Pour de nouveaux financements des universités edit

7 mars 2022

Dans son récent discours aux présidents d’université, le président de la République avait semblé ouvrir la porte à une hausse des droits d’inscription, avant de se rétracter. Le débat qui a suivi a montré que ce sujet est encore tabou dans tous les segments de l’opinion française. A gauche prévaut une opposition de principe à l’idée que les étudiants participent au financement de leurs études, quel que soit le revenu de leurs parents et leur revenu espéré à l’issue des études. A droite, on ne veut pas risquer de faire descendre les étudiants dans la rue.

Pourtant, le statu quo ou, pire, la poursuite de la tendance initiée depuis une dizaine d’années conduiraient à une impasse. Le constat d’une paupérisation de l’Université est implacable. Depuis dix ans, les gouvernements ont fait des économies sur le dos des étudiants en gelant les dotations aux universités, malgré la croissance de leurs effectifs. Lucas Chancel et Thomas Piketty (École d’Économie de Paris) montrent que la dépense publique par étudiant a baissé de 16%, hors inflation, entre 2012 et 2022 ! Les chiffres officiels, publiés sur le site du ministère de l’Enseignement supérieur, donnent une baisse nominale de 12% de 2011 à 2019.

Les perspectives sont donc plus que sombres. Le risque que le budget des universités augmente moins vite que l’inflation est maintenant très élevé. Pour le prochain quinquennat, la programmation budgétaire prévoit une progression de la dépense publique (en euros constants) limitée à 0,7% par an, soit 3 milliards d’euros, pour parvenir à 3% de déficit budgétaire en 2027. Les promesses contenues dans la loi de programmation militaire suffisent déjà réduire à néant l’espoir d’une progression du budget civil en euros constants.

De la part des pouvoirs publics, et s’agissant de la formation de la jeunesse, ces choix sont consternants --- et même choquants. Au moment où le pouvoir d’achat est la première préoccupation des Français, cette politique délibérée d’attrition budgétaire des universités prépare des lendemains qui déchantent pour les niveaux de vie futurs. C’est aussi un désastre pour le financement futur des retraites et de l’État-Providence. Nos gouvernements et nos parlementaires, depuis dix ans, se refusent à préparer la jeunesse française à relever le défi de l’économie de la connaissance.

Dissipons d’emblée un malentendu. Bien sûr, nous souhaiterions que le budget de la Nation pour les universités et la recherche soit au moins au niveau de celui des pays scandinaves, c’est-à-dire, plus élevé d’un demi-point de PIB au moins. Hélas, nous constatons que ce sujet est presque absent du débat engagé en vue des élections présidentielles.

Alors que faire ? Nos propositions s’appuient sur trois solutions qui forment un système et qui renouvellent complètement la façon d’envisager le financement des universités françaises.

Première proposition : des droits d’inscription plus élevés, à la discrétion des universités et entièrement couverts par le crédit

Jusqu’à un maximum réglementaire qui pourrait être de 10 000 euros par an (pour donner un ordre de grandeur) les droits d’inscription à l’université seraient financés par un système de crédit aux étudiants, distribués par les banques et réglementés par l’Etat. Le remboursement des crédits serait étalé sur plusieurs années et dépendrait des revenus futurs de l’étudiant (ce type de remboursement est dit contingent) : cela signifie que les banques n’exigeront aucun remboursement pendant les études, lors des périodes de chômage ou quand les revenus passeront en-dessous d’un seuil réglementaire. Ces remboursements seront indexés sur les revenus futurs des individus : ceux qui gagnent plus rembourseront plus vite. En termes économiques, cela revient à emprunter lors des études, avec comme garantie le capital humain futur des individus. Trois points sont ici essentiels. Tout d’abord, le plafond des droits d’inscription contribuera à éviter le surendettement étudiant qu’on a pu observer aux États- Unis. Ensuite, les universités choisiront de manière pleinement autonome le montant de leurs droits sous le plafond réglementaire ; elles pourront fixer des droits différents par type d’étude ou par degré, ou même ne pas y avoir recours. Enfin, tous les étudiants boursiers (un tiers de la population étudiante) seraient exemptés de ces droits universitaires ; ceux-ci seraient pris en charge par l’État. Au total, avec notre proposition, aucun étudiant ne débourserait quoi que ce soit pendant ses études (les étudiants paieraient moins qu’aujourd’hui).

Comme les remboursements seront contingents aux revenus, comme personne ne paiera le moindre droit d’inscription lors de ses études, comme les boursiers seront exemptés de tout droit universitaire, nous pensons que la justice sociale y trouverait son compte.

