Corée du Nord: une médiation européenne? edit

13 septembre 2017

Le 8 septembre, le président chinois Xi Jinping s’est entretenu par téléphone avec Emmanuel Macron de la situation en Corée du Nord, demandant à la France de « jouer un rôle constructif pour apaiser la situation et relancer le dialogue ». Il s’agit là d’une initiative inhabituelle de la part de la Chine, qui n’a guère l’habitude d’impliquer l’Europe dans les affaires de sécurité en Asie. Elle témoigne de la gravité de la crise nord-coréenne et de l’état de division de la communauté internationale, malgré l’illusion d’optique de la relative convergence autour d’une approche centrée sur les sanctions.

Que cherche la Chine ? Cet appel à la France est une inflexion de sa diplomatie envers le nucléaire nord-coréen. La Chine cherche désormais à créer un consensus dans la communauté internationale en soutien de son initiative de « double suspension » (双暂停) - un gel des activités nucléaires et balistiques de la Corée du Nord contre un gel des exercices militaires conjoints « de grande échelle » entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. L’initiative a été formulée par le ministre des Affaires étrangères Wang Yi en mars 2017. Le 4 juillet 2017 la Chine et la Russie concluent un communiqué conjoint à Moscou, qui scelle le soutien de Moscou à l’approche chinoise. Le texte valide la « double suspension ». Il suggère à la Corée du Nord d’annoncer de manière unilatérale le gel temporaire de ses essais de missiles balistiques et de bombes nucléaires, ce à quoi les Etats-Unis et la Corée du Sud répondraient par une interruption temporaire de leurs exercices conjoints. Dans un monde idéal, cet échange de bons procédés ouvrirait la voie à une reprise de la diplomatie autour du nucléaire nord-coréen.

L’initiative chinoise mérite la plus grande attention, ne serait-ce que parce que c’est la seule option crédible sur la table pour une voie diplomatique. Deux observations critiques paraissent particulièrement importantes.

Tout d’abord, l’idée de « double suspension » provient de la Corée du Nord. En janvier 2015, Kim Jong Un propose un gel des essais nucléaires contre une interruption des exercices conjoints. La Corée du Nord abandonne ensuite cette approche pour revenir à une posture d’intransigeance sur son statut de puissance nucléaire souveraine. A l’époque, ce n’était pas la première fois que l’essai circulait à l’époque de Kim Jong Un. En février 2012, les Etats-Unis et la République Démocratique Populaire de Corée du nouveau dirigeant, qui venait de succéder à son père, signent « l’accord du grand bond en avant » : moratorium sur les essais balistiques, les essais nucléaires et les activités de prolifération contre aide alimentaire. Il marquait une concession importante de l’administration Obama, qui rechignait à accepter le principe d’un gel d’activités illégales sur le plan du droit international pour ne pas donner l’illusion qu’elle en acceptait la légitimité. Une fois l’accord signé, Pyongyang le viole immédiatement avec un test de technologie balistique conduit en avril 2012. Cette démonstration de mauvaise foi rompt la confiance déjà très mince qui existait aux Etats-Unis envers la pertinence d’accords fondés sur des gels temporaires.

Ensuite, et c’est l’astuce de la « double suspension », elle crée un parallèle entre deux types d’activités profondément asymétriques : des essais en violation du droit international, et des exercices conjoints certes agressifs, mais en conformité avec le droit. En outre, la Chine et la Russie placent désormais presque sur le même plan la prolifération nord-coréenne et la construction par les Etats-Unis d’un système de défense anti-missile en Asie Orientale, pour réduire leur vulnérabilité et celle de leurs alliés à une frappe nord-coréenne. Le communiqué de juillet répète dans sa conclusion l’opposition des deux parties au déploiement du THAAD en Corée du Sud, déploiement qu’ils jugent « nuire gravement » (严重损害) à leurs intérêts de sécurité.

Approches alternatives

Il reste que la « double suspension » est l’alternative diplomatique à deux autres approches.

