L’Allemagne d’après-Merkel, quel renouvellement? edit

8 juin 2021

L’Allemagne se trouve à l’aube d’une campagne législative qui s’annonce plus ouverte que jamais. À quatre mois du scrutin, qui aura lieu le 26 septembre, une seule certitude : le pays tournera la page Merkel, la chancelière qui a dirigé la République fédérale pendant seize ans, en coalition avec le parti social-démocrate SPD (interrompue une seule fois par un gouvernement de centre-droit avec le FDP, de 2009 à 2013).

Angela Merkel a imprégné le pays par une gestion non sans failles ni retournements brusques et controversés (comme la sortie de l’énergie nucléaire en 2011 ou l’ouverture mal maîtrisée des frontières aux réfugiés en 2015) mais somme toute centriste, prudente et pragmatique, faisant une place assez large à son partenaire social-démocrate. Le SPD a pu imposer de nombreuses corrections sociales aux réformes libérales de la fin du mandat de Gerhard Schröder, en 2004-2005). Sous l’effet de la pandémie du Covid-19, la chancelière a même mis en parenthèse le sacro-saint dogme allemand de la stabilité budgétaire pour financer un plan ambitieux de redressement économique, ainsi que pour faciliter la naissance du plan de redressement européen Next Generation Europe. Sa politique lui a valu de nombreuses critiques, y compris dans son propre parti, la CDU chrétien-démocrate. (cf. « Fin de partie pour Angela Merkel? ». L’ouverture aux réfugiés a ouvert une confrontation polémique dans le pays, favorisant l’essor du mouvement d’extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland), qui est entré au Bundestag en 2017. On peut également regretter le manque d’ambition réformatrice pour préparer l’Allemagne aux défis multiples qui la guettent. Cela n’enlève rien à sa popularité qu’elle a su rétablir après chaque revers. Aujourd’hui, en pleine crise du Covid-19, son score de satisfaction se situe à 59% (sondage de mai 2021), loin devant tous les autres leaders politiques – pas mal après seize ans à la tête d’un gouvernement !

Mais la chancelière ne se représentera plus. Situation inédite : pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale il n’y aura pas de candidat sortant. Le jeu politique semble plus ouvert que jamais, et même si les élections du weekend dernier ont vu une nette victoire de la CDU, il n’est pas possible de prévoir la dynamique que prendra la campagne électorale ni son issue le 26 septembre. Cela dit, on peut dénommer certaines tendances lourdes qui vont jouer. D’abord, on peut prévoir que le changement du rapport des forces politique continuera. L’érosion lente mais irrésistible de la CDU/CSU et du SPD, ces deux grands partis de rassemblement qui ont dominé la vie politique allemande dans l’après-guerre, va renforcer la dispersion des forces politiques. Comme avant, le futur Bundestag comptera six groupes, dont trois prétendent au leadership dans un futur gouvernement fédéral.

La CDU a failli se déchirer dans la recherche d’un successeur à Angela Merkel. Aux rivalités entre personnes s’ajoutent des clivages politiques entre les ailes néolibérale, conservatrice et chrétienne-sociale. Le candidat à la chancellerie Armin Laschet, ministre-président du Land de Rhénanie du nord-Westphalie, homme de compromis centriste et europhile, a jusqu’ici peiné à s’affirmer et à convaincre les électeurs. Il n’est pas sûr de retrouver le score de 2017, déjà assez faible, de 33%. Mais les résultats de ce weekend l’ont plutôt conforté.

Fait nouveau : l’essor des Verts (Bündnis 90/Die Grünen), qui pourraient plus que doubler leur score de 2017 (9%) et talonnent actuellement la CDU/CSU, même si leur envolée pourrait ne pas persister d’ici septembre. Les Verts se trouvent en phase avec la montée en puissance du changement climatique comme enjeu politique majeur, et ils prétendent incarner le renouvellement politique, tout en se présentant comme un parti de gouvernement modéré et responsable, qui participe par ailleurs à dix gouvernements des Länder sur seize, tantôt dans des coalitions de centre-gauche, tantôt en allié de la CDU ou des libéraux. Leur candidate à la chancellerie, Annalena Baerbock, a 40 ans et n’a pas d’expérience gouvernementale ou exécutive.

