La stratégie carbone de la Chine et ses enjeux edit
Le 22 septembre dernier, devant l’Assemblée générale des Nations unies, le président Xi Jinping s’est engagé à accélérer la trajectoire de décarbonation de la Chine, pour atteindre le pic des émissions avant 2030 et la neutralité carbone d’ici 2060. Ce n’est pas un mince engagement : la deuxième économie du monde est aujourd’hui responsable de plus d’un quart des émissions de CO2. La Chine de Xi vise explicitement à assumer le leadership mondial en matière d’environnement, dans un contexte où l’ordre mondial dirigé par les États-Unis repose sur des bases fragiles. Cet engagement en matière de neutralité carbone s’inscrit ainsi dans un objectif stratégique plus large.
La Chine s’est donné comme objectif de parvenir à une « civilisation écologique ». Même s’il est tentant de considérer cette formule comme de la simple propagande, ses fondements idéologiques doivent être pris au sérieux.
La notion de civilisation écologique représente pour le marxisme chinois une « nouvelle frontière ». On peut la comprendre comme une tentative d’extension de la théorie des « étapes du développement », formulée par Marx, qui stipule l’évolution des sociétés du féodalisme au capitalisme, puis au socialisme et enfin au communisme. Les intellectuels chinois liés à l’État ont cherché à affiner la formulation marxiste classique, en faisant de la civilisation écologique une phase transitoire après le socialisme, que la Chine est censée avoir atteint. La Chine considère donc la civilisation écologique comme une contribution théorique significative et originale au marxisme et, à ce titre, elle représente le pivot intellectuel officiel du parti-État.
La notion de civilisation écologique peut ainsi être lue comme le fondement d’un leadership civilisationnel renouvelé, qui permettrait à la Chine de retrouver le fil de son histoire. L’État chinois cherche ici à revivifier certains principes de son ancienne civilisation, ce qui est une façon de dépasser le « siècle d’humiliation » au cours duquel la Chine a été soumise par des puissances étrangères. En réaffirmant et en restaurant la gloire chinoise, l’État ne cherche pas simplement à rétablir une puissance, mais aussi un type de légitimité à même de fonder un modèle. L’écologie anime donc la vision d’un leadership civilisationnel. C’est dans cette perspective que l’on peut apprécier les enjeux élevés de la protection de l’environnement pour l’État chinois : l’enjeu global et le statut du pays s’alignent ici sur la réponse aux inquiétudes grandissantes, au plan domestique, quand aux effets de la pollution sur la santé des gens.
Quels que soient les motifs qui inspirent cette stratégie, il faut noter ici que les enjeux sont également élevés pour le monde entier. Si la Chine parvient à atteindre la neutralité carbone, l’humanité dans son ensemble pourra s’en féliciter. Pour autant, l’approche autoritaire de la Chine en matière de gestion de l’environnement comporte également des risques.
Dans sa quête de neutralité carbone, le régime chinois semble décidé à centraliser davantage son mécanismes de quotas et de marché du CO2. Le principe, mis en place depuis longtemps en Europe, est simple : lorsque des activités dépassent le quota alloué, on doit acheter des droits d’émission sur le marché du CO2. Le problème est que si cette approche s’étend à l’ensemble de l’économie, elle confère à l’État des pouvoirs étendus pour déterminer quels acteurs sont dignes d’un crédit plus important, intensifiant ainsi le contrôle de l’État sur la vie publique. À Beijing, par exemple, toute organisation ou personne souhaitant organiser un événement sportif doit faire un « inventaire carbone complet ». On peut parfaitement imaginer un scénario où les événements qui sont mieux alignés sur les ambitions de l’État obtiennent davantage de crédits. Si l’engagement de la neutralité carbone devait être concrétisé de cette manière, ce serait très inquiétant.
Par ailleurs, la quête de la neutralité carbone est sans doute un objectif louable mais, si l’on considère la question environnementale dans son ensemble, se focaliser sur le C02 peut avoir des effets délétères. Dans le cas chinois, cela pourrait servir de justification supplémentaire à la vague de construction de barrages qui ravage déjà des communautés entières et menace les ressources en eau dans les pays riverains en aval, en Asie du Sud-Est, avec un impact à la fois sur leur environnement et sur leur économie.
Il faut donc considérer avec attention le risque de voir augmenter les dommages environnementaux au-delà des frontières de la Chine. La neutralité carbone d’un pays ne devrait pas se faire au détriment de la responsabilité carbone d’un autre. Or, la Chine a déjà exporté certaines de ses installations les plus intensives en carbone, comme les centrales électriques au charbon, vers ses partenaires de l’initiative des Routes de la soie. Les entreprises d’État chinoises se sont lancées dans des projets d’infrastructure tels que des lignes ferroviaires à grande vitesse, des autoroutes, des barrages hydroélectriques et des ports en eau profonde, qui ont tous une empreinte carbone importante et des conséquences écologiques à long terme en termes de perte d’habitat et de biodiversité.
L’atténuation du changement climatique ne devrait pas être envisagée comme une compétition. C’est un « bien » mondial que chaque nation doit s’efforcer d’atteindre, en fonction de ses responsabilités et de son niveau de développement, et dans un esprit de coopération. Il y a ici un enjeu dans les relations internationales. Les États-Unis, l’un des plus grands bénéficiaires de la révolution industrielle fondée sur le carbone et l’une des nations les plus riches du monde, ont à l’évidence une obligation de réparer les dommages à long terme causés aux infrastructures de la planète, en passant eux aussi rapidement que possible à une économie neutre en carbone. Il existe un potentiel énorme pour un partenariat renouvelé entre les États-Unis et la Chine dans ce domaine. Une rencontre, comme celle qui a eu lieu lors du sommet Barack Obama-Xi Jinping en 2014, devrait être l’une des priorité du président Biden. C’est aussi parce que les Etats-Unis ont désinvesti la question que la Chine a pu assumer un leadership mondial sur le changement climatique.
Une « pacification environnementale » sur les réductions d’émissions pourrait relancer la coopération et devrait être accueillie favorablement par un régime chinois qui a plus d’intérêt à la coopération qu’à la confrontation. Pour les partenaires de la Chine, il conviendra simplement de prêter attention aux risques liés à l’élaboration de politiques technocratiques et descendantes, à une époque où l’autoritarisme repeint en vert peut apporter son lot de problèmes.
Une première version de ce texte, en anglais, est parue dans le South China Morning Post.
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