Seul le FMI peut sauver la Grèce edit

13 février 2010

Après plusieurs jours de spéculation (intellectuelle), d’échanges et de déclarations plus ou moins claires, les dirigeants européens ont produit une déclaration de solidarité magnifique avec la Grèce qui n’a qu’un inconvénient : elle manque de substance. Tout y est : solidarité entre Européens, fermeté vis-à-vis d’une Grèce qui a ignoré les sages principes de discipline budgétaire et a même truqué ses comptes, mise à l’écart subtile du FMI.

Tout y est sauf l’essentiel : les bases juridiques d’une aide contraire à l’esprit, et sans doute à la lettre, des Traités, la nature et le montant de l’aide promise et les moyens disponibles pour contraindre la Grèce à remplir ses obligations.

Tout ceci n’a rien de surprenant. En privilégiant une analyse politique par rapport à une réalité économique, les dirigeants européens pensent pouvoir modifier le cours des choses. Mais on ne s’affranchit pas impunément des contraintes économiques. Et tenter de le faire en pleine crise financière est particulièrement malvenu.

La France et l’Allemagne sont dans une situation budgétaire à peine meilleure que la Grèce. Ni l’une ni l’autre n’ont les moyens de leurs ambitions. Quand bien même les auraient elles, les contribuables français et allemands n’ont aucune intention de venir au secours de leurs homologues grecs. La solidarité verbale c’est bien. La solidarité financière c’est mieux…

Le PIB de la Grèce ne représente que 2,8% du PIB de la zone euro. Mais après la Grèce, viendra le tour du Portugal (1,8% du PIB de la zone euro), puis de l’Espagne. Et là on parlera plus de 2,8% mais de 12% du PIB de la zone euro, ou même de 17,3% si l’Italie avait la mauvaise idée de se joindre à la cohorte des pays blessés. L’engrenage qui vient d’être enclenché est fort inquiétant. D’autant que l’on peut faire confiance aux marchés financiers pour renforcer l’engrenage. Les profits qu’ils engrangent chaque jour sont trop fabuleux pour qu’ils s’en privent. Pour les marchés, la solidarité européenne est une promesse de profits garantis par les généreux soutiens annoncés. Si les soutiens européens ne se matérialisent pas, leur réaction sera encore plus violente. La crise s’aggravera alors et pourrait faire avorter la timide reprise en cours. Si l’Europe retombe dans la récession, avec un euro en chute libre, les États-Unis pourraient bien suivre. Avec cette fois un problème supplémentaire : les marges d’action sont inexistantes. Les taux d’intérêt sont proches de 0% et personne n’osera prendre le risque d’alourdir les déficits budgétaires. Le spectre de la Grande Dépression, que l’on croyait écarté, se profilerait alors à l’horizon.

Le message subliminal est qu’un pays membre de la zone euro qui ignorerait la discipline budgétaire sera sauvé par les autres membres. Un tel message est très dangereux. Certes, les dirigeants européens annoncent un suivi particulièrement attentif des mesures promises par le gouvernement grec. Mais que feront-ils si la Grèce ne respecte pas ses engagements ? Il n’existe aucun moyen légal de contraindre un pays à abandonner sa souveraineté en matière budgétaire. Le seul accord existant est le Pacte de Stabilité, or le Pacte a été ignoré par l’Allemagne et la France en 2003, puis par tous les pays en 2008-2009. Tout au plus peut-il conduire à une sanction financière à l’encontre de la Grèce, au maximum de 0,5% de son PIB. Aggraver de 0,5% un déficit qui atteint 12% n’est pas seulement dérisoire, mais contre-productif. Il suffit d’imaginer comment réagiront les marchés financiers, qu’il s’agit aujourd’hui de calmer, si par malheur ces sanctions seraient appliquées. Et si elles ne le sont pas, l’Union monétaire n’aura pas seulement perdu la face, elle aura légitimé la conduite parfaitement répréhensible de la Grèce.

Tout cela est d’autant plus déprimant qu’il existe une solution simple et efficace : que la Grèce fasse appel au FMI. Débrancher une crise spéculative est sa mission première. Il en a les moyens financiers et la compétence technique. Surtout, il dispose des instruments pour imposer les conditions qu’il impose, c’est bien pour cela qu’on le redoute tant. Mais on a entendu Jean-Claude Trichet déclarer qu’une intervention du FMI constituerait une humiliation pour l’Europe. Lui d’ordinaire si jaloux de son indépendance, dit à voix haute ce que pensent les autorités allemandes et françaises. Cette déclaration a de quoi surprendre. Techniquement, d’abord, elle est inexacte. L’Union monétaire est fondée sur l’abandon de la souveraineté nationale en matière de politique monétaire, et non budgétaire. Ce sont les Grecs qui sont responsables de la dette de leur gouvernement. Les Traités sont très clairs : ni la BCE, ni la Commission, ni les pays membres ne sont liés par la situation budgétaire d’un pays membre. Comment peut-on se sentir humilié par une situation sur laquelle on n’a pas de responsabilité juridique ? Au premier Sommet du G20, à la demande de la France entre autres, les chefs d’État et de gouvernement ont remis le FMI au cœur de la lutte contre la crise et ont augmenté ses ressources. Ils ont alors jugé parfaitement normal voire nécessaire, que chaque pays en difficulté fasse appel au FMI en cas de nécessité. Pourquoi ce qui vaudrait pour les autres pays ne vaudrait pas pour un pays membre de la zone euro ?

Le fiasco est annoncé. En promettant leur aide, les dirigeants de la zone euro ont rappelé que la Grèce n’avait rien demandé. Comment alors exiger d’elle qu’elle respecte des conditions établies dans la cadre du Pacte de stabilité ? De retour à Athènes, le Premier ministre Papandreou s’est publiquement dit déçu du caractère vague de l’aide européenne. Autrement dit, il se prépare déjà à ne pas remplir ses promesses. Il sait qu’une réduction profonde et durable du déficit entraînera une levée de boucliers qui le contraindra forcément à transiger. On verra alors peut-être les manifestants grecs brûler en effigie Angela Merkel et Nicolas Sarkozy…