Non au Parlement des citoyens. Réponse à Thierry Pech edit

6 décembre 2021

Thierry Pech a réagi sur Telos et Terra Nova à l’article que Dominique Schnapper a consacré sur Telos à son ouvrage, Le Parlement des citoyens. Il a titré sa réponse : « Oui au Parlement des citoyens ». Ceci est une réponse à sa réponse.

Dominique Schnapper, ayant rendu hommage au propos nuancé de l’auteur à propos des conventions citoyennes, regrettait cependant le titre de son ouvrage et rejetait sa proposition de donner à ce type de convention la mission de « pré-légiférer », estimant qu’il s’agissait là d’un problème fondamental, celui de sa légitimité et de sa relation avec les institutions de la République représentative. Elle estimait que l’engagement du président de la République de transmettre « sans filtre » les conclusions des travaux de la Convention sur le climat aux instances politiques décisionnaires présentait une grave ambiguïté dans la mesure où il pouvait être compris par ses membres comme l’engagement de les faire appliquer. Or, notait-elle, « au nom de quoi cette convention aurait-elle pu disposer de ce pouvoir ? » Rappelant le  caractère non-représentatif du groupe de citoyens constitué, elle estimait qu’il aurait été « plus honnête et plus conforme aux principes républicains d’affirmer qu’il s’agissait d’une commission consultative ». Elle rejoignait cependant Thierry Pech lorsqu’il écrivait : « Le jugement des citoyens délibérants peut certes alimenter la discussion collective, mais il n’est alors qu’un jugement parmi d’autres, et ces conventionnels doivent être considérés eux-mêmes dans ce cas comme une (petite) partie du public, ni plus ni moins importante que les autres ». Mais, relevait-elle, surgit alors une contradiction entre cette vision et le titre de l’ouvrage.

Dans sa réponse à Dominique Schnapper, Thierry Pech entend préciser son point de vue en proposant des améliorations au type de convention qu’il entend développer. Ce faisant il s’attaque avec courage à la redoutable difficulté que représente pour ceux qui, tout en étant attachés à la démocratie représentative et observant en même temps le fossé qui sépare aujourd’hui les citoyens de ce régime politique, s’attachent à juste titre à trouver le moyen d’articuler démocratie représentative et démocratie participative. Il faut lui reconnaître le mérite de préciser son point de vue en cherchant à réduire les ambiguïtés de l’expérience de la Convention climat et celles de son propre ouvrage, resserrant son propos autour de l’idée du Parlement des citoyens qu’il entend maintenir et préciser. Ce faisant, il tranche le nœud gordien en proposant d’attribuer à ce type de convention une « fonction pré-législative » en précisant sa place dans nos institutions, leur légitimité et leur fonction démocratique. Il adopte ainsi une position contraire à celle de Dominique Schnapper en refusant de réduire ces conventions à une fonction purement consultative. « Constitutionnellement parlant, c’est bien la seule fonction à laquelle elles puissent actuellement prétendre, concède-t-il. Mais, si on en reste là, on ne rend compte que d’une faible partie de l’expérience politique et on court le risque de la démonétiser aux yeux même des participants. » Car « il est bien évident que lorsqu’on réunit, à la demande de l’exécutif, un panel descriptivement représentatif de la société, c’est-à-dire un mini-public comme disent les spécialistes, on engage symboliquement plus qu’une consultation d’experts : les femmes et les hommes que l’on mobilise le sont en qualité de citoyens et non au titre d’une expertise particulière. Ce qui est attendu d’eux n’a rien à voir avec un conseil technique ou un éclairage savant : il s’agit bien d’une contribution politique. »

La question de la légitimité politique

Thierry Pech est obligé, pour affirmer la légitimité politique du groupe des 150 participants constitués en convention, de défendre son caractère représentatif : « Je ne pense pas que l’on puisse écrire, comme [Dominique Schnapper] le fait, que le groupe des conventionnels était “non-représentatif” de la population. Il faut en effet distinguer plusieurs types de représentativité : les 150 membres de la CCC étaient représentatifs au sens descriptif du terme, c’est-à-dire que le groupe reproduisait fidèlement les grands équilibres de genre, d’âge, de CSP, de niveaux de qualification et d’origine territoriale de la population générale. Mais cette représentativité était limitée : elles ne rendaient compte ni des valeurs culturelles, ni des préférences politiques des Français, et le panel était bien sûr trop étroit pour présenter une quelconque valeur statistique. » Le problème est que la question de la représentativité se pose dans d’autres termes. Olivier Galland, dans un article de Telos, avait déjà mis en doute le caractère représentatif de l’échantillon qui ne tient pas seulement à l'importante marge d'erreur d'un si petit effectif, mais surtout à un biais de sélection lié au fait que certains sont plus motivés que d'autres pour participer à ce type de convention (ou ont plus de temps pour le faire). Ce biais de motivation peut fortement orienter les travaux de la convention, dans un sens très différent de ce qu'aurait été celui de la population générale ; et on ne voit pas comment on pourrait le contrôler. Je le rejoins sur ce point.

