LFI piégée par sa culture politique? edit

30 septembre 2022

LFI a connu un élan mais touche à ses limites. Pourquoi ? Au delà de propositions qui pourraient convaincre un public élargi, notamment pour ce qui touche à la justice fiscale, la planification écologique, où la réduction des inégalités, son vrai moteur est la radicalisation de l’ennemi, le vocabulaire guerrier systématique, l’éloge du clivage à tout propos, le mépris de la tolérance, et l’affirmation de certitudes inébranlables.

LFI est un mouvement émotionnel, intransigeant, égocentré, fondé sur le rejet, le manichéisme, le ressentiment. Sa vision du monde reste fondée sur l’opposition insurmontable entre « eux », les 1% de la caste des gros incapables qui se gavent, et «nous», les vrais gens du peuple vertueux et souffrant opposé à l’étranger, le capitaliste, la finance, l’Europe… et surtout l’expert, déconnecté des réalités, chargé de tous les maux.

« Eux et nous »

Le socle idéologique de ce mouvement repose sur quelques certitudes et postulats. En premier lieu, la souveraineté populaire est confisquée par les élites, d’où la dénonciation et le rejet d’un régime vécu comme contre-populaire, irresponsable et intrinsèquement illégitime. La dénonciation des élites se concentre sur la personne d’Emmanuel Macron dont la légitimité fait l’objet d’une contestation permanente. Comme au miroir de cette focalisation, LFI  s’est construit sur la personnalisation forte du leader éloquent, qui travaille pour le peuple et se dit capable de résoudre les contradictions. À cet égard l’histoire de LFI est l’histoire de Mélenchon.

Vient ensuite l’identification forte à la communauté nationale, qui se décline dans différentes figures et registres : tentation du protectionnisme, souverainisme anti-européen (et surtout anti-allemand) sans parler du mythe usé et ressuscité du non-alignement.

L’absolu de la rupture se lit aussi dans une sémantique qui décrit le malheur collectif de la France oubliée et joue du déclassement pour devenir l’exutoire de tous les mécontentements individuels.

Cette insistance sur le « malheur français », qui se rencontre aussi à l’extrême droite, doit être considérée de près car sa traduction politique n’a rien d’évident, comme l’a montré la rencontre manquée avec les Gilets jaunes, malgré les appels du pied de Jean-Luc Mélenchon.

Sur fonds de réel malaise social, de regain de l’inflation, de demande jamais satisfaite d’égalité et de position défensive de catégories sociales s’estimant menacées par le mouvement général de la société, on observe la complexification et la labilité croissantes des appartenances politiques entre les partis au croisement des intérêts, des convictions, des parcours familiaux, des colères et des réseaux.

Dans ce climat anxiogène qui conforte partout tous les partis protestataires, LFI veut répondre à trois grands types de « violences » : les inégalités structurelles représentées sous un angle avivant leur caractère insupportable. Toutes trois sont liées à l’humiliation et la désaffiliation d’une large fraction des milieux populaires, dont le périmètre sociologique reste cependant assez flou.

La première est la domination politique et de genre, retournées en rejet des élites et des sachants sur l’air « ils n’ont rien fait, » et de la classe politique corrompue et incompétente sur l’air « ils ont tout fait mal »…

La seconde est l’exploitation économique retournée en utopie égalitariste, matinée d’un parfum altermondialiste, écologique, frugal et décroissant.

La troisième est l’aliénation culturelle retournée en valorisation du populaire, sans écarter la démagogie : créolité, antivaccin, anti-police (« la police tue »), soutien indistinct à toutes les « luttes », réintégration des soignants non vaccinés, appel aux jeunes racisés qui ne font pas de politique, interprétation assouplie de la laïcité, « antisionisme » militant…

Adversaires et partenaires

Une telle culture militante se dénature-t-elle en se rapprochant des institutions ? Un rapide examen des postures et comportements adoptés par les parlementaires donne quelques réponses à cette question. Mais d’ores et déjà les campagnes électorales du printemps ont donné le ton, en faisant apparaître avec netteté, par delà la qualité de telle où telle des 650 propositions du programme, la méthode LFI.

Celle-ci consiste d’abord à instrumentaliser la question sociale, aussi grave soit elle, pour évacuer tout autre problème, à flatter le communautarisme bien plus rentable que la lutte pour la laïcité et contre le séparatisme, à désigner un adversaire aux allures d’ennemi.

Elle consiste ensuite, depuis que l’agression russe en Ukraine a fait apparaître quelques faiblesses dans les positions historiques de M. Mélenchon, à évacuer l’ensemble des enjeux internationaux pour ne pas mettre en péril la marche inexorable de la gauche unie vers son inéluctable victoire.

Elle consiste enfin à récupérer à tout prix l’électorat populaire des hésitants et des abstentionnistes sans renoncer aux alliances de circonstance avec le RN (ambiguïtés sur les vaccins, tentatives de jonction avec les Gilets jaunes). On observera, et un certain nombre de militants sont peu à l’aise avec ces pas de côté, que dans ce but tout est possible et autorisé en oubliant les étiquettes, l’esprit des lumières, du progrès, et de la raison.

