Messieurs les producteurs de coton : encore un effort! edit

4 février 2007

Le dossier du coton a pris une place très importante dans les négociations commerciales multilatérales. Le 31 avril 2003, quatre pays producteurs (Bénin, Burkina Faso, Tchad et Mali) avaient déposé une proposition jointe auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour que le soutien domestique donné par les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine à leurs producteurs soit éliminé et pour qu’avant prise d’effet de cette décision, ces pays reçoivent une compensation financière. Cette initiative fut beaucoup commentée, aussi bien par des institutions internationales que par des organisations non gouvernementales. D’aucuns lui attribuent un rôle important dans l’échec de la ministérielle de Cancún.

Le 26 avril 2004, l’organe judiciaire de l’OMC donnait raison au Brésil dans le conflit qui l’opposait aux Etats-Unis : le leader du G20 arguait que bon nombre des subventions américaines accordées aux producteurs domestiques de coton ne respectaient pas les dispositions de l’accord agricole de l’Uruguay Round.

A Hong Kong encore, le dossier du coton a reçu une attention toute particulière : deux paragraphes lui sont accordés dans la déclaration finale du 18 décembre 2005.
L’enjeu économique de ce dossier est simple. Le coton est une culture importante pour beaucoup de pays en développement : elle représente entre 30 et 44% des exportations de cinq pays d’Afrique de l’Ouest, mais est aussi une activité fondamentale au Turkménistan (3,6% du PIB à la fin des années 1990), au Tadjikistan (8,2%), en Ouzbékistan… C’est surtout une culture de petits fermiers dans beaucoup de pays où la pauvreté est très répandue : de 47% de la population en Ouzbékistan à 90% au Mali vivait avec moins de 2$ par jour en 2001. Or de l’autre côté de la hiérarchie mondiale des revenus, quelques pays riches dépensent des sommes faramineuses pour soutenir leur production domestique, notamment les Etats-Unis. En 2002 leur soutien à la production se chiffrait à presque 4 milliards de dollars, soit environ un sixième de la production mondiale. Les interventions américaines sont très fluctuantes d’une année sur l’autre car leur ampleur est souvent définie en fonction des prix mondiaux ou des revenus des producteurs. L’Union Européenne est sur ce point moins interventionniste avec 1 milliard de dollars de soutien à la même date. Ces interventions impliquent bien évidemment une production plus forte des pays de l’OCDE et un prix mondial plus bas. A l’inverse, l’élimination totale de ces interventions augmenterait le prix mondial de 13% et la production en valeur en Afrique de 6%.


Sur le plan symbolique, ce dossier est donc lourd car il oppose quelques grands fermiers du pays le plus riche du monde, soutenus massivement par leur gouvernement pour des raisons économiques obscures, mais des raisons politiques peut-être plus évidentes, à plusieurs millions de petits fermiers des pays les plus pauvres de la planète (6 millions pour la seule Afrique). Sa très forte médiatisation a obligé les gouvernements et l’OMC à traiter le dossier de manière spécifique, alors même que la règle des négociations commerciales multilatérales est de conduire ces négociations globalement. Il est vrai aussi que le règlement de la dispute opposant à l’OMC, Brésil et Etats-Unis constituait le premier cas de contestation d’un programme de soutien agricole d’un pays de l’OCDE par un pays en développement ; il est donc susceptible de provoquer une multiplication de tels litiges. De ce fait les gouvernements de l’OCDE sont donc davantage incités à remettre en cause ces politiques.

Les deux paragraphes de la déclaration finale de Hong Kong, relatifs au coton, sont révélateurs de la façon dont ces négociations se passent dans l’ensemble des sujets sensibles pour le développement dans le monde. Du fait de la pression de l’opinion publique, il faut agir. Les pays membres de l’OMC ont donc conclu que les subventions à l’exportation de coton seraient supprimées dès 2006, et que l’accès au marché des pays développés pour ce bien serait libéré de tout tarif et tout quota dès le début de la période de mise en œuvre de l’accord final. Mais en même temps les pays développés et singulièrement les Etats-Unis ne veulent pas aller trop loin dans la diminution de leur soutien aux producteurs domestiques ; les subventions à l’exportation ne représentent qu’une toute petite partie des soutiens aux producteurs locaux (5% aux USA en 2002), les tarifs sont faibles et les quotas inexistants. Une réduction forte des subventions aux producteurs, plus forte que dans le cas des autres produits, est envisagée dans l’accord de Hong Kong, mais ce paragraphe est resté entre crochets, pour bien signifier qu’elle reste incertaine. Bref dans le dossier coton, comme sur tous les sujets, les concessions sont (peut-être pour l’instant !) faibles.

Mais quelques lignes plus loin, le texte de la déclaration est encore plus inquiétant : « Nous nous félicitons des efforts de réforme interne des producteurs de coton africains visant à accroître la productivité et l'efficience, et les encourageons à approfondir ce processus. » Autrement dit, c’est surtout aux pauvres de faire des efforts !

Antoine Bouët est économiste.