Le SPD poursuit son érosion historique et se trouve relégué désormais au troisième rang. Son profil reste brouillé entre une culture de responsabilité gouvernementale et un rôle de bon gestionnaire d’une part (qui l’a amené à participer à trois des quatre gouvernements avec la CDU d’Angela Merkel), et le rêve introuvable des militants d’une orientation et de coalitions nettement plus à gauche d’autre part. Son candidat à la chancellerie est l’actuel ministre des Finances Olaf Scholz, gestionnaire expérimenté mais qui souffre d’un manque de charisme.

Trois autres partis se situent à plus ou moins de 10 % dans les sondages actuels : les libéraux (FDP), après une phase populiste et néolibérale, se déclarent aujourd’hui prêts à prendre des responsabilités gouvernementales, ne rechignant plus à une alliance avec le centre gauche. La gauche socialiste (Die Linke), lointain héritier du parti communiste est-allemand, participe à deux gouvernement régionaux et dirige même celui du Land de Thuringe, mais ce parti semble sur une pente descendante. Enfin, l’AfD (Alternative für Deutschland) n’a cessé de se radicaliser au profit de son courant d’extrême-droite dure, ce qui l’éloigne les perspectives d’une quelconque alliance de droite. Il semble pourtant se maintenir et est devenu un facteur de blocage à l’est du pays avec plus de 20%.

Qui gouvernera l’Allemagne après Merkel ? Dans ce jeu à cinq partis (l’AfD restant hors jeu), une seule certitude : le clivage gauche-droite (en Allemagne plutôt : centre gauche-centre droit), s’il reste toujours présent dans les débats et controverses de la campagne, n’est plus pertinent quand il s’agit de former un gouvernement. Il faudra une alliance dépassant ce clivage pour assurer une majorité parlementaire. C’était déjà vrai hier, le pays ayant connu trois coalitions CDU/CSU-SPD depuis 2005, et ce sera encore vrai après le 26 septembre. Fait nouveau, l’éventail des coalitions envisageables s’est élargi. CDU/CSU et Verts ; CDU/CSU, FDP et Verts ; Verts, SPD et FDP ; peut-être même une alliance de gauche entre Verts, SPD et Gauche socialiste : tout, ou presque, est possible. Ce n’est pas un drame, vu la culture politique centriste de l’Allemagne, ainsi que le pragmatisme des acteurs et la dispersion du pouvoir dans le fédéralisme coopératif (qui fait que gouvernent fédéral et les gouvernements des 16 Länder sont forcés à négocier des compromis en permanence) qui nécessite depuis longtemps une telle coopération entre des forces politiques au-delà des clivages gauche-droite traditionnels.

Dans ces conditions, le renouvellement politique qui domine beaucoup de débats risque de faire long feu. Par ailleurs, quel renouvellement ? Les signaux émis des électeurs sont contradictoires. Un sondage récent de l’institut Allensbach en mai 2021 démontre certes que plus de 60% des sondés se prononcent pour un « changement profond » au gouvernement (ce qui reflète un certain ras le bol après seize ans de l’ère Merkel), et que 67% plaident pour « une autre politique ». Mais laquelle ? 55% des sondés veulent un tournant dans la politique de l’environnement et du climat, ce qui semble conforter le positionnement des Verts. Mais une majorité aussi forte revendique pour sa part un changement dans la politique des réfugiés et d’immigration, thématique portée par des force de droite. C’est dire à quel point la notion de « rupture » ou de « renouvellement » mise en avant si souvent n’est qu’une formule fourre-tout cachant des ambitions très contradictoires.

Gageons que dans les temps tourmentés qui courent, la grande majorité des Allemands cherchent à être rassurés. S’il y a une demande d’innovations, indispensables dans de nombreux domaines (de la politique économique et sociale, ainsi que la sécurité intérieure, en passant par le tournant énergétique et la politique climatique, à l’engagement européen et international de l’Allemagne), elle est assortie d’une quête de continué. Pari énorme pour tout prétendant à la succession d’Angela Merkel, doublé par le devoir de combler au plus vite le vide que le retrait de cette chancelière à la stature exceptionnelle ne manquera pas de créer.