Attisant la crainte largement partagée de régression et de déclassement social, LFI veut répondre à la frustration collective en apportant de l’intérieur le trouble dans le jeu politique installé. Elle tente d’y trouver sa place en hiérarchisant ses adversaires et ses alliés, mais face au besoin de délibération, LFI impose la dévalorisation de la réforme par rapport à la rupture, et la volonté du verbe comme moteur de l’histoire.

Au cours de la campagne, la focalisation sur Emmanuel Macron a servi de ressort avec un seul projet fédérateur : « tout sauf Macron », sans être très regardant sur qui et comment on attire le chaland : outrances, brutalité, vulgarité, simplisme binaire, candidats plus où moins dignes de la fonction, communautarisme chic, féminisme débridé... mais aussi une forte part d’espérance qui semble avoir effacé toute autre  préoccupation parmi  les électeurs de  gauche, galvanisés  par « l’union » qui a marqué le premier tour des législatives mais avait déjà fléchi aux second et pourrait encore diminuer.

À la recherche d’une clé d’intelligibilité de leur relatif échec, comparé aux fanfaronnades annoncées, doublées du succès inattendu du RN, les élus  convoquent une interprétation paranoïaque de la société et des rapports de force politiques, en niant toute légitimité aux gouvernants et à leurs adversaires.

Comme on l’a vu pendant et après les présidentielles, puis les législatives, l’agressivité du ton et le manichéisme du discours n’ont pas empêché un véritable opportunisme tactique, dès lors qu’il s’agissait de trouver hâtivement des alliés affaiblis et complaisants que l’on méprisait pendant tout le précédent quinquennat et qui étaient considérés comme des adversaires sous celui de François Hollande.

En ce début de législature le groupe parlementaire LFI qui domine la NUPES avec 75 députés, se comporte comme s’il avait gagné les élections du haut de ses 26% et 131 députés divisés en quatre entités incertaines encore unies par l’instinct de survie.

Les premiers exercices d’amendements montrent que leur seul fil conducteur est l’opposition au gouvernement ce qui provoque des alliances inattendues qu’il ne sera pas facile d’expliquer aux électeurs de bonne foi.

Loin de rétablir le prestige de l’institution, la présidente du groupe parlementaire, Mathilde Panot, utilise la conflictualité comme seule stratégie de communication partout (assemblée, médias) tout le temps (Vel d’hiv), à tout propos. Son engagement essentiel est qu’elle ne soit surtout pas perçue comme modérée et qu’elle corresponde en toutes circonstances à la satisfaction d’avoir raison toute seule (avec les hourras des réseaux sociaux).

Cultivant l’esprit tranchant qui oppose le bien et le mal, sanctifie le refus du compromis présenté comme compromission, LFI comme le RN instrumentalisent une haine sociale bien réelle et une colère jamais apaisée et constamment revivifiée : en dépit du « quoi qu’il en coûte », pouvoir d’achat, inégalités, dominations…

Campant une posture avantageuse du « toujours plus » qui conduit vers l’utopie budgétaire sans renoncer à la vulgarité satisfaite qui règne sur les réseaux sociaux, ce positionnement intransigeant aura peut-être des limites en installant par contraste le RN dans une attitude de notable modéré, seul véritable arbitre des scrutins parlementaires.

Et après?

À force de fragiliser le système représentatif et de flatter toutes les polarisations diffusées sur les réseaux sociaux pour faire polémique, LFI pourrait favoriser des choix autoritaires après un quinquennat chaotique marqué par la verticalité de la gouvernance et le rejet inédit d’un président disruptif et arrogant, mais pourtant bien réélu.

Le procès constant contre les institutions, que l’on attaque frontalement tous les jours par un travail de sape ininterrompu, aura un impact dont nul ne peut mesurer les conséquences. On le sait : une société diversifiée, complexe, et fragile ne fonctionne pas qu’au social : il y a aussi l’économie, la culture, le symbolique, l’histoire, les sentiments et la traduction politique d’un individualisme de masse travaillé par le consumérisme, le narcissisme, et la juxtaposition de tribus hostiles et fièrement autoproclamées.

Quand elles ont exercé le pouvoir, il existe pourtant un jugement mitigé sur le bilan des radicalités politiques entre échecs et réussites, entre objectifs annoncés et résultats obtenus. Du point de vue historique à s’en remettre aux pays qui ont tenté ces expériences radicales tout au long du 20e siècle on peine à lire les effets réellement bénéfiques constatés.

La France n’est pas un laboratoire isolé où l’on peut tenter des expériences aventureuses en matière de démocratie, d’économie, de positionnement international, voire de planification énergétique. Dans cet environnement la meilleure façon d’échouer sera de ne jamais gouverner, ni d’accéder au pouvoir, même si le lien entre catégories populaires et votes populistes de droite comme de gauche se confirme en France comme ailleurs.

Certes la NUPES est toute jeune, et les divergences entre ses composantes sont connues, mais sont-elles surmontables, ou trop profondes pour construire une alliance de gouvernement crédible ?

LFI préférant son seul accomplissement comme marque de succès, sans se poser vraiment la question complexe de l’exercice du pouvoir, on peut se demander si cette posture pourra faire longtemps illusion face aux multiples urgences portées par l’opinion et l’état de l’Europe et du monde.