La pauvreté dans les DOM edit

5 novembre 2020

Selon que l’on opte pour un calcul national ou local de la pauvreté, celle-ci varie du simple au double dans les Dom. Avec un seuil de pauvreté métropolitain, le tiers des habitants de Martinique et de Guadeloupe sont pauvres. Avec un seuil local, ils ne sont plus qu’un sur cinq dans cette situation. Avec un seuil métropolitain, quatre habitants de Mayotte sur cinq sont comptés comme pauvres. Avec un seuil mahorais, deux habitants sur cinq. Ce sujet méthodologique a des répercussions politiques.

La pauvreté en France métropolitaine fait l’objet d’études toujours plus précises. Le sujet, pourtant d’importance, s’avère bien moins documenté en ce qui concerne les départements d’outre-mer (DOM), où les problèmes sont, d’évidence, bien plus prononcés. Une note récente de l’INSEE contribue à lever le voile sur ces contrastes qui étaient jusqu’à aujourd’hui peu renseignés par la statistique publique[1].

En France métropolitaine le taux de pauvreté monétaire est de 14% en 2017. Ceci signifie que 14% de la population vit dans des ménages dont les niveaux de vie (revenus après transferts socio-fiscaux) sont inférieurs à un seuil d’environ 1000 euros par mois dans le cas d’une personne seule. Si l’on applique ce seuil métropolitain aux DOM, c’est toujours plus du tiers de la population ultramarine qui est affectée : 33% en Martinique, 34% en Guadeloupe, 42% à la Réunion, 53% en Guyane, 77% à Mayotte.

Cette approche nationale souligne la très grande différence de situation entre la métropole et les DOM. Ces départements ultra-marins sont, et des très loin, les plus pauvres de France. Derrière la Martinique, moins pauvre des départements ultramarins, à 33% donc, suivent la Seine-Saint-Denis, département métropolitain le plus pauvre (28%), l’Aude et la Haute-Corse (21%), les Pyrénées-Orientales et le Vaucluse (20%), le Pas-de-Calais (19%). On notera bien, au passage, que c’est en Seine-Saint-Denis et non dans un département rural que le taux de pauvreté est, dans l’hexagone, le plus élevé.

Partout les enfants de moins de 18 ans sont davantage touchés par la pauvreté que les adultes. On baptise « enfants pauvres », les mineurs qui vivent dans un ménage compté comme pauvre. En métropole un enfant sur cinq est compté comme pauvre. C’est le cas d’un tiers d’entre eux en Seine-Saint-Denis, dans le Pas-de-Calais ou dans le Vaucluse. Si l’on applique le seuil de pauvreté métropolitain aux DOM, alors plus de huit enfants sur dix sont pauvres à Mayotte, environ les deux tiers en Guyane, la moitié à la Réunion, et deux sur cinq dans les Antilles.

Ce portrait, mettant au jour statistique la diversité des situations entre, d’une part, la métropole et les DOM, et, d’autre part, les DOM entre eux, se pondère par une autre approche. Plutôt que de prendre le seuil métropolitain de la pauvreté, il s’agit d’établir des seuils de pauvreté locaux. La pauvreté ne se calcule plus selon un seuil à 60 % du niveau de vie médian métropolitain, mais à 60% du niveau de vie médian dans chacun des DOM.

En 2017, en Martinique et en Guadeloupe, le niveau de vie médian, qui partage la population en deux parties égales, se situe respectivement à 1360 et 1310 euros mensuels (pour une personne seule). Ces niveaux de vie médians sont inférieurs de 20% et 23% à celui observé en France métropolitaine (1700 euros par mois). Celui de La Réunion (1160 euros mensuels) est inférieur d’un tiers au niveau de vie médian de métropole et celui de la Guyane de moitié (920 euros). À Mayotte (260 euros), il ne représente qu’un sixième de la valeur métropolitaine.

Le revenu médian étant nettement plus faible dans les DOM qu’en métropole, le seuil de pauvreté local baisse mécaniquement par rapport à une approche métropolitaine. Et, partant, la pauvreté mesurée baisse.

Ainsi, la pauvreté évaluée localement à la Réunion passe à 16%, soit tout de même 2% au-dessus de la moyenne métropolitaine. Le seuil de pauvreté établi pour le Réunion est de 700 euros par mois. Toujours selon cette méthode locale, le seuil de pauvreté à la Guadeloupe et en Martinique tourne autour de 800 euros et le taux de pauvreté à 20 %. En Guyane, le seuil s’établit à 550 euros et le taux à 23%. À Mayotte, qui est donc et de très loin le département le plus pauvre de France, le seuil ne s’établi qu’à 160 euros par mois. Et le taux de pauvreté à 42% (très proche du niveau de la médiane qui, par construction, se trouve à 50%). Il faut aussi souligner que ces enquêtes minorent la présence de sans-papiers, très présents en particulier en Guyane et à Mayotte, avec des revenus très faibles ou totalement inexistants.

