément qui peut contribuer à atténuer les risques de tensions sociales induits par des frustrations économiques.

Le rôle incontournable de la négociation collective

Il faut rendre effectif le caractère impératif de l’accord de participation, d’autant que celui-ci peut prendre la forme d’un texte signé avec le CSE et même d’un référendum. On ne peut pas se contenter, en la matière, d’un dispositif unilatéral de l’employeur. Rien n’interdit bien sûr d’avoir recours à un accord type, y compris construit par les partenaires sociaux de la branche. Cela facilite le travail dans les entreprises à effectifs modestes et cela permet de construire un modèle en fonction de spécificités économiques et sociales de la branche.

Ainsi, concernant les éléments prévus dans un accord de participation et compatibles avec les propositions qui précèdent (en particulier les modalités et plafonds de la répartition de la réserve de participation entre ses bénéficiaires) certaines dispositions légales seraient supplétives de normes conventionnelles. Pour ces dernières, celles décidées au niveau de la branche seraient supplétives de celles décidées à celui de l’entreprise. Pour les plus petites entreprises, l’application d’une formule décidée au niveau de l’entreprise elle-même (dans le respect de l’esprit du dispositif de participation, c’est-à-dire en conservant la logique de dividende en capital assis sur les bénéfices de l’entreprise), ou proposée de façon supplétive par la branche ou par la loi en l’absence d’une telle proposition au niveau de la branche, pourrait être possible et validée par accord collectif ou par une procédure référendaire. Cette logique est en totale cohérence avec la philosophie des ordonnances travail de septembre 2017.

La loi PACTE du 23 mai 2019 a apporté quelques changements aux dispositions réglementaires concernant la participation. Parmi ces changements, le seuil de 50 salariés qui était apprécié sur trois années consécutives l’est désormais sur cinq années. Un tel changement lisse l’effectivité du déclanchement du seuil de 50 salariés. La loi PACTE renouvelle par ailleurs l’obligation pour les branches professionnelles de négocier un régime de participation (et d’ailleurs aussi d’intéressement) pouvant être directement appliqué dans les entreprises de moins de 50 salariés si le chef d’entreprise en fait le choix. Cette disposition peut faciliter la généralisation de la participation. Mais ces modifications, bien qu’intéressantes, ne rapprochent toujours pas la participation de l’ambition qui était celle de ses promoteurs. Ainsi par exemple, le seuil critiquable de 50 salariés demeure.

Une approche contractuelle de la participation peut aider à quitter la logique de l’entreprise-somme de biens, dont les salariés sont tiers, pour se diriger vers celle de l’entreprise-institution dans laquelle la collectivité du personnel intervient légitimement. Ceci, d’ailleurs, en cohérence avec l’esprit du rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard (2018). Il est possible de s’appuyer ici sur un autre changement introduit par la loi Pacte pour que la participation joue un rôle central dans ce changement qui renforcerait la paix sociale. La loi Pacte prévoit que les actionnaires salariés détenant plus de 3% du capital d’une société peuvent proposer à l’assemblée générale la désignation d’administrateurs représentants les salariés au Conseil d’Administration, cette possibilité ne concernant auparavant que les sociétés côtés sur un marché réglementé. Le CSE pourrait désigner ces représentants dès lors que la RSF bloquée sur un compte d’épargne serait mobilisée en achat de parts ou d’actions dans la société et dépasserait le seuil de 3 % du capital. Afin d’inciter à un tel processus, les avantages en termes de prélèvements fiscaux et sociaux dont bénéficie dès l’origine la participation pourraient être maintenus à leur maximum actuel pour la seule part de la RSF capitalisée dans l’entreprise par l’achat d’actions ou de parts. La part résiduelle de la RSF bénéficierait alors d’avantages moins importants. Un tel changement permettrait un apport en fonds propres à l’entreprise et contribuerait à réduire la forte défiance mutuelle qui existe actuellement entre d’un côté des salariés et leurs représentants, de l’autre les représentants de la société de capitaux. Pour faire pleinement sens, un tel changement serait une raison supplémentaire de sortir le chef d’entreprise du CSE qu’il préside actuellement. Rappelons que dans tous les autres pays avancés, le chef d’entreprise ne siège pas de droit (et ne préside donc pas) dans les structures équivalentes (les works councils) qui jouent alors pleinement leur rôle de représentantes légitimes du collectif de travail.

Nos propositions feraient disparaitre l’effet de seuil de 50 salariés, source d’inéquités et de possibles effets économiques défavorables à la croissance. Elles présentent aussi l’avantage majeur de renforcer l’intérêt et le rôle du dialogue social. C’est en effet par le dialogue social que des équilibres gagnant-gagnant, conciliant au mieux protection du travailleur et efficacité économique de l’entreprise, peuvent être trouvés et concrétisés. Encore faut-il pour cela y inciter les partenaires sociaux, ce qui est notamment l’intérêt de ces propositions. Cette vision de la participation est en harmonie avec le nouveau visage du droit des sociétés de la loi PACTE qui consacre l’existence juridique de l’entreprise et donne du sens à la notion d’intérêt social.

 

[1]      La formule légale de calcul de la Réserve Spéciale de Participation (RSP) est : RSP = ½ (B – 5%C) x (S/VA), où B est le bénéfice net de l’entreprise, C ses capitaux propres, S sa masse salariale et VA sa valeur ajoutée. Des formules dérogatoires sont envisageables par accord collectif. Elles ne doivent cependant pas être moins avantageuses pour les salariés et la RSP qui en résulte est plafonnée par plusieurs ratios, parmi lesquels la moitié du bénéfice net comptable ou fiscal, ou le bénéfice net comptable ou fiscal moins 5 % des capitaux propres.