Thierry Pech semble lui-même – mais il faudrait confirmer mon interprétation de sa pensée – rechercher une autre manière de légitimer la fonction « pré-législative » de son groupe de citoyens. Il écrit ainsi : « L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose clairement que tous les citoyens ont le droit de contribuer à la formation de la loi soit “personnellement” soit “par leurs représentants”. Ce “personnellement” peine à trouver son sens dans nos institutions et nos pratiques démocratiques en dehors de référendums auxquels nous recourons jusqu’ici avec parcimonie. À tout le moins cet article signifie-t-il que les citoyens n’abandonnent jamais la totalité de leurs compétences par la désignation de leurs représentants. C’est à cette promesse d’une citoyenneté continue qu’il s’agit de donner contenu et force. »

Précisons d’abord que ce ne sont pas de compétences qu’il s’agit mais de souveraineté. Ensuite, il apparaît ici une confusion sur le sens de « personnellement ». L’article 6 de cette déclaration dispose certes que « la Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. » Mais l’article 3 de notre propre constitution stipule, lui, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». « Personnellement » ne signifie donc pas qu’un groupe réduit de citoyens peut revendiquer une quelconque légitimité politique en dehors des procédures électorales prévues par la Constitution. Les citoyens n’existent qu’en corps pour désigner leurs représentants ou voter à un référendum.

Thierry Pech dévoile alors une raison d’une autre nature pour justifier l’attribution à la Convention d’une fonction pré-législative : « si l’on veut mobiliser les participants, il faut donner de l’importance à leur travail, leur donner quelques garanties qu’il n’en sera pas rien fait. C’est pourquoi le contrat liant les participants et le commanditaire politique est crucial. Si l’engagement d’une transmission “sans filtres” aux décideurs publics (exécutif en matière réglementaire ou législateur en matière législative) présente d’évidents inconvénients, il faut être en mesure de lui substituer autre chose qu’un mandat consultatif sans suite. » Reconnaître la légitimité politique de la Convention ne suffit donc pas. Pour que ses membres s’investissent dans ses travaux, il faut introduire cette procédure dans le processus législatif lui-même, ce qui condamne l’idée de fonction consultative.

Un tel saut dans l’inconnu m’apparaît comme une dangereuse fuite en avant. Certes, Thierry Pech nous assure que les membres de la Convention ne se sont jamais pris pour des décideurs en dernier ressort. « Je fais partie de ceux, écrit-il, qui refusent de considérer ces exercices comme des instruments de subversion de la démocratie représentative et qui pensent au contraire qu’il faut les faire prospérer dans le sein de la République et non à ses marges. (…) « Je ne suggère pas par-là que les conventions citoyennes devraient se voir reconnaître un quelconque pouvoir de décision normative pour l’ensemble de nos concitoyens : ce serait, je n’en disconviens pas, un abus et nous nous exposerions à de légitimes contestations de la part de celles et ceux qui, n’ayant pas pris part aux délibérations, en récuseraient les conclusions. Néanmoins il me semble qu’il faut reconnaître la contribution de ces mini-publics à la formation de la loi et à la démocratie représentative. »

De mon point de vue, il s’agit pourtant bien là d’une subversion du régime représentatif. Car la « contribution » en question a une valeur impérative : « Je propose que les conventions citoyennes soient dotées d’une fonction pré-législative, elle-même inscrite dans un processus d’action publique, l’exécutif prenant l’engagement solennel d’agir résolument sur une question d’intérêt général et demandant à être éclairé dans cette entreprise par les délibérations d’un panel représentatif de citoyens tirés au sort. Cette fonction laisserait le législateur et l’exécutif dans la pleine disposition de leurs prérogatives. Mais le dispositif ferait obligation au gouvernement, dans le cas où il repousserait certaines propositions de la convention citoyenne, de lui substituer des réponses de portée équivalente, de manière à ce que le processus ne puisse pas se solder par une action insuffisante et une forme de reniement de l’engagement initial. »

Il va plus loin encore, ajoutant : « Soucieux de les accorder à nos institutions et de renforcer ces dernières, je propose en conséquence que les prochaines conventions citoyennes se tiennent dans le sein même du Parlement et que soit expérimentée à cette occasion la formation de panels hybrides, c’est-à-dire composés aux deux tiers de citoyens et un tiers d’élus. »

On imagine les conflits de légitimité que produiront ces bouleversements. Les législateurs travailleront sous la pression « continue » des « citoyens ». Cela rappelle la période jacobine quand les sans-culottes pénétraient dans l’Assemblée, l’incitant fortement à faire de « bonnes lois ».

On comprend alors pourquoi Thierry Pech a choisi de conserver son titre de « Parlement des citoyens », titre qu’il assume désormais pleinement. Pour ceux qui, comme moi, ne connaissent qu’un Parlement des citoyens, celui constitué de deux chambres élues au suffrage universel, l’Assemblée nationale et le Sénat, seuls habilités à faire les lois hormis la convocation de référendums, cette radicale nouveauté a de quoi inquiéter.

Cela dit, ma réponse n’est évidemment pas un appel à clore le débat sur la crise, réelle, de la représentation et sur les moyens d’y répondre. De ce point de vue, la contribution de Thierry Pech est précieuse dans la mesure où il nous presse de continuer à réfléchir ensemble à cette question centrale et d’avancer des propositions.

Le débat continue sur Terra Nova, avec la réponse de Thierry Pech  : « Les conventions citoyennes, instruments d’une démocratie d’interaction ».