Non monsieur Timbeau, l'Europe a bien un problème d'offre edit

12 avril 2006

La thèse de Xavier Timbeau est qu'en se lançant dans un effort de réduction des coûts, l'Allemagne a non seulement vu sa croissance ralentir, mais a déprimé l'ensemble de l'économie européenne. Son pronostic est que d'autres pays suivront la même démarche, notamment la France et l'Italie. Sa conclusion est que « le gain de compétitivité par les coûts ne fonctionne pas pour produire la croissance ». Sa contre-proposition subliminale est qu’une bonne relance par la demande vaut mieux qu'une réforme de l'offre. S'il pouvait avoir raison…

Tout d’abord, on ne voit pas pourquoi une compression des coûts se traduirait nécessairement par une baisse de la demande. Toutes choses égales par ailleurs, une baisse des coûts du travail se traduit par une hausse des profits. Que deviennent ces profits ? S’ils ne sont pas dépensés en investissements productifs, c’est que les entreprises en font un autre usage. On apprend que les entreprises allemandes se sont désendettées, donc l’argent est allé quelque part. Où ça ? Pourquoi n’a-t-il pas été dépensé ? Mystère. On apprend aussi que les prix ont baissé pour compenser le pouvoir d’achat des salaires rogné par la compression des coûts. Mais alors, pourquoi la baisse des coûts est-elle vraiment source de récession ? Re-mystère.

Ensuite, dire que l’excédent allemand est la cause des déficits français, espagnols et italiens, à la hauteur de plus de 100 milliards d’euros, paraît naturel mais ne l’est pas. Les déficits en question ne se sont produits que parce que la demande interne a augmenté plus vite que l’offre. A supposer que l’offre ait reculé en raison de la baisse des exportations vers l’Allemagne – les données n’indiquent rien de tel, le PIB espagnol est plutôt explosif – il faut expliquer pourquoi la demande n’a pas baissé. Ici encore, aucune explication n’est donnée, comme si la question ne se posait pas.

Admettons que les réformes – qui sont généralement considérées comme bien modestes en Allemagne – aient eu un effet contractionniste. Est-ce une raison pour ne pas les faire ? Xavier Timbeau ne l’affirme pas frontalement, mais il semble penser que si les effets bénéfiques sont lents à se produire, on pourrait s’en passer. Qui doute encore que les grands pays de la vieille Europe souffrent d’un grave problème de l’offre ? Voici un quart de siècle que notre taux de chômage est scotché autour de 10%. Aucune théorie ni aucun travail empirique ne peuvent expliquer cette contre-performance historique par une demande insuffisante. Comme l’attestent au contraire beaucoup de théories et de travaux empiriques, nous avons donc un problème de l’offre, et nous devons nous y attaquer. On peut attendre un peu, et encore un peu plus, mais la situation ne s’arrange pas, elle se détériore même, surtout sur le plan social et politique. Les pays qui ont fait leurs réformes connaissent aujourd’hui une très bonne situation. Regardez la Grande-Bretagne blairo-thatchérienne : il y a une quinzaine d’années, son taux de chômage dépassait le nôtre, aujourd’hui il en fait à peine la moitié.

Le plus grave, c’est la suggestion, à peine esquissée, qu’une solide forteresse Europe pourrait de contenter de doper la demande sans se soucier de l’offre. « Les gouvernements européens ont de moins en moins la maîtrise de leur croissance, parce que la mondialisation a rendu les vieux ressorts inefficaces et que les nouveaux sont figés dans la construction européenne. » L’idée est que la mondialisation rend inopérantes nos bonnes vieilles recettes qui ont fait merveille durant les trente glorieuses. Cette nostalgie d’un passé magnifique est souvent évoquée mais elle ne s’appuie sur aucun argument sérieux, bien au contraire. L’Europe ce n’est pas seulement la France, l’Allemagne et l’Italie. Tous les autres, ou presque, se portent à merveille, tout globalisés qu’ils soient, et n’ont aucune raison de tirer le pont-levis. D’ailleurs ils ne veulent surtout pas d’une coordination des politiques de la demande, qu’ils perçoivent comme une erreur de plus des losers. Ils ne veulent pas que l’Europe se coupe du reste du monde qui continuera à galoper pendant que nous continuons à stagner. Quant aux merveilleuses sixties, c’était quand nous étions en rattrapage économique, loin de la frontière technologique. Nous y sommes arrivés, et tout s’est compliqué ; à présent, nous devons progresser pour ne pas reculer, globalisation ou pas. Beaucoup d’entreprises françaises sont à la pointe, écoutez un peu ce qu’elles disent : réformes, réformes, réformes, SVP !