La première est déjà en cours, mais pourrait s’intensifier. Elle consiste à exercer une pression maximale sur la Corée du Nord via un resserrement du régime de sanctions. La résolution 2371 adoptée au début du mois d’août par le Conseil de Sécurité de l’ONU est passée à une interdiction pure et simple du commerce de charbon, de minerai de fer, de cuivre et de fruits de mer avec la Corée du Nord. Une nouvelle résolution renforcera bientôt la pression – de sanctions ciblées sur les entités proliférantes, prenant en compte des exemptions humanitaires, on se rapproche petit à petit d’un embargo total. La Chine et la Russie s’y opposent, cherchant à éviter une asphyxie totale de la Corée du Nord qui pourrait la pousser à une guerre préemptive dans un dernier sursaut d’orgueil. Mais si le régime de sanctions est aujourd’hui très strict, nul n’estime aujourd’hui qu’il peut créer les conditions d’une négociation sur le désarmement nucléaire de la Corée du Nord.

La deuxième est l’option militaire, qui comporte deux volets. D’une part, une interdiction des prochains essais balistiques de la Corée du Nord. L’interdiction en vol changerait le rapport de force sur la dissuasion, démontrant à la Corée du Nord et à la communauté internationale la supériorité des systèmes défensifs sur les missiles balistiques. L’option est moins risquée que des frappes sur le sol nord-coréen – elle ne viole pas son territoire. En revanche, elle comporte un risque d’échec technique qui démontrerait le manque de fiabilité d’un système censé représenter l’avenir de la défense du Japon et de la Corée du Sud et des Etats-Unis. D’autre part, le déploiement de missiles nucléaires tactiques en Asie du Nord-Est, pour recréer les conditions de la crise des Euromissiles de la fin des années 1970 au début des années 1980 : un désarmement conjoint des deux camps. Cette approche gagne du terrain aux Etats-Unis.

Quelles cartes à jouer pour la France et l’Europe?

Qu’en conclure pour la France et pour l’Europe ? La France joue un rôle central dans le débat intra-européen sur la réponse à apporter à la crise. Elle pousse pour un régime de sanctions plus strict et mieux appliqué par l’ensemble de la communauté internationale. Elle travaille à convaincre ses partenaires au sein de l’UE de l’importance d’un dossier que certains Etats jugent éloigné de leurs priorités de sécurité nationale, et à maintenir la cohésion du bloc européen sur une ligne stricte.

De son côté, l’UE a proposé une médiation. Dans son discours d’août aux ambassadeurs de l’UE, Federica Mogherini y a consacré son premier point, rappelant le rôle utile de l’UE dans les négociations de l’accord nucléaire avec l’Iran. Au vu de l’analyse ci-dessus, il convient de souligner que l’approche européenne est en apparence plus proche de celle de la Chine et de la Russie que de celle des Etats-Unis, de la Corée du Sud et du Japon, qui ne croient plus à la diplomatie. L’UE parle de « dénucléarisation de la péninsule coréenne », et non de désarmement nucléaire de la Corée du Nord, employant une formule qui est officielle à Pékin. Les communiqués européens ne mentionnent pas la sécurité de la Corée du Sud et du Japon, pourtant des partenaires essentiels pour l’Europe.

Le point de départ d’une médiation doit être la prise de conscience de l’écart immense qui sépare la Chine et la Russie des Etats-Unis et de leurs alliés, malgré la convergence de principe sur l’importance des sanctions, qui contribue à masquer une profonde division en deux camps. L’Europe a peut-être une carte à jouer pour contribuer à la lutte contre la prolifération, puisque la Chine cherche désormais un soutien diplomatique pour son approche du côté de la France. Il pourrait par exemple s’agir de s’employer à durcir considérablement les conditions d’un accord de « double suspension ». Le véritable risque d’un gel volontaire, en plus de la quasi-certitude qu’il sera rapidement violé par la Corée du Nord, est qu’il soit utilisé par Pyongyang pour renforcer son ambition d’être accepté comme puissance nucléaire, en mettant en avant la reconnaissance implicite qu’il impliquerait.