La gauche, Mélenchon et la démocratie edit

Sept. 18, 2017

En mai 2016, j’appelais dans ces colonnes Jean-Luc Mélenchon à prendre une position ferme sur la dérive dictatoriale du régime chaviste dirigé par Nicolas Maduro. Peu de temps auparavant, en effet, il voyait encore dans le Venezuela bolivarien une source d’inspiration et « l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste ». Chavez, affirmait-il, « n’a pas seulement fait progresser la condition humaine des Vénézuéliens, il a fait progresser d’une manière considérable la démocratie. C’est sans doute, ajoutait-il, sa contribution majeure à la lutte socialiste de notre siècle. » Exemple significatif à ses yeux de la supériorité de la démocratie chaviste sur nos vieux Etats de droit libéraux, Mélenchon, en 2012, citait en premier la création « des référendums révocatoires permettant de faire partir un député, un gouverneur (…) voire même le président de la République ».

En décembre 2015, l’opposition vénézuélienne a gagné largement les élections législatives. Face au chaos économique qui règne dans le pays, à la misère et au désespoir de la population vénézuélienne et à la totale incompétence du président Nicolas Maduro, dont plus des deux tiers du pays souhaitaient le départ, la nouvelle majorité parlementaire a voulu organiser ce type de référendum révocatoire pour provoquer le départ du président. Près de deux millions de signatures avaient déjà été récoltées. A partir de là, le régime s’est engagé dans la voie de la dictature, liquidant la démocratie, aussi bien représentative que directe : l’Assemblée, dont les pouvoirs ont été peu à peu supprimés au bénéfice d’un Tribunal suprême de la justice, a fini par être remplacée par une Assemblée constituante totalement dans les mains du pouvoir et qui doit élaborer une nouvelle Constitution. Cette Constituante est rejetée par 72% des Vénézuéliens. 41 Etats, dont 11 d’Amérique latine, l’ont condamnée. Luisa Ortega Díaz, procureur général de la République bolivarienne depuis 10 ans et proche d’Hugo Chavez, a fermement dénoncé l’action de Maduro. En juin 2017, une procédure de destitution a été engagée à son encontre par la Cour suprême, puis c’est finalement l’Assemblée constituante qui a proclamé sa révocation le 5 août suivant. Elle s’est réfugiée depuis en Colombie. Les opposants les plus notoires sont en résidence surveillée ou en prison. On compte plus de 600 prisonniers politiques. Quant à la démocratie directe, le pouvoir a empêché la tenue du référendum révocatoire. Le pays s’enfonce ainsi de plus en plus profondément dans la violence, la misère et la dictature.

Face à cette imposition d’un régime dictatorial, certaines voix à gauche en France, certes encore trop peu nombreuses – signalons un excellent éditorial de Laurent Joffrin dans Libération – ont appelé Jean-Luc Mélenchon à sortir enfin de son silence pour condamner cette situation.  C’est finalement ce qu’il a décidé de faire à la fin du mois dernier, mais pas comme on aurait pu le souhaiter. Tout au contraire. D’abord à Marseille : « Nous ne perdrons pas notre temps à jeter des pierres à nos amis », a dit le dirigeant de la France insoumise. Quelque erreur que fassent nos amis, ne perdons pas de vue que le principal responsable du mal, du désordre et de la guerre civile, c’est l'impérialisme américain ». Un langage qui ressemble étonnamment à la prose stalinienne de la guerre froide. Poursuivant sur son blog le 27 août, il écrit : « Dans l’immédiat, il suffit d’exposer tranquillement la réalité, en ignorant la grossièreté des provocations et en aidant par des arguments les gens à réfléchir d’une manière équilibrée ». Le problème est qu’à aucun moment il ne décrit cette réalité : rien sur l’empêchement du référendum révocatoire, rien sur la liquidation politique de l’Assemblée élue en 2015, rien sur les prisonniers politique et la violence des milices pro-maduristes, rien sur la corruption et la catastrophe économique que connaît le pays du fait de l’incurie totale des gouvernants, rien finalement sur la suppression des libertés. A lire ce blog, on pourrait ignorer totalement la crise politique dramatique qui secoue aujourd’hui le Venezuela et l’imposition d’une dictature par le pouvoir. Mélenchon nous invite à réfléchir de manière équilibrée sur la situation dans ce pays mais sans donner aucun des éléments qui la caractérisent. Ce qui fait véritablement froid dans le dos c’est que dans la guerre internationale que, selon lui, se livrent le camp socialiste et l’impérialisme américain, il estime qu’il faut être toujours du côté du premier, les « amis », et quoi qu’il fasse, ce qui est précisément la négation d’une approche par les libertés et les institutions. Cela nous ramène à la guerre froide et à l’époque où le communisme « réel » entendait imposer au monde les régimes totalitaires qu’il avait imposés chez lui.

Il ressort de cette analyse que Jean-Luc Mélenchon assume clairement sa préférence pour ce type de régime plutôt que pour les régimes libéraux-constitutionnels. Cela est cohérent avec son appel à l’insurrection et à l’insoumission. Derrière son combat apparent contre le capitalisme et les inégalités, c’est en réalité, et on doit au moins porter à son crédit qu’il ne s’en cache pas, un tout autre combat qu’il mène, un combat anti-démocratique où seul le « lider » décide et où les opposants sont mis en prison. Dans ces conditions, il est à la fois affligeant et très inquiétant de voir une part importante des organisations et des sympathisants de gauche en France reconnaître en Mélenchon le prochain leader de la gauche française ; de voir le candidat socialiste à l’élection présidentielle, Benoît Hamon, candidat d’un parti qui depuis Jaurès et Blum puis Mitterrand n’a jamais transigé sur les libertés démocratiques face au communisme, aller défiler avec la France insoumise tandis que ce qui reste du Parti socialiste se positionne au moins aussi près de Mélenchon que de Macron. Cela témoigne de l’affaiblissement des valeurs démocratiques dans la gauche française. Certes, beaucoup placent avant tout autre objectif la reconstruction d’une gauche unie. Mais à ce prix-là, l’atteinte de cet objectif ne serait-elle pas trop cher payée ?