Passer d’une approche nationale à des approches locales change largement le portrait de la pauvreté monétaire et de ses contrastes. La même opération pourrait se conduire pour les départements métropolitains, réduisant de fait la pauvreté dans les départements comptés nationalement comme pauvres (la Seine-Saint-Denis au premier chef).

La pauvreté ne s’apprécie pas uniquement en fonction de critères monétaires qui sont fonction des niveaux de vie, nationaux ou locaux. Elle s’évalue également selon les conditions de vie qui, elles, peuvent très valablement se comparer selon des critères qui ne dépendent pas des départements.

À ne prendre que les conditions de logement, on repère le fossé qui sépare les DOM de l’hexagone. Alors qu’en métropole, en 2013, moins d’un logement sur cinq présente au moins un défaut grave de confort (pas de WC, pas d’installation pour faire la cuisine, façade très dégradée, etc.), c’est le cas de 40% des logements en Guadeloupe et en Martinique, de 50% d’entre eux en Guyane. 20% des ménages réunionnais vivent en situation de surpeuplement, soit deux fois plus qu’en métropole. La majorité des ménages mahorais vivent dans des conditions de logement difficiles, très éloignées des standards des départements métropolitains. En 2013, sur les 53200 résidences principales de Mayotte, 40% sont des habitats individuels en tôle que l’on peut raisonnablement baptiser bidonvilles.

En un mot, qui ne surprendra pas, dans les DOM la pauvreté en conditions de vie est bien plus élevée et bien plus caractéristique même que la pauvreté monétaire. La situation de Mayotte se démarque avec des niveaux très élevés de problèmes selon les deux critères, distinguant assez radicalement ce dernier département français de tous les autres.

En tendance, depuis le tournant de millénaire, la dynamique était à une diminution des écarts, de niveaux et de conditions de vie, entre la métropole et les DOM. La Guyane et Mayotte, affectées par une immigration irrégulière difficilement contrôlable, font mentir cette tendance moyenne, mais, globalement, les écarts étaient à la réduction.

L’avenir sera marqué par les conséquences de la crise économique et sanitaire du coronavirus.

Du point de vue sanitaire, la pauvreté des conditions de vie complique, voire empêche l'accompagnement des populations et le respect des gestes barrières ou de la distanciation sociale. Elle compliquait le respect du confinement quand, comme d’ailleurs dans toute forme de bidonville dans le monde, ce qui prime c’est la survie au quotidien[2]. Dans les DOM peu touristiques comme Mayotte, qui est longtemps resté le département le plus affecté par le COVID, cette dimension sanitaire demeurera la plus préoccupante. Dans les DOM plus touristiques, où l’activité liée au tourisme contribue fortement à l’économie locale, comme les Antilles, la crise économique liée au confinement puis au ralentissement économique se double déjà des limitations de déplacement qui ont réduit la fréquentation touristique à l’été 2020. Cette érosion touristique devrait continuer.

Afin de limiter les impacts de cette crise et de renouer avec la croissance, les Outre-mer doivent pleinement bénéficier du plan de relance annoncé début septembre par le Premier ministre. Avec au moins 1,5 milliards d’euros qui seront consacrés en 2021 et 2022 à des projets dans les Outre-mer, prenant en compte les spécificités de ces territoires. Signalons également que le plan de relance européen, adopté en juillet 2020, consacre des moyens particuliers aux régions ultrapériphériques (ainsi nommées par les instances de l’Union européenne).

Les DOM, du point de vue de leur situation défavorisée, sont donc de mieux en mieux reconnues et ceci devrait utilement s’approfondir. Pour autant, deux sujets techniques singuliers devraient être mieux traités. D’abord, sur le plan des données, des chiffres plus récents (par exemple sur les conditions de vie) et plus systémiquement publiés en même temps que les chiffres métropolitains seraient bienvenus. Ensuite, pour l’Outre-mer, il ne faudrait pas que les efforts de connaissance sur la pauvreté dans les DOM fassent oublier les autres territoires ultramarins. Les collectivités d'outre-mer (COM) ne font pas l’objet de la même attention statistique. Ainsi, si les connaissances s’améliorent pour les DOM, avec une comparaison rendue plus aisée avec la métropole, ce n’est pas encore le cas pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

 

[1]. « Une pauvreté marquée dans les DOM, notamment en Guyane et à Mayotte », Insee Première, 1804, 1er juillet 2020.

[2]. À ce sujet, on se permet de renvoyer à notre étude, « Les bidonvilles contre le coronavirus, le confinement contre les bidonvilles », note de la Fondation Jean Jaurès, 29 avril 2020.