Présidentielle américaine: la précampagne accélère edit

20 juin 2023

Dix-sept mois avant le scrutin de novembre 2024, la précampagne de l’élection présidentielle américaine s’accélère. La grande majorité des électeurs est hostile à un nouveau duel Biden-Trump qui serait la redite de l’affrontement de 2020. C’est pourtant l’issue qui paraît la plus probable mais le résultat final reste très incertain car les deux candidats accumulent de nombreux handicaps.

L’état du camp républicain reflète les paradoxes et les contradictions d’un Grand Old Party (GOP) qui a profondément changé depuis l’époque de Ronald Reagan. Son aile droite a pris de plus en plus d’importance sous la présidence d’Obama grâce au succès populaire du Tea Party qui fit élire au Congrès une fournée de Républicains extrémistes, vivant mal l’arrivée d’un président noir à la Maison Blanche. Cependant, le Tea Party dépérit vite car il lui manquait un porte-parole charismatique.

Ce porte-parole est apparu en 2015 quand Donald Trump a annoncé sa candidature. Son discours mêlant les appels à un électorat blanc peu diplômé délaissé par les Démocrates et sensible à son hostilité aux migrants et des contrevérités flagrantes sur ses adversaires démocrates qui ont enthousiasmé l’extrême droite s’est révélé très efficace. Il lui a permis de battre Hillary Clinton.

Depuis, Trump a accumulé les échecs. Il a été battu par Biden en 2020, ses candidats ont été rejetés par les électeurs aux midterms de 2022 ce qui a permis aux Démocrates de conserver le contrôle du Sénat. Ses encouragements à l’invasion du Capitole par une foule déchaînée le 6 janvier 2021 ont donné de lui l’image d’un factieux, incapable d’accepter le verdict du suffrage universel. Les Républicains anti-Trump pensaient que ce bilan désastreux leur permettrait de se débarrasser de lui.

Un électorat républicain fidèle à Trump

En réalité rien ne s’est passé comme on aurait pu l’imaginer dans une société démocratique normale. L’électorat républicain est resté fidèle à ce personnage qui sait lui parler et le séduire. Un sondage d’avril dernier de NBC News indique que 46% des électeurs républicains sont favorables à une candidature de Trump contre 31% pour De Santis et 6% pour Pence, l’ancien vice-président. Les multiples ennuis judiciaires de l’ancien président ne semblent pas l’affaiblir non plus. 68% des Républicains sont convaincus que les poursuites menées contre Trump sont inspirées par des motifs politiques suscités par les Démocrates. Ils en concluent que ses électeurs doivent continuer à le soutenir de manière inconditionnelle.

Depuis avril, la situation n’a pas fondamentalement changé. D’après le site Five Thirty Eight, l’image de Trump chez les Républicains reste très positive : 52% contre 22% pour DeSantis. Une majorité d’environ 60% continue à croire que le scrutin de 2020 a été volé et que Biden n’est donc pas légitime. Pire encore, la multiplication des candidats aux primaires républicaines, il y en a douze au total, semble avantager l’ancien président qui bénéficie des divisions de ses trop nombreux adversaires et peut espérer obtenir une majorité relative dans toutes ces primaires comme ce fut le cas en 2016.

Dans une récente chronique du New York Times, Nate Cohn le spécialiste des élections du journal a une approche plus nuancée. Il estime que DeSantis a réussi à regrouper une grande partie des Républicains hostiles ou réservés à l’égard de Trump et qu’il est beaucoup plus crédible que les deux autres principaux candidats, Pence et Christie, qui ne recueillent que peu d’opinions favorables et ne peuvent donc pas le concurrencer. Toutefois, les déclarations multiples et parfois contradictoires du gouverneur de la Floride sont révélatrices de sa difficulté à mobiliser une majorité des électeurs républicains dans les futures primaires.

L’impasse stratégique de DeSantis

DeSantis s’est placé en effet dans une impasse stratégique dont il ne parvient pas, pour le moment, à sortir. D’un côté il doit recueillir les votes républicains au cours des primaires, ce qui l’oblige à ménager Trump même quand celui-ci l’injurie et clame qu’il est innocent des poursuites judiciaires engagées contre lui. D’un autre côté, il doit essayer d’éviter de décevoir les électeurs indépendants dont il aura besoin lors du scrutin national et qui sont majoritairement hostiles aux divagations de Trump.

De ce point de vue, l’obstacle majeur sur le chemin de DeSantis est la question de l’interdiction de l’avortement. Comme nous l’avons souligné dans un précédent article de Telos, l’arrêt Dobbs de la Cour Suprême qui met fin au droit à l’avortement sur le plan national a déclenché une guerre culturelle qui gêne considérablement le parti républicain, partisan d’une interdiction totale. Une étude de Five Thirty Eight montre en effet que la majorité de l’opinion soit 51% est favorable à une autorisation nationale. Plusieurs États républicains dont la Floride de DeSantis ont adopté des lois très restrictives qui satisfont une minorité religieuse mais sont loin d’être approuvées par les électeurs. 62% des Américains pensent que ces États ont adopté des lois trop sévères, dont 39% de Républicains. Plus globalement, 42% des électeurs pensent que les Démocrates reflètent leur point de vue sur le droit à l’avortement, contre 26% pour les Républicains.

La faible popularité de Biden

Certains dirigeants démocrates estiment, au vu de ces données, que le président sortant n’aura pas de difficultés à vaincre son adversaire le plus probable, c’est-à-dire Trump. En réalité la situation est plus complexe et Biden souffre de handicaps préoccupants. Tout d’abord, et en dépit des importantes réformes qu’il a réussi à faire passer, sa cote dans l’opinion est faible. D’après le Pew Research Center, seuls 37% approuvent son action que 60% désapprouvent. Dans ces conditions, une majorité des électeurs, y compris chez les Démocrates, souhaite qu’il ne se représente pas. On lui reproche surtout son âge. Le fait qu’il aurait 86 ans au terme d’un second mandat inquiète les Américains. Une autre crainte, moins souvent formulée mais latente, est qu’à la suite d’un malaise, il soit contraint de passer le pouvoir à sa vice-présidente, Kamala Harris qui est très impopulaire.

De ce fait, les sondages les plus récents montrent qu’un duel Biden-Trump serait très serré et comporterait le risque qu’une fraction de l’électorat démocrate, notamment les jeunes et les afro-américains, choisisse de s’abstenir pour manifester sa déception et même son mécontentement.

Il est certes trop tôt pour prévoir le déroulement de la campagne officielle. Néanmoins, les éléments dont on dispose aujourd’hui n’incitent pas à l’optimisme. On risque d’assister à un affrontement que la majorité des électeurs désavoue et qui manifeste une inquiétante absence de renouvellement du personnel politique. Du côté démocrate, l’âge et peut être aussi l’engagement coûteux et interminable en Ukraine pèseront sur les votes de l’électorat indépendant qui représente un tiers du corps électoral. Côté républicain, on peut tout craindre de la soif de revanche de Trump qui ne cesse de manifester son mépris pour les règles de la démocratie et justifie constamment la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021 quand les envahisseurs du Capitole voulaient pendre le vice-président Pence. Une candidature de DeSantis axée sur une bataille culturelle dans les écoles et des entreprises comme Disney et contre le wokisme, n’offrirait pas de perspectives plus positives. Il ne fait pas de doute que le scrutin de 2024 sera un enjeu capital pour les États-Unis mais aussi pour les autres régimes démocratiques.