Pour sécuriser les remboursements du point de vue des banques et permettre une baisse des taux d’intérêt consentis, les crédits à l’étudiant devraient avoir priorité sur les remboursements de ses autres emprunts (ils seraient des crédits senior, dans le langage financier). Pour obtenir ce résultat, il faut un changement de la loi. Mais dans ce nouveau régime, les individus et les familles auront beaucoup plus intérêt à investir dans leur formation que dans l’immobilier, ce qui est une rupture positive par rapport à la situation actuelle. En outre, nous proposons que tous ces prêts étudiants soient garantis par l’État à hauteur de 1% de l’encours. Ce système existe, avec des variations, en Australie, en Angleterre, etc…

Deuxième proposition : mieux financer la vie étudiante

Les conditions de vie de nombre d’étudiants sont non seulement une source d’inquiétude, mais elles produisent aussi un cadre inefficace, tant en se plaçant du point de vue des individus que de celui de la société. Un étudiant accaparé par des petits boulots n’a ni le temps ni l’énergie pour mener au mieux ses études. C’est absurde et injuste. Au-delà des actuelles bourses qu’il faut conserver et sans doute augmenter, nous proposons d’instaurer un second crédit étudiant dédié exclusivement au financement de la vie étudiante. Il s’agit d’une option : la décision de s’endetter revient toujours à l’étudiant. Le mécanisme de ces prêts serait identique à celui des prêts contingents définis ci-dessus. Le maximum annuel de cet endettement serait de 12 000 euros par an, ce qui correspond à peu près au coût moyen d’une année de vie étudiante, selon les organisations étudiantes.

Troisième proposition, totalement nouvelle dans le débat : le Bon d’Enseignement Supérieur (ou BES)

Le bon d’enseignement supérieur aura pour valeur la dépense moyenne actuelle de la Nation (hors bourses) pour chaque étudiant, dans chaque filière et dans chaque degré. Par exemple, la valeur du bon serait 6 000 euros en licence de lettres, 12 000 euros en master de sciences ou de technologie. En moyenne, l’effort public par étudiant est de 8 500 euros.

Chaque bachelier sera porteur d’un BES qui sera attribué automatiquement à l’université choisie par l’étudiant (et où ce dernier est admis). Si on met à part les dotations pour la recherche, qui répondent à d’autres logiques, l’institution du bon d’enseignement supérieur revient à distribuer l’ensemble du budget actuel du ministère des universités à travers le seul choix des étudiants, tout en gardant les différences d’allocation entre disciplines et niveaux qui proviennent pour la plupart de différences de coût des formations.

Le caractère stratégique du bon d’enseignement supérieur réside dans son effet de cliquet, qui se manifestera dans le débat politique. Comme les étudiants connaîtront la valeur du BES de l’année précédente dans leurs formations, ils exprimeront leur mécontentement si cette valeur devait être réduite lors du vote de la Loi de Finances. L’aide publique aux universités passera par le canal étudiant, et tout projet de réduction de la valeur des bons d’enseignement supérieur ne manquerait pas de provoquer un tollé dans l’opinion, notamment parmi les familles des étudiants. Cela représente beaucoup d’électeurs que le pouvoir politique ne voudra pas s’aliéner. Avec le BES, l’effondrement de la dotation par étudiant constatée depuis 2012 ne se serait pas produit. Ensuite, le principe même du BES empêchera l’État de réduire ses dotations publiques si les universités décidaient d’augmenter leurs droits d’inscription. Cette crainte, mise en avant à juste titre par les opposants au financement privé de l’université, tombe avec le BES.

Les droits d’inscription s’ajouteront aux bons d’enseignement supérieur pour augmenter le budget des universités. Le BES favorisera aussi une émulation entre universités pour attirer (et garder) le plus grand nombre d’étudiants.

Enfin, l’instauration du BES permettra de redéployer nombre de postes de l’administration centrale du Ministère au profit des universités, car les équipes de ces dernières auront besoin d’être considérablement renforcées. Le relèvement des droits doit bien évidemment s’accompagner d’une réflexion sur la gouvernance des institutions d’enseignement supérieur et sur leur autonomie, avec une vision globale et cumulée des différents modes de financement, publics et privés. Dans notre esprit, cette réforme du financement s’accompagne d’une pleine autonomie accordée aux universités. Comme nous l’avons souligné plus haut, cette autonomie comporte le choix du montant des droits d’inscription sous un plafond décidé par le parlement et l’augmentation des droits sera donc optionnelle.

La question du financement de l’enseignement supérieur est posée depuis longtemps sans qu’une solution pleinement satisfaisante ait vu le jour. Ce problème mérite mieux que les cris d’orfraie que la classe politique, de tous bords, a poussé à l’évocation d’un possible relèvement des droits d’inscription par le président de la République. Examinons sérieusement les faits et tordons le cou à une idée savamment montée en épingle sur la base d’informations tronquées concernant l’expérience américaine : aux Etats-Unis, les étudiants finiraient leurs études avec des dettes qu’ils ne seraient pas en mesure de rembourser. Supposons que la moyenne des frais d’inscription soit de 5 000 euros par an et par étudiant, pour 3 millions d'étudiants. Ceci rapporterait 15 milliards d’euros de plus aux établissements d’enseignement supérieur. Le budget actuel du ministère de l’enseignement supérieur est en comparaison de 25 milliards d’euros. En moyenne, chaque étudiant aurait une dette contingente de 15 000 à 25 000 euros à la fin des études, à rembourser sur une dizaine d’années, sans commune mesure avec le montant des dettes immobilières communément contractées par les ménages.

La hausse des droits n’aura à notre avis de crédibilité économique et politique que si elle est accompagnée des bons d’enseignement supérieur, du crédit à remboursement contingent et de bourses d’études sur critères sociaux plus généreuses. Il est plus que temps que ce sujet, d’importance majeure pour l’avenir du pays, fasse irruption dans la campagne présidentielle.