Les réformes économiques seront très difficiles edit
Jean-Luc Mélenchon a eu mille fois raison de ne pas appeler à voter pour Emmanuel Macron. Depuis des mois, les sondages indiquaient que Marine Le Pen n’avait aucune chance d’être élue et, une fois encore, ils ne se sont pas trompés. Pour Mélenchon, et ce qu’il représente, l’ennemi n’a jamais été le FN, mais Macron. En effet, la nouveauté de Macron porte sur deux domaines qui sont au cœur du logiciel de la gauche de la gauche : le besoin d’impérieux de réformer l’économie et le rapport à l’Europe.
Au-delà des querelles de détails qui ont alimenté la propagande sur le « flou » supposé de son programme, Macron a toujours clairement indiqué deux priorités essentielles : redéfinir le rôle de l’État et en réduire le poids asphyxiant, d’une part, et flexibiliser le marché du travail, d’autre part. Chacune de ces réformes contribuera puissamment à faire disparaître progressivement le chômage de masse et à faire revenir la croissance de l’économie et donc des revenus des Français. À ce titre, ces réformes seront historiques. Elles le seront aussi à un autre titre : elles marqueront la fin de la funeste exception française qui remonte à l’immédiat après-guerre, l’alliance entre le gaullisme et le Parti communiste. La gauche de la gauche, tout comme la droite et la droite de droite, ont toujours tout fait, avec succès, pour maintenir ces « avantage acquis ». Le désaccord est profondément enraciné dans notre histoire. Macron a eu raison d’opposer son progressisme au conservatisme qui caractérise la défense des avantages acquis, sa vision girondine contre le colbertisme qui irrigue la vision d’une vaste majorité de citoyens.
Le refus des réformes sera donc puissant. Pour la plupart des syndicats et d’innombrables groupes de pression, ce sera un combat à mort. Grèves générales et manifestations gigantesques seront leur réponse. On reverra l’opposition classique entre la légitimité des urnes et celle de la rue. Mélenchon a été explicite sur la question, jouant du mythe de la révolution et de l’omnipuissance du peuple. Pour Macron, il s’agira de mettre un terme à l’idée qu’un gouvernement doit reculer dès lors que deux millions de personnes sont dans la rue.
Pour gagner cette bataille qui s’annonce, Macron devra agir vite car sa légitimité démocratique sera inversement proportionnelle à la distance entre le moment de son élection et celui de ses réformes. Il le sait puisqu’il envisage de réformer le code du travail par le biais d’ordonnances. Mais ce ne sera pas suffisant. Il lui faudra aussi convaincre l’opinion publique.
Pour cela, la parole sera importante. Il sera vital de faire de la pédagogie. De trouver les mots simples pour expliquer des concepts compliqués et souvent contre-intuitifs. On l’a vu avec la loi El Khomri : il n’est pas aisé de convaincre qu’un allègement des conditions de licenciement permet de réduire le chômage, même si c’est exact et corroboré par de nombreuses expériences conduites à l’étranger. C’est un défi pédagogique majeur, mais pas seulement.
Pas seulement parce qu’il faut reconnaître que, même si l’effet final de ces réformes est positif en terme de chômage et de croissance, il lui faudra du temps (plusieurs années) pour qu’il apparaisse et il fera de nombreux perdants en cours de route. Ignorer ces aspects n’est seulement de la mauvaise foi, c’est aussi prendre le risque d’échouer. La meilleure des pédagogies ne peut masquer la réalité. La parole ne suffit pas, il faut aussi des actes.
En fin de campagne, Macron a affirmé comprendre la colère des perdants du progrès technologique et de la mondialisation. Le progrès est inéluctable, bien heureusement. Il produit la destruction créatrice, une idée développée il y trois quarts de siècle par Joseph Schumpeter et popularisée en France par Philippe Aghion. Les réformes vont faire de nombreux perdants, ils le savent et sont déjà en colère. Mélenchon a surfé sur cette colère. Ses propositions démagogiques et nostalgiques – tout comme celles de Benoît Hamon – sont à l’opposé de ce qu’il faut faire, on n’arrête pas le progrès. Il n’en reste pas moins que c’est vrai qu’il y aura des perdants. Ce seront tous ceux qui ne pourront pas s’adapter à une économie redevenue dynamique, portée par des changements rapides : ceux qui n’ont pas bénéficié d’une bonne éducation ou sont trop âgés pour se reconvertir, ceux qui sont coincés dans des filières économiques condamnées à disparaître dont l’archétype est la production de machines à laver à Amiens, et ceux qui survivent difficilement grâce à des subventions de toutes sortes.
Sauf à rejeter le progrès, la solution est de protéger les personnes, pas les emplois. C’est l’idée qu’a esquissée Macron chez Whirlpool, mais sans dire comment il compte s’y prendre. Pour espérer gagner son bras de fer avec les forces conservatrices, il va devoir le faire avec précision avant de lancer ses réformes.
Une première piste est la clause du grand-père. C’est l’idée que les réformes ne concernent pas les personnes en place, uniquement celles qui arrivent. Par exemple, on peut changer les droits des chômeurs futurs sans toucher à ceux des chômeurs actuels, tout comme on peut unifier les régimes de retraite pour les futurs employés tout en conservant les régimes existants pour ceux qui en bénéficient aujourd’hui. L’inconvénient est que les réformes se mettent en place très lentement, trop lentement sans doute. Mais « perdre » 10 ou 20 ans lorsque l’on procède à des changements historiques est une alternative intéressante à l’absence de réforme.
Une autre piste est de dédommager les perdants. L’exemple de Whirlpool est, ici aussi, emblématique. S’il est impossible de fabriquer en France des machines à laver à des prix concurrentiels, il est vain de chercher des solutions. Subventionner des usines – comme faire acheter par la SNCF des TGV qui circuleront à petite vitesse – ne fait que reporter l’échéance fatale et prolonger l’angoisse des employés. Il vaut mieux leur offrir des compensations généreuses et des formations sérieuses. Obliger les entreprises à financer de tels dédommagements n’est pas non plus une bonne idée car cela décourage des implantations futures, la logique est la même que pour la loi El Khomri. Pour l’État, c’est cher, certes, mais pas nécessairement plus que les subventions, et certainement moins que des mesures protectionnistes – qui imposent un coût aux consommateurs et qui maintiennent en survie des entreprises non rentables.
Au-delà de ces exemples, il s’agit d’adopter un principe et de mettre en place des solutions au cas par cas. Le principe est que chaque réforme crée des perdants et que ces perdants doivent être protégés. Les solutions sont diverses en fonction de chaque réforme. Se lancer dans un bras de fer avec une opposition redoutable peut être tentant après un succès électoral, surtout si les législatives donnent une majorité au président fraîchement élu. Il peut gagner un bras de fer ou deux, au début, mais sa popularité sera vite en chute libre et l’échec sera alors inéluctable. Après tout, lors du premier tour de la présidentielle, il y avait deux candidats réformateurs, aux projets d’ailleurs semblables, Macron et Fillon. Ensemble, ils n’ont recueilli que 44% des suffrages. Les 56% des autres suffrages sont allés à des candidats farouchement opposés aux réformes que Macron entend conduire. Ces électeurs sont aujourd’hui frustrés et ils seront, demain, très en colère.
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