Les emplois Bayrou edit

7 mars 2007

François Bayrou se propose d'exonérer de charges les deux premières embauches réalisées par toute entreprise. L'intention est louable. Mais le résultat est loin d'être garanti.

On imagine en effet sans peine que si certains emplois coûtent moins cher, ce qu'ils produisent coûtera moins cher et se vendra mieux. Il est plus difficile d'estimer le nombre d'emplois créés par une telle mesure - mais les candidats qui peinent souvent déjà à calculer combien coûtent leurs projets semblent peu intéressés par ce type de considérations.

C'est dommage, car il est facile de montrer qu'il est certain qu'elle détruira des emplois, compte tenu de la façon dont cette mesure sera financée. En effet l'UDF précise que l'une des sources de financement de son programme est la réduction des exonérations de cotisations sur les bas salaires. Ces aides, créées par Balladur en 1993, amplifiés sous Juppé, Jospin puis Raffarin, réduisent fortement le coût du travail pour les salaires proches du SMIC : le taux de cotisations patronales après exonération passe de 45 % pour un salarié rémunéré 1,6 SMIC à 35 % pour une salarié payé 1,3 SMIC et 19 % pour un salarié au SMIC. Ces allégements répondaient à un problème précis : la France avait un coût du travail moyen comparable aux autres pays, mais un coût du travail peu qualifié sensiblement plus élevé.

Il se trouve que ces exonérations ciblées sur les bas salaires ont, parmi les différentes exonérations de cotisations, les dispositifs qui ont le rapport coût/emploi créé le plus favorable : elle ne concernent que les salaires les plus bas, pour lesquels le coût d'exonération par salarié est le plus faible. De plus, les bas salaires sont également ceux pour lesquels la question de remplacer un emploi en France par un emploi ailleurs, ou par une machine se pose le plus (contrairement à des emplois de cadres). Pour ces deux raisons, pour un coût donné, les exonérations ciblées sur les bas salaires auront toujours une efficacité plus forte que les exonérations générales, telle que celle proposée par l'UDF. Réduire d'un million les exonérations sur les bas salaires pour financer un million d'exonération "premiers salariés" aura donc nécessairement un bilan négatif sur l'emploi !

Ajoutons à cela que la nouvelle exonération s'ajoutera à une panoplie déjà illisible d'aides à l'emploi sous forme d'exonération. Les exonérations sur les bas salaires ont survécu aux différentes alternances, au point que les chefs d'entreprises les considèrent de plus en plus comme des éléments certains, sur lesquels ils peuvent baser leurs décisions de recrutement. Les modifier ou les remettre en cause nuirait donc fortement à leur crédibilité : ayant des doutes sérieux sur le fait que l'exonération proposée en 2007 existe toujours en 2008, ou n'étant tout simplement pas informé de l'existence de cette exonération faute de comprendre le maquis des petites exonérations à l'emploi, les entreprises feront leurs choix d'embauche sans tenir compte de ces aides. Notons enfin que la notion de "deux premières embauches" est difficile à appliquer, dans la mesure où elle pousse les entreprises à se restructurer en fédérations de TPE pour bénéficier de ces aides pour tous leurs salariés.

Cette proposition n'est d'ailleurs que le dernier avatar d'une série de propositions pour l'emploi visiblement construites sans analyse sérieuse des causes profondes du chômage, et des leviers à mobiliser pour résoudre ces problèmes. Certains pourraient objecter que tous les spécialistes ne sont pas d'accord entre eux, par exemple sur le rôle de la nature du contrat de travail français sur le niveau d'emploi - certains affirmant que ce rôle est important et négatif, d'autres (comme par exemple l'OCDE) estimant que l'effet sur le nombre total d'emploi est incertain, mais que le caractère contraignant du contrat de travail français conduit à exclure du marché du travail les salariés les plus "risqués" pour l'entreprise.

Il est vrai que la connaissance de marché du travail a progressé, et doit progresser encore. Mais on est cependant en droit de s'étonner que les politiques choisissent les mesures dont il est évident pour tous les économistes, avant même qu'elles soient mises en place, qu'elles ne pourront pas avoir l'effet promis. C'était le cas du CNE, décrié à la fois par ceux qui estimaient qu'il ne répondait pas à une priorité de la réforme du marché du travail, et par ceux qui estimaient une réforme nécessaire, mais sous une forme plus proche de ce que préconise la théorie économique. C'est aussi le cas de l'exonération " premiers salariés " financée par une réduction des exonération sur les bas salaires, dont il est clair qu'elle détruira des emplois au lieu d'en créer.