Contestation de la réforme Blanquer: une session de rattrapage edit

11 avril 2019

Les syndicats enseignants sont remontés contre le projet de réforme « pour une école de la confiance » de Jean-Michel Blanquer. Le jeudi 4 avril, entre 15% et 25% des professeurs des écoles étaient en grève, soutenus par sept syndicats. Ce qui intrigue dans cette contestation, c’est que les mesures en cause semblent finalement relativement anodines. Cette réforme n’est pas le grand soir de l’Éducation nationale.

Résumons. Une première mesure porte sur l’obligation de scolariser les enfants dès l’âge de 3 ans. 98% sont déjà concernés et la mesure ne concernera que 26 000 enfants supplémentaires. Ce n’est pas un grand bouleversement. Ce qui semble susciter l’ire des syndicats est l’obligation qui serait faite aux collectivités de participer au financement des maternelles privées pour mettre en œuvre la mesure. Une contestation qui semble relever d’un vieux réflexe laïcard bien désuet. Si les enfants y trouvent leur compte et que la qualité de l’enseignement est bonne, pourquoi s’y opposer ?

Deuxième point de discorde, la possibilité offerte aux assistants d’éducation (les surveillants) qui se préparent aux concours d’enseignement de faire du soutien scolaire (pour des étudiants en deuxième année de licence) ou de remplacer un professeur absent (pour ceux en M1). Le ministère voit dans cette mesure une sorte de pré-recrutement. Les syndicats quant à eux s’insurgent contre l’intolérable baisse du niveau qu’engendrerait la mesure si elle était mise en œuvre. Mais au fond, est-il vraiment préférable de laisser les élèves sans solution ? Un rapport de la Cour des comptes en 2017 estimait les absences des enseignants de l'enseignement public à 13,6 millions de journées en 2014-2015, avec un taux de remplacement très variable. Dans le second degré, il n’est pas obligatoire d’affecter un professeur remplaçant pour des absences de moins de 15 jours. La cour estimait que le taux de remplacement dans ces cas-là variait de 5 à 20%. Il y a un vrai problème. La solution imaginée par le ministère n’est peut-être pas idéale, mais elle a le mérite d’être pragmatique.

Le troisième point de discorde concerne la création « d’établissements publics des savoirs fondamentaux ». L’idée est de rassembler, sur la base du volontariat, un collège et une ou plusieurs écoles autour de projets communs. L’objectif est de bon sens : assurer une meilleure continuité entre le primaire et le collège. Les syndicats ont vu dans cette mesure le projet caché de supprimer les directeurs d’école puisque, dans le projet, le directeur du collège «exerce simultanément les compétences attribuées au directeur d’école», assisté d’adjoints «dont au moins un est chargé» du premier degré. Mais, après tout, est-il si important de savoir qui dirige, si le regroupement a du sens et produit des effets pédagogiques positifs ? Par ailleurs, le ministère a bien précisé que de tels projets ne se feraient que par consensus local avec l’accord des communautés éducatives et des municipalités concernées.

Au total, le mouvement de contestation semble illustrer l’école de la défiance, plus que celle de la confiance. Fondamentalement le ministère n’est pas vu par les syndicats enseignants comme un partenaire, mais plutôt comme un adversaire animé de projets cachés (beaucoup de fake news ont d’ailleurs circulé sur ce projet de loi). Le fait que les mesures soient relativement anodines ou simplement pragmatiques ne fait que redoubler la défiance. Si elles sont apparemment anodines, c’est qu’elles masquent une intention perverse. L’habileté reconnue de Jean-Michel Blanquer finit ainsi par se retourner contre lui, comme si elle était la preuve de ces intentions perverses.

Un goût de revanche

Mais il y a une autre interprétation possible au mouvement de contestation actuel. En réalité, la grande réforme de Jean-Michel Blanquer a été celle du baccalauréat dont j’avais rendu compte dans Telos (Baccalauréat : une réforme peut en cacher une autre). Il a eu l’habileté de la faire passer pour une réforme cosmétique de l’examen, alors qu’elle était une refonte en profondeur de l’organisation des études secondaires, avec le dynamitage des filières et la création d’un lycée modulaire qui donne la possibilité aux élèves de construire un parcours personnalisé. Ce projet s’inscrit dans lignée de tous les projets réformateurs du lycée, depuis le fameux rapport Thélot (2004) qui était resté, jusqu’à présent, lettre morte. Une réforme d’une telle ampleur aurait pu causer la perte du ministre et l’enterrement de ses ambitions réformatrices. Xavier Darcos avait, il y a dix ans, proposé une réforme très proche qui avait été vivement contestée et qui avait finalement causé sa chute. Il n’en a rien été avec la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer. Pour des raisons qui restent assez mystérieuses, les lycéens ne se sont pas mobilisés contre, alors qu’ils l’avaient fait contre la réforme Darcos au nom d’un égalitarisme purement formel. Or il est difficile de faire reculer un ministre de l’éducation nationale sans le concours actifs des jeunes qui, après tout, sont les premiers concernés.

Certes, les syndicats d’enseignants n’étaient pas unanimes à rejeter la réforme du lycée. L’UNSA notamment la soutenait. Mais ce n’était le cas ni du SGEN, ni du SNES-FSU, principal syndicat enseignant du secondaire qui considérait qu’avec cette réforme, le baccalauréat devenait un «diplôme d’établissement», renforçant les inégalités sociales et territoriales. Oui, mais voilà, cette thématique inégalitaire qui avait plombé la réforme Darcos n’a, cette fois-ci, pas enclenché de mouvement lycéen d’ampleur.

Le projet actuel qui met en jeu des questions plus directement institutionnelles, autour des établissements publics des savoirs fondamentaux, des futurs instituts nationaux supérieurs du professorat, ou encore de la future instance d’évaluation (le conseil d’évaluation de l’école qui doit remplacer le Cnesco), est une occasion de remobiliser les troupes et peut-être… de prendre une petite revanche.